The Loves Of Your Life

Hamilton Leithauser

Glassnote Records – 2020
par Maxime V, le 5 mai 2020
8

Il aura beau besogner, Hamilton Leithauser semble condamné à rester dans l’ombre des perdus de vue Walkmen, groupe déjà sous-estimé en Europe, qu’il a porté avec brio depuis Everyone Who Pretended to Like Me Is Gone, premier album des New-Yorkais sorti en 2002, jusqu’à Heaven, sorti en 2012. Deux albums déjà (trois si l’on compte Dear God, le vinyle passé inaperçu en duo avec Paul Maroon, guitariste des Walkmen) qu’il s’évertue à mener sa barque en battant pavillon de son patronyme. Alors que Black Hours augurait d’un virage solo plus que prometteur, I Had a Dream That You Were Mine, composé à quatre mains avec Rostam, confirmait le savoir-faire de l’Américain.

En 2020, Hamilton Leithauser est plus que jamais ce « crooner dont on a tous besoin de nos vies » comme on vous le disait ici début février. Dans The Loves of Your Life, on trouve toujours cet équilibre qui lui est si particulier, entre un falsetto bouleversant et une douceur de timbre aussi claire qu’enveloppante. S’il est tout à fait capable de couvrir le répertoire des grandes voix d’hier et d’aujourd’hui (jugez sur pièce avec sa reprise de « The Greatest » de Lana Del Rey postée fin avril et quelque peu remaniée pour coller à l’actualité), Hamilton Leithauser est bien plus qu’un excellent chanteur.

Dans The Loves of Your Life, Hamilton Leithauser raconte des histoires de rencontres fortuites, d’amis oubliés (« Don’t Check The Score »), de connaissances retrouvées au détour d’une rue, et des déboires amoureux. Du banal, frôlant le cliché. Sur le papier, uniquement : sont condensées dans les onze morceaux que composent cet album autant de vies minuscules. Des biographies faites de mélanges de moments vécus et fantasmés. Comme s’il nous commentait, sourire en coin, un pêle-mêle de Polaroïds aux bords jaunis dans une vieille boite à biscuit. Chaque titre transpire d’une nostalgie joyeuse, jamais larmoyante. Ce qui fait toute la force de ce disque.

Le songwriting de The Loves of Your Life est également remarquable. Un narrateur omniscient nous présente son New York : Broadway (l’impeccable premier single « Here They Come »), Long Island (« Cross-Sound Ferry ») et l’Upper West Side (« Isabella »). Plus qu’une tentative d’épuisement du lieu commun par un guide touristique un peu blasé, cet album zoome sur une carte du souvenir, des grandes artères gorgées de bruit (« Stars and Rats ») jusqu’à l’impasse sentimentale (magnifique « Til Your Ship Comes In »). Ici on ne ressasse pas, on évoque. C’est bien le sens du détail qu’Hamilton Leithauser a aiguisé dans les textes de ce quatrième album. Que ce soit pour décrire un spectateur dans une salle de cinéma dans « Here They Come » (The lights are coming on, and all your candy's gone // Spinning through the previews, flipping through the seats // Popcorn in your loafers, sugar in your teeth) ou bien une rue dans « The Garbage Men » (Up and down And in and out The wind is in the magazines // Up and down 'Round and 'round The rainbow's in the gasoline), il met en plein dans le mille.

Peut-être bien parce qu’il affectionne tous ses « personnages ». Même lorsqu’il revient sur une rupture difficile dans « The Other Half » et la très réussie « Wack Jack » (That burn won't hurt you anymore, oh // But I'll still keep your picture lying in a drawer), on le sent animé d’une subtile bienveillance, sans jamais tomber dans la mièvrerie. Le point final de cet album, « The Old King » a des faux airs de poème. Histoire d’asseoir un peu plus la prééminence du texte sur la performance vocale et la précision de la production : The loves of your life, the glass and the wife // One guts you hollow, one twists the knife.

S’il n’a plus personne à convaincre depuis longtemps, Hamilton Leithauser continue bien d’impressionner son (trop) petit monde. En restant le même, sans s’éparpiller, il sait encore apaiser et foudroyer. The Loves of Your Life est un album cohérent avec des coups d’éclats (« Here They Come » et « Til Your Ship Comes In » pourraient bien user quelques touches « repeat », même virtuelles), tout aussi maîtrisé que classieux. Un disque à son image.