Une enfant du siècle

Alizée

Wisteria Song / Jive Epic – 2010
par Jeff, le 27 avril 2010
8

Cette chronique d'Alizée, si nous avions décidé de la publier le 1er avril, il y a fort à parier que nombre de nos lecteurs auraient hurlé au poisson tout pourri. Il faut bien avouer que nous aussi avons accueilli avec un mélange de perplexité et de curiosité les premières informations au sujet du nouvel album de la belle Ajaccienne: l'ex-protégée du duo diabolique Mylène Farmer / Laurent Boutonnat, révélée à 15 ans par l'émission Graine de Stars, qui décide de tourner le dos à une carrière au sommet des charts pour fricoter avec la clique Institubes, c'est typiquement le genre d'annonce un poil douteuse qu'il convient de prendre avec des pincettes. Pourtant, au fil des semaines, tout cela s'est confirmé et un impressionnant puzzle s'est mis en place: Une enfant du siècle sera un album concept (Alizée en muse warholienne plongée dans le New-York des années 1960), entièrement écrit par Jean-René Etienne, patron du label, et mis en musique par une team composée de Chateau Marmont, Rob (connu pour accompagner Phoenix sur scène aux claviers), Para One, Tacteel, Tahiti Boy et David Rubato.

Pour comprendre l'origine de ce projet assez déroutant, il faut remonter en 2008. A l'époque et sur conseil d'un directeur artistique de chez Sony, Alizée accepte de laisser David Rubato triturer son single "Fifty / Sixty". A partir de là tout va très vite: Alizée adore cette nouvelle version, clairement supérieure à l'original (ce n'était pas bien compliqué vous me direz) et alors qu'elle cherche encore une orientation à donner à son nouvel album, croise la route de Jean-René Etienne qui lui propose une rencontre avec quelques membres éminents de l'écurie Institubes. De cette rencontre naît la volonté de réunir les forces vives du crew parisien pour bosser sur un concept album qui a fait son apparition il y a quelques semaines et qui, et c'est un doux euphémisme, devrait vous faire oublier tous les apriori négatifs que vous pourriez avoir sur Alizée – et dieu sait s'il sont nombreux.

A l'arrivée, cette collaboration Alizée/Institubes donne un album extrêmement bien foutu et où l'on sent clairement que la chanteuse a accepté de devenir la 'chose' du label Institubes. Certes, la lolita n'a jamais vraiment donné l'impression de détenir les clés de sa carrière, mais pour le coup, elle semble clairement s'effacer pour laisser les joyeux drilles d'Institubes transformer Alizée en une pop star classieuse et moderne qui dégage charme et sensualité à des kilomètres à la ronde. Malgré la présence d'une armada de producteurs qui partagent certes une vision commune de la musique mais qu'ils mettent chacun différemment en oeuvre, Une enfant du siècle est un disque solide et cohérent qui évite d'enchaîner les petits délires en solo. Chacun à leur manière, les différents intervenants produisent un travail soigné qui évoque aussi bien Kraftwerk et Jean-Michel Jarre que Lio et Jeanette ou le Sébastien Tellier de Sexuality. Niveau vocal, Alizée n'est pas en reste non plus et sait se montrer à la hauteur des dix excellentes compositions que lui a réservé le crew Institubes. Finies les minauderies calculées et le chant maniéré: du haut de ses 25 ans, Alizée chante désormais comme une adulte qui semble avoir pleinement conscience de son potentiel de séduction auprès d'un public disons plus mature. Et si elle n'est pas encore vraiment à l'aise lorsqu'elle s'essaie à l'anglais ou à l'espagnol, on ne peut que rester admiratif devant la métamorphose opérée sur Une enfant du siècle.

Rétro-futuriste et résolument tourné vers le côté sombre de la pop, Une enfant du siècle est un album qui mérite d'être écouté ne serait-ce que parce qu'il représente une prise de risques énorme dans le chef d'une Alizée qui, si elle l'avait voulu, aurait également pu enchaîner les albums de pop FM acidulée et un brin putassière. Au lieu de cela, l'artiste (et on sent enfin qu'on peut l'appeler comme tel en 2010) n'a pas peur de s'attirer les foudres de son public habituel qui ne risque pas de la suivre dans un tel 'délire' - et de son label qui risque fort de tirer la gueule quand il consultera les chiffres de ventes d'Une enfant du siècle. Car si en interview, Alizée assure ne pas avoir voulu accoucher « d'un album branché que personne n'achète », il sera bien difficile de ne considérer ce nouvel effort comme un échec commercial par rapport à ses trois premières réalisations.

Ceci étant, Une enfant du siècle est en telle rupture par rapport à tout ce qu'a pu faire Alizée par le passé qu'on parlera plutôt du premier album d'une nouvelle carrière dans le chef d'une artiste qui, à terme, pourrait être à la France ce qu'une Robyn est à la Suède, une Little Boots à l'Angleterre ou une Annie à la Norvège: un excellent produit d'exportation qui sait qu'electro-pop ne rime pas forcément avec facilité et insouciance.

Le goût des autres :
5 Julien 5 Julien Gas 6 Soul Brotha 7 Thibaut