Fatty Folders

Roman Flügel

Dial – 2011
par Simon, le 11 novembre 2011
8

Si Roman Flügel n’existait pas, il faudrait l’inventer. Une affirmation qu’il convient de ne pas prendre à la légère, l'Allemand étant un producteur-phénomène, une personnalité comme on en croise trop peu souvent dans le milieu des musiques électroniques dites « populaires ». Lui, c’est l’homme qui, avec son duo Alter Ego, chie sur la musique business (allez donc jeter une oreille sur leur Why Not), tout en faisant étalage d’une science éprouvée de la musique binaire. Ses productions en solo ont toujours été freak as fuck, générant sans complexe des hybrides de house, de drone/ambient et d’early-electro. Sa présence en club se résume bien souvent à de grands balayages de l’histoire électronique, ce qui lui a valu une image de grand prêtre génial et irrespectueux, bien loin de l’esthétique chiadée d’une certaine génération obsédée par le gigantisme des charts Beatport.

Mais gardons-nous de vous décrire un personnage trop diffus. Car si l’art à son apogée consiste bien à s’étendre sans se répandre, nous tenons ici un modèle de concision. D’ailleurs si on regarde les récentes péripéties du Teuton (on ne va pas vous embêter avec la quinzaine de références à son actif), on remarquera deux EP qui forment la genèse de ce premier véritable album solo : How To Spread Lies et Brasil. Deux plaques un peu particulières en ce sens qu’on attendait peut-être de Roman Flügel une certaine synchronisation avec son label-hôte, le tout-puissant Dial, écurie à l’esthétique deep-house bien marquée par ses producteurs de référence – Lawrence, Pantha Du Prince, John Roberts ou Efdemin. Mais vu qu’on ne rigole pas avec la tradition, le "Geht’s Noch ?" de la musique allemande s’est plu à faire ce qu’il fait de mieux, à savoir des tracks en décalage et le tout avec une maîtrise qui le condamnait en définitive à une pluie d’éloges. Du Roman Flügel en plein.

Fatty Folders c’est ça: un disque complexe en raison de sa vision retorse des choses, un effeuillage de références qui lui donne une saveur sans pareil. Un disque unique donc, qui tire sa singularité de sonorités à la fois deep-house, post-acid et tropicales (et parfois soca et uk funky sur les excellents « Deo » et «Rude Awakening»). Fatty Folders est un LP déconcertant mais qui rassure d’abord par sa cohérence, par l’unité des tons employés; un disque fait de jaune pastel et d’orange, mais également d’un magma de tensions électriques, presque métalliques. On conclurait facilement à un disque optimiste et guilleret si seulement le parcours n'était pas accompagné de ce sentiment de complexité qui vous colle aux oreilles. Mélodies tenaces mais agencées à la manière des grands princes de l’electronica, structures rythmiques qui tiennent autant de la transe en club que du purgatoire, et finalement une vue d’ensemble qui demeure assurément  mouvante, tout sauf linéaire.

Roman Flügel c’est l’homme qui, après quatorze ans de carrière, vous sort un lapin de son chapeau comme si rien n’avait usé sa créativité, comme si tout semblait facile alors que rien ne l’est en définitive. Un homme qui a su préserver son côté chien fou pour ne jamais se répéter, jamais lasser son auditeur. L’homme qui a tout compris à la longévité, et dont plus d'un devrait penser à s'inspirer. D'ores et déjà un classique.