Kadath
The Great Old Ones

Le cas The Great Old Ones m’a toujours posé problème. Probablement parce que son black metal est intimement lié à l’œuvre de H.P. Lovecraft, et que l’écrivain de Providence est probablement mon auteur préféré. J’ai toujours considéré cette œuvre comme l’une des choses les plus humbles et les plus puissantes de la littérature fantastique. Et la voir à ce point chevillée au corps de la formation bordelaise m’a toujours fait tiquer. J'ai saigné EOD : A Tale of Dark Legacy sans jamais comprendre le génie que certains pouvaient y trouver. Si j’ai fini par me résoudre à abandonner ce disque en raison de sa production en forme de mur de briques inaudible, je n’ai jamais rien trouvé dans The Great Old Ones de fondamentalement lovecraftien en dehors de sa dévotion textuelle et de ses thèmes mis en avant de manière évidente. On peut évidemment écrire dix minutes de metal sur le monument qu’est The Shadow Over Innsmouth, mais ce n’est pas pour ça qu’on arrive nécessairement à magnifier ce thème de manière sensible. Écrire sur quelque chose de génial ne rend pas la création géniale par effet de ruissellement. Puis soyons clairs : si on devait retranscrire tout le culte lovecraftien en une discographie, on se contenterait de s’envoyer le travail absolument incroyable de Portal et basta.
Malgré mes réserves, je veux aimer The Great Old Ones. J’attends sagement le moment où les astres s’aligneront pour sortir de ma caverne et prier la formation bordelaise comme elle se doit. Et ce Kadath devrait pas mal aider à vrai dire. Peut-être principalement parce que The Great Old Ones décide d’abandonner ici le strictement horrifique pour s’enfoncer dans le cycle onirique de l’auteur américain. Les plus fanatiques le savent, toute la partie liée au rêve dans l’œuvre de Lovecraft est d’une beauté sans commune mesure. On y croise moins de créatures malfaisantes, même si Nyarlathotep est au cœur de l’inspiration première ici, de rites nécromanciens et d’angoisse latente mais on se plait à divaguer dans des considérations métaphysiques, dans des voyages dont le retour coûte un prix exorbitant.
En prenant La Quête Onirique de Kadath L’Inconnue en référence première, The Great Old Ones peut enfin laisser exploser toute sa science du black metal atmosphérique dans les meilleures conditions. Plus aucun besoin de faire de l’horrifique à tout prix, les Bordelais – dont la formation a encore pas mal bougé depuis Cosmicism – déroulent leur tapisserie black sur toute la hauteur et la profondeur possibles. Et ce qui est sûr, c’est que si les Français ont toujours eu à cœur de proposer quelque chose d’absolument léché, Kadath les fait passer dans le côté caviar du spectre. Tout est d’une transparence cristalline et magnifie une écriture complexe et fouillée qu’on découvre enfin dans sa vraie lumière. Le jeu est titanesque – mention spéciale à ces lignes de guitare basse tout à fait délicieuses et à ces batteries qui frappent tellement fort et vite qu’on dirait qu’elles lévitent – et part à chaque fois sur des rodéos aux longueurs assumées. Le ton global est évidemment bien sombre, dramatique mais également – et c’est à souligner – tourné vers l’espoir et le rêve de lumière.
Les écoutes se multiplient et on se rend bien compte que Kadath n’a rien de simple. Ni dans sa composition, ni dans son intention. Chaque écoute donne à ce cinquième album une occasion de se raconter un peu plus, d’étoffer un tableau sonore déjà riche en détails, de profiter des nombreux changements de rythmes pour laisser infuser le drame de cette heure musicale. A vrai dire, je n’en sais pas bien plus sur la dimension lovecraftienne de ces guitares, mais je sais que The Great Old Ones a trouvé une manière de les faire dialoguer qui confine au magnifique. Et c’est peut-être à ça qu’il faut s’en tenir. Malgré tous les inserts liés à l’écrivain et à son œuvre, peut-être qu’il faut laisser Lovecraft et son génie infini là où il sont, et enfin apprécier les Français pour ce qu’ils savent nous donner sans toujours verser dans l’obsessionnel : à savoir un post black metal atmosphérique devenu incroyablement mature et chatoyant. En un mot comme en cent : Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.