DJ-Kicks

Modeselektor

!K7 – 2025
par Simon, le 27 octobre 2025
5

Chroniquer cette énième compilation de la série historique DJ-Kicks nous pose directement la question à un million d'euros : qui en a encore quelque chose à branler d'écouter Modeselektor sur ce genre de format ? Car s'il y a bien un modèle qui a pris un sacré coup de vieux en dix ans, c'est bien celui de la compilation mixée. On ne se refait pas, les vieux cons que nous sommes déploreront sans doute la disparition d'une époque bénie où des labels de référence confiaient leur catalogue à un ponte du genre pour mettre leurs dernières références en situation presque live, où des institutions (Fabric, DJ-Kicks, At The Controls, Balance) mettaient en avant les producteurs les plus en vue pour continuer d'asseoir leur position privilégiée de faiseurs de tendances.

Inutile de dire que de tout ça il ne reste rien, ou presque. On devrait utiliser un jour de congé complet pour lister l'ensemble des raisons qui ont amené au désintérêt pour ce-format mais, comme nous, vous avez déjà probablement une bonne idée sur la question : le streaming, vidéo puis audio et la multiplication des sources disponibles ont fini d'achever un modèle que certains pensaient fait pour durer mille ans. Pourtant, aucune de ces raisons ne sauraient nous enlever l'idée de la tête que ce format hybride était l'un des meilleurs de sa génération. Tout comme son grand frère le dj set, l'exercice de la compilation mixée pouvait maladroitement aboutir sur une enfilade de titres qui ne feront pas date en dehors d'eux-même mais les plus perspicaces d'entre vous le savent, certaines références résonnent encore comme des gigantesques moments de gloire.

C'est exactement là que le format possédait un véritable facteur x, dans sa proposition incertaine entre ce qui ne sera jamais vraiment un album ni totalement un dj set ou une mixtape. Une sorte d'expérience de club (ou non) transfigurée dans le confort d'un salon ou d'une paire d'écouteurs, qui pouvait prendre tout son temps, éventuellement tous les risques, pour amener la personnalité de son auteur à dire quelque chose d'autre, à amener ses influences au devant de la scène. On devrait probablement prendre un deuxième jour de congé pour lister les efforts les plus épiques proposés par le genre, mais qui n'a pas frémi - et frémit encore aujourd'hui – devant le Please Please Please de Tobias Thomas, le DJ-Kicks de Tiga, le Balance de Joris Voorn, le At The Controls de James Holden ou encore le Fabric d'Audion, d'Ivan Smagghe, de Marcus Intalex, de Shackleton ou de M.A.N.D.Y.. Au-delà de l'affirmation, on pourrait véritablement citer des dizaines de sélections qui foutent les poils mais si on vous parle de tout ça avec une pointe d'émotion, c'est que c'est tout ce que ce DJ-Kicks de Modeselektor ne sera pas.

On rassurera directement la foule en colère (et on évitera de se prendre tous les fanboys un peu benêts du duo), il n'y a absolument rien de mal fait ici. C'est même plutôt joli dans l'ensemble, ça joue forcément sur les forces des Allemands, à savoir des tracks léchées et précises, chaque fois prises entre plusieurs feux qui vont toujours de la techno berlinoise aux élans electro romantico-synthétiques, en passant par la bass music et les choses percussives. C'est tout propre et tout lisse comme du Modeselektor, ça ne souffre d'aucune faute de goût sinon celle de ne rien provoquer. C'est d'ailleurs là toute la tristesse de l'exercice, car qui mieux que ces deux darons pouvaient incarner la prise de risque dans cet exercice (ils l'avaient par ailleurs déjà prouvé au travers de leur Boogybytes en 2007), aller chercher le narratif dans leur univers sonore, la progression voire même la transgression.

A la place, on a droit à deux blocs bien distincts : une introduction qui annonce un contenu qui serait le bon résumé de tout le caractère hybride de Modeselektor/Moderat, une interlude via un track de Beirut qui marque bien la césure au milieu pour enchaîner sur une deuxième partie qui passe de la deuxième à la quatrième vitesse sans transition. Ça se raidit, ça accélère un poil mais ça n'a même pas finalement ce mérite d'être simplement extatique. En un mot comme en cent, Modeselektor déroule toute sa palette sans jamais séduire vraiment. Ils sont là, assument leur statut de patrons fainéants – calant ici et là de rares titres dont on se souviendra dans deux semaines - sans jamais dépasser la ligne qui leur aurait permis, à défaut de réécrire l'histoire, de redonner vie à un format qui le demandait tellement. Un coup dans l'eau.

Le goût des autres :