Dragon New Warm Mountain I Believe In You

Big Thief

4AD – 2022
par Jeff, le 10 février 2022
9

Des défauts, on a bien du mal à en trouver à Big Thief. Mais une chose est sûre, on ne pourra jamais taxer le groupe américain d’arrogance, même quand il choisit d’intituler son premier album Masterpiece - c’était en 2016 sur le label Saddle Creek Records, qu’il a depuis quitté pour rejoindre 4AD. Le disque n’était peut-être pas un chef d’œuvre, mais il voyait au moins le groupe de folk-rock placer subtilement ses pions et planter les graines d’une carrière qui allait grandir paisiblement, mais avec constance et détermination. 

Tant et si bien que nous les retrouvons six ans plus tard, que trois autres albums ont suivi, et que Big Thief a démontré sa capacité à grandir sans jamais se trahir et tomber dans le piège de l’ambition dévorante. En 2019, quand il sortait en l’espace de quelques mois seulement deux albums (U.F.O.F. en mai, puis Two Hands en octobre), on pensait que le groupe avait atteint un plateau sur lequel il n’avait plus qu’à essayer de rester. Mais ça, c’était avant de pouvoir écouter Dragon New Warm Mountain I Believe In You, double disque enregistré dans plusieurs studios éparpillés sur le territoire américain au terme d’une session d’écriture marathon, en isolement total dans les forêts du Vermont.

Face à un disque aussi monumental, on pourrait ne pas savoir par quel bout commencer pour vous le vendre. Alors on vous dira juste de commencer par le commencement, « Change » : on entend au loin Adrianne Lenker susurrer un « okay? » qui résonne comme une invitation lancée au groupe à la suivre dans ce qui s’annonce comme la première démonstration de force tranquille d’un disque qui va tout exceller dans cet exercice. Dans le droit fil des deux derniers albums de Big Thief, Dragon New Warm Mountain I Believe In You voit les New-Yorkais réciter leurs gammes folk-rock avec un enthousiasme et une passion dont on aurait pu penser qu’ils allaient s'étioler avec le temps. 

Mais c’est tout le contraire qui se passe : c’est précisément au moment où certain·e·s auraient peut-être aimé que Big Thief explore de nouveaux territoires que ses membres choisissent de prendre délicatement par le collier les brebis égarées que nous sommes pour les ramener au bercail. Et pour nous convaincre de ne pas moufter, le groupe nous offre certains des meilleurs titres de son répertoire, alors qu’on pensait qu’il serait difficile de faire mieux que « Not » sur Two Hands, « Masterpiece » sur l’album du même nom, ou « Cattails » sur U.F.O.F. Mais non, de l’allant country de « Spud Infinity » à l’émouvante montée en puissance de « Sparrow » en passant par « Reason to Believe », c’est le groupe tout entier qui s’évertue à se surpasser dans un élan de générosité qu’il conjugue à une volonté de varier le propos, les cadences, les ambiances et les émotions. Car il serait trop facile de réduire Big Thief à la prestation, totale et touchante, d’Adrianne Lenker : le guitariste Buck Meek et le batteur James Krivchenia notamment se chargent de donner densité et relief à un disque qui aurait tant souffert de ce manque; et un morceau comme « Love, Love, Love » démontre combien leur contribution permet à Adrianne Lenker de donner le meilleur d'elle-même.

Malgré un résultat d’une limpidité et d’une simplicité aussi effarantes (une sacrée gageure pour un disque de plus de 80 minutes), il faut voir dans Dragon New Warm Mountain I Believe In You le fruit d’un travail marqué par la minutie, la précision et l'envie de donner toujours plus. Il faut aussi (et surtout) voir dans ces 20 titres une nouvelle preuve de l’importance de Big Thief dans nos vies. En un mot comme en cent, une masterpiece.