Extended

Modeselektor

Monkeytown Records – 2021
par Aurélien, le 12 avril 2021
8

Un confinement, c’est l’occasion de faire le vide. Dans sa tête d’abord, parce que l’anxiété est à portée de doigt, d’écran ou de papier ; dans ses affaires personnelles ensuite. À l’échelle de Modeselektor, on imagine qu’il en a été de même : loin du vacarme des clubs et de la frénésie des tournées à rallonge, les vies de Gernot Bronsert et Sebastian Szary ont pris une toute autre tournure. Bien sûr, pour ne pas perdre la main, il reste l’épreuve du livestream, un exercice auquel la paire s'est évidemment plié. Mais fatalement, elle n'a pas pu se dérober à l'ennui, celui qui nous pousse à faire les poussières et à ranger ce qui traîne, nous replongeant inexorablement dans le passé, puisque la période suggère moins d’envisager le futur que de regarder dans le rétroviseur.

Ainsi commence l’histoire de ce nouvel album qui, en réalité, n’en est pas tout à fait un : si Extended est une nouveauté pour nous, il existe depuis longtemps dans la tête de ses deux géniteurs, qui ont profité de la période pour ressortir leur plus beaux brouillons. Une production massive qu’ils traînent comme un poids depuis de longues années, et qui peut aujourd'hui servir à marquer le retour de la paire dans le giron d'une techno de bons vivants et qui a fait notre bonheur au début du projet, bien avant la déferlante Monkeytown et le raz-de-marée Moderat. Deux ans après un Who Else où des bangers qui faisaient parler la poudre côtoyaient des choses plus sages, Extended met fin aux compromis. L’occasion de reconnaître que, oui, les pelures de Modeselektor sont plus belles que les fruits de pas mal d’autres collègues du techno jeu. 

Car Extended, c’est la promesse de se débarrasser de toutes ces choses qui ont miné les longs formats de Modeselektor depuis Monkeytown. Pour Extended, pas de single catchy pour tâter le terrain, et pour cause : ce disque s’en passe volontiers. Au contraire, il s’épanouit dans sa propre logique, où chaque élément ne saurait exister indépendamment – à ce titre, on pense à ce que Scion avait fait avec l’œuvre de Basic Channel, ou Soulwax avec Essential. Le choix du format mixtape est évidemment idéal pour bâtir cette montagne russe taillée pour les clubs, qui évoque autant l’intransigeance d’Autechre que le second degré d’Errorsmith. Le résultat, c’est un tour de manège jubilatoire, un plaidoyer pour une techno sans œillères, une heure de musique qui se révèle un peu plus passionnante à chaque exploration de ses nombreux recoins.

Disque qui assume pleinement son statut bâtard, Extended ne se prive pas de passer en revue toutes les obsessions de Modeselektor – il le fait même tellement bien qu’il pourrait avoir l’allure d’un best of. Tout porte ici la signature de Bronsert et Szary, que ce soit dans l’exigence du propos, dans la justesse de la formule, ou dans ce besoin de faire de la musique pour que tout le monde y trouve son compte – à commencer par eux-mêmes. En un mot comme en cent, c’est la synthèse parfaite de deux décennies de carrière, un objet accessible et tapageur qui met tout le monde d’accord, et un retour sur le terrain de la techno qui fait un bien fou par où il passe.