Concert

Au Revoir Simone

Le Botanique, le 15 février 2014
par Denis, le 17 février 2014

A priori, un concert d’Au Revoir Simone n’est pas la prestation la plus simple à chroniquer. Du trio de Brooklyn, je me rappelle un concert en début d’après-midi ensoleillé sous un petit chapiteau excentré dans la plaine pukkelpopienne de Kiewit, en 2010 : la formation était alors en tournée de promotion de Still Night, Still Light et, après trois ou quatre morceaux, j’étais allé m’asseoir dans l’herbe pour suivre à distance une prestation qui, sans manquer de rigueur, m’avait parue un peu monocorde. C’est donc avec une relative appréhension contrebalancée par le regain d’intérêt suscité par le dernier album du groupe, le très beau Move in Spectrums — qui aurait mérité un compte rendu détaillé dans ces pages ; mea culpa — que je me suis rendu samedi passé dans les serres à demi-inondées du Botanique.  

La première partie est confiée à James Hinton, aka The Range, qui accompagne Au Revoir Simone sur quelques dates de la tournée européenne et vient par ailleurs d’être ajouté au line-up de l’édition de Chicago du Pitchfork Festival. L’audience est peu réceptive aux bidouillages électroniques de l’intéressé, qui n’hésite pas à multiplier les emprunts à des univers variés (lorgnant tantôt vers la jungle, balançant tantôt des samples très orientés RnB). Si les conditions ne sont pas favorables, je me dis toutefois — en apercevant derrière moi une Erika Forster tentant de se concentrer sur l’artiste qui la précède — que tout cela ne manque pas d’allure et qu’il faudrait y jeter une oreille plus attentive. Ceux qui avaient apprécié les Fragments de Kid Atlaas, notamment, pourraient trouver leur bonheur sur le bandcamp du projet.

Quand les demoiselles prennent finalement place sur scène, les dialogues de l’assemblée ne cessent pas directement. La présente chronique n’est pas l’endroit idéal pour développer une typologie des blaireaux en concert mais, depuis le trio d’adolescentes allemandes obèses au parfum aigrelet qui discutent dreadlocks et mecs qu’elles n’auront jamais jusqu’aux Diane Arbus de mon cul qui tentent de shooter la scène avec leur Iphone et s’empressent de poster des photos ratées sur leur profil Facebook en les accompagnant d’un hashtag #dumdumgirls, disons que l’Orangerie était en règle avec son quota de mongolos.

Le set du trio, comme son dernier album, s’ouvre sur “More Than”, excellent titre basculant en délicatesse d’une certaine tension lo-fi vers une délicatesse pop et qui, d’emblée, annonce en synthèse ce que sera la totalité de la performance. Derrière leurs claviers, Erika Forster, Annie Hart et Heather D’Angelo, coupes à frange et robes rétro, ont aux premiers abords tout de l’élégance distinguée des membres du Cortège nuptial de Psyché d’Edward Coley Burne-Jones. À ceci près qu’il faut imaginer, dans le cas présent, que les participantes dudit cortège ont pioché dans l’armoire à pharmacie avant de paraître en public, et parviennent de moins en moins à le dissimuler au fur et à mesure de l’avancée du concert — mention particulière à Annie Hart, complètement hallucinée et que ses comparses doivent inviter, à un moment, à quitter le nid qu’elle s’est confectionnée sous son propre clavier. Dans la mesure où cela n’altère en rien la qualité de la prestation, cette ivresse euphorique est plutôt bienvenue et contribue à déroutiniser quelque peu la performance : les titres, principalement piochés dans les deux derniers albums, se succèdent joyeusement et les musiciennes se réjouissent des claquements de mains de ceux qui ne sont pas occupés à tweeter ou à checker le score de Beveren-OHL.

Parmi les moments forts, il faut particulièrement retenir les versions envolées de “Knights Of Wands” et “Only You Can Make Me Happy”, petites merveilles de synth-pop dansante ; les exécutions impeccables des singles “Somebody Who” et “Crazy” ; et l’instant suspendu lié à “Stay Golden”, extrait gracieux de Verses Of Comfort, Assurance & Salvation. Au rayon des déceptions, outre le moment de honte provoqué par la frange néerlandophone du public trouvant opportun de huer la tentative d’intervention en français d’Heather D’Angelo, on peut regretter la disparition quasi-totale, en live, des titres qui composaient The Bird Of Music, le second album du groupe : l’hymne “Sad Song” et la comptine polyphonique “The Lucky One”, parmi d’autres, manquent un peu à une setlist qui n’en reste pas moins tout à fait plaisante.      

Bien sûr, la prestation n’est pas plus révolutionnaire que la musique du trio : avec Au Revoir Simone, on se trouve dans un registre bien plus convenu que les mises en scène d’une absence présente des Death Grips (qui finissaient par ne pas se pointer à leurs propres concerts et trouvaient que l’idée de se mettre leur public à dos était un happening prodigieux) ou que les récents et improbables ballets proposés par The Knife (à propos desquels des colloques interdisciplinaires rassemblant chercheurs en art contemporain, musicologie et communication sont prévus pour la décennie à venir). Mais, globalement traditionnel, Au Revoir Simone n’en est pas moins un condensé stimulant de fraîcheur et de classe : un placement vivement conseillé à ceux qui ont la possibilité de participer aux dates françaises, et dans lequel le public des Ardentes ne devra pas hésiter à investir au début de l’été.