Tooth And Nail
Dormant Ordeal

L'énorme avantage de cette chronique, c'est qu'elle nous permet d'abord de faire l'économie d'un papier au sujet du dernier Behemoth. On a beau être tout-terrain et extrêmement volontaire dans notre bénévolat, revenir sur tout l'historique de la bande à Nergal et puis célébrer The Satanist pour la balise qu'il est devenu nous aurait demandé une énergie qu'on n'a pas nécessairement. Peut-être aussi parce que Behemoth est devenu un groupe un peu chiant, qui joue en surrégime sur la personnalité, il est vrai, très charismatique de son leader. A défaut d'être tout à fait mauvais, son actualité semble un peu molle dans un environnement metal qui ne manque certainement pas de grands albums.
Surtout qu'on assiste à un véritable dépassement par la gauche d'une autre formation polonaise qui, pour le coup, enterre tout ce qui a pu être dit dans le premier paragraphe. Trève de mystères : Dormant Ordeal enterre Behemoth sur tout son cahier des charges. On y retrouve évidemment ces attaques vocales qui ont fait les grandes heures de l'héritage nergalien, sur un mode totalement dominateur, grave et prophétique; une présence vocale qui se couche à la perfection sur une scénographie musicale tout en riffs anguleux, dissonants et techniques. L'écriture elle, est dramatique, presque dramaturgique, s'appuyant sur un ratio parfait entre lisibilité extrême (la production est pensée pour les stades) et technicité omniprésente. Le talent est partout et pas une minute ne semble perdue en chemin. Il n'y a que des bonnes idées, de la belle et grande agression et puis surtout, surtout, des grands riffs.
Ce qui me permet d'introduire l'autre très grande influence de Dormant Ordeal. Certains gimmicks sont tellement puissants qu'on se souvient de l'endroit où on les a entendus pour la première fois. C'est évidemment le cas de « Entranced by The Wolfshook » de Bölzer, qui avait choqué le petit monde black/death en 2013. Et c'est bien des Suisses que Dormant Ordeal finit de tirer toute la quintessence de son art sombre. Plus précisément de toute la palette chromatique si particulière de Hero, premier véritable album qui avait fini de consacrer le duo comme l'antihéros de la scène. Et ça s'entend absolument partout, créant un décalage mental subtil dans à peu près tout ce qui est entrepris par le groupe, et notamment sur « Orphans », titre en lignes claires dont le riff principal retourne la tête, rend fou par son lyrisme clairvoyant, avant de tout annihiler avec une relance infiniment thrash. Du très grand art, tout ça en moins de cinq minutes.
Les arguments en faveur de ce Tooth and Nail ne manquent pas, et plus les écoutes passent, plus l'album s'impose comme l'énorme coup de pelle qu'il est. Au-delà des comparaisons inévitables, après tout il faut bien venir de quelque part, et les Polonais marquent ici un coup franc en pleine lucarne, devenant au passage une référence encore trop peu célébrée dans cette scène black/death qui sait raconter des tragédies avec tout le luxe des moyens. Un tour de force, un vrai.