Dossier

In Dust We Trust #29

par Jeff, le 12 février 2025

À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur un peu curieux une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD a lancé In Dust We Trust, sélection vaguement trimestrielle de ce qui a mobilisé notre temps de cerveau.

Martin Circus

Evolution Française (1969-1985)

Face à cette compilation consacrée au Martin Circus, vous pouvez être l’une de ces deux personnes : celle qui réduit le groupe à « Je m’éclate au Sénégal », une face B devenue tube en 1971 grâce à son inclusion dans ce formidable nanar qu’était Les Bidasses en Folie ; ou Guido Mintski, formidable curateur pour Born Bad Records et à qui l’on devait déjà sur le même label les anthologies consacrées à ce héros trop discret et mal compris de la chanson française qu’était Pierre Vassiliu. C’est dans cette même perspective de réhabilitation d’un monument de la culture populaire française que celui qui est accessoirement moitié du projet Acid Arab met à l’honneur les Martin Circus, groupe dont la carrière a couvert trois décennies et aura été l’occasion pour ses membres (parmi lesquels Gérard Blanc, monsieur « Une autre histoire ») de toucher à tout, absolument tout. Bien qu’elle puisse parfois être un brin indigeste quand les époques et les esthétiques se télescopent, cette compilation a le mérite de recentrer le débat sur ce qui faisait la particularité du projet : sa versatilité, sa curiosité et sa soif incessante d’expérimentation, mais toujours en gardant à l’esprit une dimension populaire, pour ne pas dire franchouillarde. Comme le dit si bien Born Bad, « suivre leur parcours, c'est écouter le monde qui avance au rythme du Top50. » Enjoy the ride. (Jeff)

Studio

West Coast

Sorti en 2006 dans un anonymat tout relatif – on parle ici de 300 copies et d’un début de buzz sur les plateformes p2p – West Coast a tout du disque idéal. En tous cas du disque qui se définit par ce qu’il n’est pas totalement : pas strictement club malgré son groove latent, pas assez aventureux pour rentrer dans le rock expé, un peu kraut, carrément early balearic, psyché et légèrement disco. Un disque qui aurait pu rentrer à l’époque dans le catalogue de Factory Records sans le moindre souci, qui convoque autant Primal Scream (et toute la clique Madchester) que The Slits, Prins Thomas ou CAN. Studio affirme ici toute l’étendue de ses influences en une quarantaine de minutes (complétées ici par un deuxième disque de versions alternatives) qui, on le comprend en une écoute, n’ont aucun mal à justifier leur statut de légende de l’underground. C’est élégant à souhait, suffisamment uptempo pour les matins qui chantent et superbement écrit. Une musique simple et racée, sautillante et bien dans son époque. Retour vers le Futur IV en version plage et ectasy. (Simon)

Shinichiro Yokota

Pitstop Box

Si l’audiophile ou le DJ occidental a tendance à éprouver pour le tout analogique une fascination qui confine parfois à l’onanisme, le nippon de son côté est absolument formel : la musique ça se vit au travers d’un format numérique, avec un signal échantillonné 44.100 fois par seconde et lu au moyen d’un faisceau laser. Et de nombreux disques de ne sortir qu’en CD au Japon, y compris les deux LP de Shinichiro Yokota qui nous intéressent aujourd’hui, et ce alors même que la pochette de I Know You Like It le montre devant une platine… vinyle. Heureusement pour le reste du monde, les helvètes de WRWTFWW ont décidé de faire sortir ces deux disques de l’archipel avec une sortie plus large. Au programme des 24 morceaux de Pitstop Box, tout simplement un maximum de house funky et soulful à souhait, option (très) cheesy. On pourra objecter que la plupart des morceaux sont en dessous des deux titres attribués à Yokota sur l’excellente compilation Sounds From The Far East et que certains titres ont parfois mal vieilli (“Machibouke”), mais l’écoute vaut complètement le détour, ne serait-ce que pour la cover du morceau de Logic System ou pour pouvoir enfin écouter “Right Here! Right Now!” autrement que sur YouTube. Espérons également que d’autres CD de Far East Recording arrivent à connaître le même chemin - oui, on pense à toi Sumo Jungle Grandeur. (Come)

Tito Puente

Mambo Gozón. The RCA Years 1949-1960

On ne va pas se mentir : on n’y connait pas grand-chose en salsa. On ne va pas non plus se mentir : il n’y pas vraiment besoin de s’y connaître grandement pour comprendre que Tito Puente est un boss de fin de niveau en la matière. Grosso Records l’a bien compris et réédite ici ses plus belles années de musique sous la bannière RCA Records (comprenez la période 1949 - 1960) sous une forme de "ultimate best of" de vingt-quatre titres. Il n’y a pas grand-chose à dire à part que Tito Puente – déjà, tu sens qu’il peut tout arriver avec un nom pareil – écrit le manuel de la salsa et du mambo en toute décontraction. Une sorte de template parfait pour le genre, où tous les titres rentrent sans la moindre difficulté dans une grande marmite où tout ressort en banger épicé. L’héritage du New-Yorkais d’origine portoricaine est ici intact, alignant les perles avec une facilité déconcertante. Alors certains nous diront que la formule est trop carrée, que c’est tout le temps la même chose; on leur rétorquera que c’est ce qui fait justement tout le sel de l’ami Tito : faire bander les lascars en trois minutes chrono, le verre de rhum à la main, sans jamais donner l’impression d’y toucher. Pas sûr qu’on se gave tous les jours de salsa à la maison, mais si l’envie vous prenait un jour, vous savez vers quoi vous diriger. (Simon)

Various Artists

Mr. Bongo Record Club volume 7

L’écosystème des rééditions adore – très logiquement – les anniversaires. Dans le cas de Mr. Bongo et de sa série Record Club, il n’y a strictement rien à fêter. Elle existe pour nous signifier qu’une année de plus s’est écoulée, que le label et disquaire basé à Brighton est toujours bien là pour nous servir, qu’il reste une référence dans son domaine (la musique brésilienne principalement), et que ses têtes chercheuses sont plus que jamais animées par une irrésistible envie de partager. On sait désormais que chaque nouvelle compilation paraît quelque part entre la fin de l’été et le début de l’automne, et que son contenu prendra des airs de somptueux collier de perles. Ce fut le cas pour les six premières itérations, et la septième n’a aucune intention d’inverser la tendance. D’abord l’occasion de partager les plus belles trouvailles de monsieur Bongo (notre highlight absolu de ce volume est une dinguerie disco signée Claude Jay), le Record Club est aussi une excuse toute trouvée pour dépasser cet horizon sud-américain auquel on le cantonne parfois : de la soul chaude de Judson Moore en passant par l’electro-funk cosmique de Tony Wilson ou le reggae lascif de J.C. Lodge, les occasions de flinguer son empreinte carbone avec un simple microsillon ne manquent pas. Décollage immédiat. (Jeff)