Laisse-les parler Clovis
Clovis Ochin

Il en va de nos goûts musicaux comme des nos relations amoureuses : il est des artistes dont on s’éprend éperdument, alors que le monde autour de nous assiste avec un mélange de sidération et de consternation à une relation fusionnelle qui défie les lois les plus fondamentales de la logique. J’ai ça avec Clovis Ochin. Pourtant, il eut été si facile de tourner en ridicule les envies de rap et de boom bap d’un type découvert dans un épisode F*ck That’s Delicious, la série d’Action Bronson pour Vice – tout dans cette phrase sent tellement le 2015.
Devenu une sorte de poster boy pour tout ce qui tourne de près ou de loin autour du vin nat’, Clovis Ochin dégage cette aura tellement cool qu’il en devient insupportable aux yeux de personnes qui lui ressemblent pourtant tellement – tu sais ce pote qui joue au mölkki avec un petit bonnet sur la tête même en juillet et qui s’est découvert une passion pour le vin orange quand les craft beers sont passées de mode ? Mais ce qu’il y a de génial avec Clovis Ochin, c’est qu’il s’en bat les steaks de ce que vous pensez – chose suffisamment rare que pour être soulignée quand on parle de rap. Lui, il vit la vie qu’il a toujours voulue: il tape des quilles avec Dua Lipa quand elle passe par Paris et The Alchemist lui souhaite bon anniversaire sur Insta pendant que toi tu franchis le niveau 4.500 à Candy Crush. Mais si ma relation avec Clovis Ochin est fusionnelle, j’ai toujours su garder les yeux en face des trous : il est loin, mais alors très loin d’être un grand rappeur - en même temps, Gucci Mane a su amasser les millions en étant un rappeur à la technique assez moyenne et puis bon, qu’est-ce qu’on se ferait chier si tout le monde la jouait comme Alpha Wann.
Mais c’est précisément dans ce mélange d’attitude royalement jeanfoutre et d’aisance assez remarquable dans l’exercice de l’egotrip de la part d’un rappeur à la petite semaine que Clovis Ochin se révèle être un artiste à la prose souvent juste et toujours sincère, comme lorsqu’il évoque Paris dans un mélange d’amour fou et de dégout profond (« Paris c’est une tumeur déguisée en tuteur, elle s’éveille dans sa crasse et sa sueur, sa grâce et sa lueur »). L’autre force de Clovis Ochin, c’est son réseau : ainsi, quand Conway The Machine ou Alkpote débarquent, ce n’est pas pour recycler des couplets fatigués, tel B20 chez Tony Parker. Le même raisonnement s’applique aux producteurs qui l’entourent : sur ses précédents projets, ils se nommaient V Don, Michaelangelo ou Camouflage Monk — bref, des types habitués à bosser avec la crème de l’underground. Cette fois, Clovis Ochin privilégie le local et le circuit court en laissant son compatriote DJ Low Cut façonner des ambiances oscillant entre une vision « griseldesque » du rap (« Les raisins de la colère », « Rocher Suchard ») et une autre plus traditionaliste et calée sur les années 90 qui sample les vieilles B.O. de ciné européen (« Mère Nature », « Boîte à Putes »).
Fier de son produit, mais suffisamment lucide pour ne jamais se comparer à ses indépassables modèles, celui qui fréquente « des voyous, des grosses têtes, des vignerons aux grosses tresses, des rappeurs et producteurs de classiques » produit une œuvre définitive à son très petit niveau : le sien. Si son activité principale consiste à partager son amour du produit avec le plus grand nombre, son rap n’a vocation qu’à satisfaire son géniteur et les quelques spectateurs de cette comédie humaine en fin de compte bien plus attachante qu’on pourrait le penser.