Trips #1: Africa

Red Axes

!K7 – 2018
par Jeff, le 13 septembre 2018
8

Dans un vieux mais très pertinent papier sur l'(in)utilité du journaliste musical, le vieux mais très pertinent Bester Langs de Gonzaï concluait comme suit: "Viendra un temps où, à force de saturer les serveurs de papiers inutiles, les musiciens rédigeront eux-mêmes les papiers les concernant, sorte d’émetteur-récepteur branchés sur ampli ringardisant ce journalisme musical qui nous a un jour permis de sortir de l’anonymat. Peut-être alors tout chroniqueur qui se respecte sera forcé d’écrire ses papiers en se déconnectant d’internet et en laissant au vestiaire les antisèches que sont Wikipedia et biographies prémâchées. Vers un journalisme où chacun disposerait des mêmes armes pour se démarquer." 

Pour parler de ce nouvel EP de Red Axes, on a vraiment envie de le prendre au pied de la lettre, quitte à pondre une chronique qu'on pourra critiquer pour ses approximations factuelles. Car parler du travail de Red Axes n'a aucun intérêt si c'est pour l'évoquer dans un contexte comme une ligne du temps, l'appartenance à un label ou un genre musical. Non l'œuvre des deux producteurs de Tel Aviv se doit d'être prise dans une espèce de globalité où la chronologie et l'appartenance à des chapelles ont à peu près autant d'importance que les légumes dans le régime alimentaire du ricain moyen. Ce qui fascine chez eux, c'est cette manière qu'ils ont de jouer avec leur ADN, que j'imagine autant constitué de disques des Cramps que de Kraftwerk ou Eric B & Rakim, et qu'ils façonnent et modulent selon leur lubies et envies pour former un corpus qui défie les modes et les tendances. 

Et leur dernière lubie justement, c'est un concept plurimédias baptisé Trips, et qui voit nos deux asticots jouer les globetrotters à la recherche d'expériences nouvelles - car c'est clair qu'à croiser les 50 mêmes tronches dans le circuit club, ça peut vite faire de vous un acariâtre de première. La beauté de l'approche prônée par Bester Langs, c'est qu'elle empêche qu'on encule inutilement les mouches avec des éléments recopiés d'un communiqué de presse ou honteusement dérobés dans les papiers de la concurrence - oui, tout le monde fait ça. D'ailleurs, cette approche est validée et renforcée dès la première écoute de Trips #1: Africa: on comprend tout de suite que si un immense soin a été apporté à ce travail de collaboration ou d'imprégnation d'une culture locale, tout a été fait pour que cette musique se vive sans repères, sans putain de benchmarks qui aideraient à la contextualiser ou l'intellectualiser. Car bien qu'on soit en train d'écouter un projet dans lequel deux producteurs ont certainement investi plus de temps que David Guetta dans tout son back catalogue, ils parviennent à lui laisser cette liberté et cette instantanéité que Red Axes a voulu au cœur de la démarche, et qui voit leur idée d'une chanson de club comme l'immense "Sun My Sweet Sun" se confronter à une vision éthiopienne ou ivoirienne de la fête. 

A une époque où le phénomène d'appropriation culturelle n'a jamais autant posé problème, il est bandant de voir comment curiosité sans borne et fusion des énergies positives peuvent déboucher sur un des projets les plus irrésistiblement dansants qu'on ait entendu en 2018. Et quand bien même il n'y aurait personne pour me lire, qu'il est bon de pouvoir écrire sur le sujet.