Dossier

Top albums 2012

par Jeff, le 6 janvier 2013

L'exercice devient habituel, mais il n'en reste pas moins qu'il est plutôt fastidieux pour une rédaction comme la nôtre. Entre les amateurs de folk, de pop ou de rock jusqu'aux amateurs transis de musiques électroniques ou expérimentales, il a fallu faire un choix. On paie parfois en manque de cohérence notre volonté de tout vous faire apprécier, et cela se ressent quelque peu dans ce top des meilleurs albums de 2012. Enfin, les années passent et vous commencez à connaître notre souci de vous présenter de la musique de qualité. Naviguez donc au travers de nos trente coups de cœur, aimez-les comme on les a aimé, soyez exigeants avec nous comme avec vous-même, détestez-nous ou adulez-nous. Voici notre top 30 albums.

  • 1.La fin de l’espèce Klub des Loosers

    Musicalement, La Fin de l'Espèce marque une nouvelle étape dans la carrière de Fuzati. On le savait digger acharné, en quête permanente de la boucle parfaite à sampler au fin fond d'improbables vieux vinyles de jazz ou de bossa nova mais là, le niveau atteint est hallucinant. A certains moments, les productions désenchantées de ce disque sont proprement sublimes. Le piano triste à crever de "La Fin de l'Espèce" ou le beat lancinant de "Mauvais Rêve", par exemple, vont même au-delà du rap. On en vient à espérer une sortie des instrus de l'album qui peuvent très clairement se suffire à elles-mêmes. La Fin de l'Espèce est clairement l'album que l'on attendait venant de la paire Fuzati/Detect. Sept ans après Vive La Vie, le Versaillais masqué a su nourrir son personnage, qui entre un peu plus dans la légende.

  • 2.LonerismTame Impala

    Bien qu’un peu réticent sur les synthés un peu cheap lors des premières écoutes, on peut vous affirmer que ce Lonerism est dans la parfaite lignée d’Innerspeaker, c'est-à-dire un chef d’œuvre, d’avantage sur la démarche que sur l’esthétique. Beau à en pleurer sur du sable chaud, beau à se cramer les yeux à force de fixer le soleil à son zénith, beau à se faire mal, beau comme un carré blanc sur fond blanc, volatile comme un mirage se dessinant dans une volute de fumée mais tellement proche, jusqu’à s’entendre chuchoter au creux de l’oreille « Why Won’t They Talk To Me ? ». Pourquoi ? Mais parce que tu n’es pas là Kevin, parce que tu n’es qu’un songe, un fantasme sitôt créé, sitôt avorté, qui laisse dans les esprits encore troubles ce goût de « J’y étais ! J’y étais ? Que s’est-il passé ? », caractéristique d'un réveil lourd, qui reste dans la bouche quand on entrouvre les yeux au petit matin.

  • 3.Dependent and HappyRicardo Villalobos

    Etrange pièce que ce Dependent and Happy, montage de titres en sélection mixée (l’édition 5 LP deviendra vite un impératif, vous verrez) et perle house insondable. Une œuvre de synthèse, surtout. Si son impossibilité à composer un kick régulier a toujours fait partie du modus operandi du bestiau, ici on atteint une sorte de climax parfait entre les pulsions du corps et le mindfucking intello. Un dynamisme mathématique qui relie les deux grandes périodes de sa carrière : l’époque Alcachofa, heureuse de son hédonisme puritain et de ses gaudrioles organiques, et la période appuyée par les derniers disques, marquée essentiellement par un enfoncement dans le traitement quasiment électro-acoustique de la matière.

    Au milieu de ce bordel, il y a la came. Cet accélérateur de particules. Ricardo Villalobos, sa came et ses emmerdes. Ou quand le mode de vie marche en sens contraire, que tout se dynamite, recule, avance, se détruit et se reconstruit. L’interdit comme langage commun, l’amour de la transgression, sociale comme musicale. Pour l’amour du risque, toujours. Une plaque de synthèse pour l’instantané d’un mec qui conçoit sans cesse le mouvement, qui gère les flux, dont le cerveau grillé a trois temps d’avance sur un corps qui en a deux de retard.

  • 4.Allelujah ! Don't Bend ! Ascend !Godspeed You ! Black Emperor

    A!DB!A! est l'album d'un monde en crise: crise économique, crise politique, crise mondiale. C'est une bande son de fin des temps que l'on entend : musique planante et torturée, structures musicales complexes, phases de crescendo brumeux débouchant sur de sombres explosions (le long et martial "Mladic"). GY!BE aujourd'hui, c'est aussi un son qui n'a pas pris une ride. Ample et implacable, la musique du combo s'écoute en 2012 comme en 1996, A!DB!A! s'inscrivant dans la lignée de ses glorieux prédécesseurs. Chargés d'images et de revendications, les morceaux de ce nouvel opus sont à la fois intemporels, reprenant l'histoire là où Yanqui U.X.O. l'avait laissée, et ancrés dans leur époque et leur géographie. Allelujah! Dont't Bend! Ascend! promet donc de longues soirées sous prozac musical dans ce monde intérieur dévasté dont Godspeed You! Black Emperor a la clé.

  • 5.Channel OrangeFrank Ocean

    Riche, touffu et ambitieux, ce premier album peut finalement se résumer en un enchaînement de trois titres qui forment le cœur de Channel Orange, la délicate ballade pour junkie « Crack Rock », le gargantuesque « Pyramids » et ses dix minutes de groove en montagnes russes, et enfin le très traditionnel (mais efficace) « Lost ». Un gros quart d’heure pour comprendre un disque impeccable qui affiche 56 minutes au compteur, s’écoute avec une facilité déconcertante malgré un impressionnant taux de bonnes idées à la minute et met une pression dingue sur tous les suceurs de roue à qui il viendrait l’idée un peu saugrenue de défier Frank Ocean sur son terrain de jeu. Et franchement, à part The Weeknd, on a bien du mal à voir qui pourra frapper un aussi grand coup dans les douze mois à venir. Ne parlez plus de hype, ce mec-là appartient désormais à une autre galaxie...

  • 6.TrampSharon Van Etten

    Disque d’une classe folle et d’une intensité de tous les instants (et là on se dit qu'Aaron Dressner ne doit pas y être pour rien, lui qui en connaît un rayon en la matière), Tramp révèle une artiste complètement libérée et ambitieuse, qui compte bien en finir avec les bars miteux et les publics clairsemés pour laisser briller son songwriting dans des salles à la hauteur de son talent. Pour parvenir à ses fins, Sharon Van Etten offre un sacré bol d’air frais à son folk qui prend un malin plaisir à occuper les grands espaces. Cette confiance inébranlable en ses capacités, conjuguée à une production sobre (mais redoutablement efficace) et à une écriture qui ne surjoue jamais la carte émotionnelle permet d’accoucher d’un disque qui ne connaît pas le sens des mots temps morts et déchets.

  • 7.Fabric 66Ben Klock

    Au moment où Ben Klock sortait sa compilation au sein de la série Berghain, on s’est abstenus de commenter, comme ébahis par le flot ininterrompu de louanges quant à cette sélection. Ce disque était bon – on n’a d’ailleurs jamais vraiment pris l’Allemand en défaut – mais pas au vrai niveau de cette conscience techno. Pour le soixante-sixième volet de la série Fabric, Ben Klock rallume la flamme et lâche ce qui demeure tout simplement comme le meilleur truc du genre en cette année 2012 : kicks lourds, grosses ambiances, énormes reliefs, dynamique animale. Une sélection aux contours ciselés qui tape avec force dans le narratif complet et dans la grosse physique du son. Ben Klock expose ce qu’il sait faire de mieux : jouer les architectes dans des titres qui respirent, tapent haut pour redescendre bas. C’est le son des caves en version génie. Car là où le revival « dark techno de hangar » fait les choux gras de pas mal de producteurs plus ou moins talentueux, la science de l’Allemand parait ici vieille de cent ans, comme un nouveau langage où tout est clair. Où tout est pur.

  • 8.Attack on MemoryCloud Nothings

    Über-référencé années 90, Attack On Memory l'est certainement. Nirvana, Fugazi, Drive Like Jehu, les Foo Fighters et même un peu de Ash grande époque. On les retrouve tous (et bien d'autres encore) en filigrane de ces huit déflagrations lâchées par la troupe de Cleveland. Attack on Memory, c'est le genre d'album qui envoie suffisamment de gros bois pour vous chauffer tout le reste de l'hiver, qui pue l'urgence totale et mélange avec plus de subtilité qu'il n'y paraît énergie toute adolescente et écriture arrivée à maturation – avec, en prime, quelques véritables inflexions pop à la The Thermals pour plaire aux plus exigeants. A la fin de cette tirade grunge et gigantesque à bien des égards, c'est simple : vous aurez normalement revêtu une paire d'Airwalk, un Levi's 501 troué et une chemise à carreaux en flanelle.

  • 9. Mumps Etc.Why ?

    Abscons et torturé dans sa narration, Mumps, Etc. est à ce jour l'album le plus court de Why?. Mais aucun sacrifice n'est fait: son ensemble constitue un bloc solide, éthéré où l'on se prend à de multiples reprises les pattes dans chacun de ces treize titres à l'indécryptable intimité. Ce qui ne dispense pas l'émotion d'être au rendez-vous d'un album en forme de grand huit émotionnel, où les gros mots épousent les mélodies sucrées-salées du groupe pour en faire ressortir toute leur délicatesse et leur humanité. La joyeuse troupe de Yoni Wolf a de nouveau tout dit, tout donné et tout fait passer dans la plus insolente des justesses: Mumps, Etc. est un impeccable labyrinthe de douze titres sinueux et touchants où le rosacé ne prend jamais le pas sur la fragilité et où la gravité guette toujours derrière chaque relief. Voilà, tout est dit.

  • 10.They ! LiveBenjamin Damage & Doc Daneeka

    Neuf titres pour une quarantaine de minutes, ce premier disque est d’une durée idéale. Pour autant qu’il soit bien réalisé. They !Live a donc cette qualité de savoir ce qu’il veut, l’auditeur est pris par la main pour un trip d’une justesse folle. Parce qu’à l’intérieur, c’est tout aussi beau. Benjamin Damage et Doc Daneeka alternent formidablement bien les coups de sang à vous péter les lombaires et les tracks plus introspectives. La ligne est clairement uk funky, avec ses rythmiques percussives, ses tentations soca et africanisantes. Le style est en béton, et le duo revendique son passé uk bass music. Mais They !Live c’est également de la pulsation techno à vous gicler un sismographe – on pense d’ailleurs souvent à leur collègue Cosmin TRG - et une chaleur house qu’on peine parfois à voir aussi bien retranscrite dans ce genre musical. Alors on a beau multiplier sans cesse les écoutes de ce They !Live, on y trouve toujours ce disque lumineux et diaboliquement composé. Pas de plan promo dévastateur, seulement un très gros disque de uk funky que vous vous devez d’écouter. Mine de rien, on tient là une des premières grosses bombes électroniques de 2012.