Elevators: Act I & II

Bishop Nehru

 – 2018
par Jeff, le 5 avril 2018
7

C’est en 2014 que la carrière de Bishop Nehru a vraiment décollé. A l’époque, le new-yorkais est encore un MC plein de potentiel qui a tapé dans l’oeil de Nas (qui le signe dans la foulée sur son label Mass Appeal), est validé par Kendrick Lamar et a la chance d’enregistrer un album complet produit par MF Doom - le très prometteur NehruvianDOOM. En outre, en plein revival boom bap, Bishop Nehru coche toutes les bonnes cases vu son adoration pour un certain âge d’or, notamment dans sa façon de poser son flow - « ça kicke lourd » dirait ton pote qui pense que le Wu-Tang est encore pertinent en 2018.

Nous sommes quatre ans plus tard, Atlanta règne sur ce rap jeu, Bishop Nehru a rompu son contrat avec Mass Appeal qui préfère tout miser sur Run The Jewels et a enchaîné les projets tous plus insignifiants les uns que les autres. Bref, tandis que certains de ses coreligionnaires (Joey Badass ou A$AP Rocky pour n’en citer que deux originaires comme lui de la Big Apple) ont eu le temps de bâtir leur légende et alimenter leur compte en banque pour les huit prochaines générations, Bishop Nehru est un peu cet éternel rookie qui n’intéresse plus personne, ou presque. Car pour ce qui ressemble quand même fort à l’album de la dernière chance, le soldat Nehru a trouvé deux producteurs qui croient encore en son immense potentiel: MF Doom et Kaytranada, qui se chargent de produire chacun leur moitié du disque - les actes I et II du titre.

Et si sur papier cette association de producteurs à la signature sonore très forte peut sembler assez incongrue, la surprise est très agréable dans les faits: tout au long d’un disque qui évite soigneusement le remplissage propre au rap à l’ère de Spotify, on note une vraie volonté de l’Américain et du Canadien de se mettre totalement au service d’un MC qu’ils apprécient et qu’ils savent capable de grandes choses. Cet amour pour le travail de Bishop Nehru, il passe évidemment par une sélection de productions qui n’ont rien de fonds de tiroir qu’ils refileraient contre un joli chèque au premier couillon venu, mais cela veut aussi dire savoir se mettre intelligemment en retrait quitte à parfois y laisser un peu de son identité au passage. Que les fans de Daniel Dumile et Louis-Philippe Celestin se rassurent: le premier aime toujours autant les boucles capiteuses et le second les basses aux courbes généreuses, mais tout est fait pour mettre en valeur le flow agile et félin d’un Bishop Nehru qui retrouve enfin le feu sacré sur des bangers aussi impeccables que « Driftin » ou « Potassium ».

Evidemment, il convient ici de ne pas s’emballer, car bien qu’impeccablement produit et exécuté, Elevators: Act I & II est surtout un disque qui ne prend pas le moindre risque - non ce n'est pas le "Pet Sounds rap" qu'appelait Bishop Nehru de ses vœux en interview. Non, ce disque résonne plutôt comme le véritable point de départ d’une carrière pourtant entamée il y a une petite dizaine d’années. Putain, il était temps...

Le goût des autres :