Schegge

Giorgio Poi

Bomba Dischi – 2025
par Jeff, le 26 mai 2025
8

Ça fait 40 ans que ça dure et il va bien falloir qu’on finisse par se faire une raison : non, la pop italienne n’a plus sa place dans nos cœurs ou dans nos playlists. De Jovanotti à Mahmood en passant par Liberato, ils sont nombreux à avoir échoué à exister sur des marchés saturés par une culture anglo-saxonne qui a pilonné les passerelles qui ont longtemps existé avec la France ou la Belgique, jusqu’à les anéantir. Autrement dit : chez nous, Giorgio Poi devra se contenter de plaire à une poignée d’esthètes ; le genre de personnes capables de lâcher 150 euros pour un premier pressage d’Anima Latina ou de te flinguer une soirée à pérorer sur Lucio Dalla ou Rino Gaetano.

À dire vrai, la seule chose qui pourrait changer la donne se nomme Branco. Branco, c’est le petit nom de Laurent Brancowitz, qui n’est autre que le guitariste de Phoenix, dont il est aussi l’un des compositeurs avec les trois autres membres du groupe. Phoenix qui, faut-il le rappeler, avait fait sa déclaration d’amour à la pop italienne en 2017 avec  Ti Amo, et emmené dans la foulée quelques artistes italiens pour assurer les premières parties de ses concerts, parmi lesquels… Giorgio Poi, à une époque où on lui trouvait plus de ressemblances avec Mac DeMarco qu’avec les Versaillais. Sur Schegge, le rôle de Branco est plus opaque qu’une rasade de Fernet Branca : le livret parle d’une « supervision amicale », qui est le genre de phrase qui peut vouloir dire tout et son contraire – même si un morceau comme « les jeux sont faits » ne laisse pas vraiment planer de doute sur le poids qu’a pu avoir la parole du Français au moment de choisir sur quels boutons appuyer.

Évidemment, cette collaboration a rapidement ouvert les portes des Inrocks, de France Inter ou de Quotidien à Giorgio Poi, alors qu’il a probablement essayé de les défoncer sans succès pour Gommapiumma deux ans plus tôt. Mais il faudrait veiller à ne pas faire de lui « le Phoenix transalpin », car son approche consiste moins à décalquer des choses qui auraient mieux fonctionné chez les voisins qu’à passer maître dans l’art du mariage italo-sensible qui met en lumière sa dévotion éternelle pour les anciens de la canzione, sa volonté de s’inscrire dans un courant neo-pop autochtone (son pote Calcutta, mais aussi l’élusif Andrea Laszlo De Simone qu’il copie sur le bouleversant « uomini contro insetti ») et son amour pour certains monstres sacrés du monde anglo-saxon (lui cite Leonard Cohen, mais on a envie de balancer les noms de Feist ou du MGMT post-Oracular Spectacular).

En réalité, Giorgio Poi réussit surtout ici ce petit exploit qui permet de différencier les apprentis orfèvres des songwriters aboutis : transcender les nombreuses influences qu’on lui colle au dos, être juste lui. Certains y arrivent dès le premier album, beaucoup n’y parviennent jamais. Giorgio Poi aura su patienter, et à bientôt 40 ans, il est désormais prophète en son pays. Et tant pis si le reste du monde n’y a rien compris.

Le goût des autres :