Trainspotting

Rome Streetz & Conductor Williams

 – 2025
par Jeff, le 4 juin 2025
6

C’est la première fois qu'on vous parlons de Rome Streetz sur le site. Pourtant, ces dernières années, les occasions de vous en dire du bien n’ont pas manqué. Repéré par Daupe! en 2020, l’Américain a aussi tapé dans l’œil de Westside Gunn qui l’a intégré à son collectif Griselda, et a joué les producteurs exécutifs sur son Kiss The Ring de 2023. Mais fidèle au rule book du nouvel underground boom bap, l’artiste né à Londres a par la suite été de tous les projets, de toutes les collabs, de tous les featurings, de tous les labels – y compris le sien.

Une hyperactivité qui n’est pas problématique en soi, si ce n’est qu’elle finit par mettre en lumière ce qui cloche chez lui : sa générosité au micro. Entendons-nous bien : le New Yorkais a une technique irréprochable et un flow parmi les plus magnétiques de ce rap jeu, légitimant certaines comparaisons avec certaines chèvres des années 90 ou le A$AP Rocky des débuts. Mais le partage ne semble pas faire partie des valeurs qui lui ont été inculquées. Et de fait, sur ses projets, les invités se font généralement rares là où d’autres laissent la porte du studio en permanence entrouverte. Ce que veut Rome Streetz, c’est occuper le moindre centimètre carré d’espace disponible, quitte à produire des albums qui nous donnent l’impression d’être dans un meme. Et Trainspotting ne fait pas exception à la règle.

Les 14 titres qu’il contient sont une nouvelle séance de rap onanique, une occasion pour lui de pérorer ad nauseam sur sa vision de l’ascenseur social, sa supériorité supposée sur ses congénères ou les signes extérieurs de richesse – rien de bien neuf, en somme. Et c’est vrai que quand ça fonctionne, entendre Rome Streetz aligner les punchlines et découper la prod avec une telle aisance est une expérience grisante. Ça l’est encore plus quand il partage l’affiche avec des rappeurs à la technique aussi exceptionnelle que lui : sur une production qui, il est vrai, n’aurait pas fait tâche sur un album du Wu-Tang Clan, Method Man débarque comme si il avait été placé dans un caisson de cryoconservation juste après la sortie de Tical 2000 : Judgement Day. Le régal est total.

Mais Trainspotting est aussi intéressant pour l’homme qui en colonise le micro que celui qui le façonne à la MPC : après DJ Muggs sur Death & The Magician, après Daringer sur Hatton Garden Holdup, après Big Ghost Ltd. sur Wasn't Build in a Day, c’est désormais à un autre producteur proche de la nébuleuse Griselda de s’y coller, en la personne de Conductor Williams. Connu pour avoir le meilleur producer tag de tout le rap, et quelques beats parmi les plus obsédants de ces dernières années, l’ancien conducteur de train est arrivé à un stade de sa carrière où sa formule à base de boucles qui sonnent comme un disque fatigué a atteint une forme de perfection, quitte à devenir dangereusement prévisible. À dire vrai, il faut que débarque ici un rappeur à l’esthétique aussi marquée que Jay Worthy pour voir Conductor Williams tenter une chouette incursion sur des territoires g-funk, prouvant qu’il a tout à gagner à s’ouvrir à la diversité et à laisser entrer un peu de soleil dans son studio.  

Trainspotting, c’est du rap pour les rois sans couronnes, une démonstration de force pure parfois un peu vaine parce que ses auteurs donnent l’impression que Rome Streetz et Conductor Williams ont quelque chose à prouver alors que la messe a été dite il y a bien des plombes. Un disque terriblement frustrant quand il arrête d’être totalement ensorcelant.

Le goût des autres :