Current

Madensuyu

Unday Records – 2018
par Jeff, le 8 février 2018
5

Si le rap belge est aujourd'hui partout, il fut une époque pas si lointaine où il n'était tout simplement nulle part. A cette époque, la presse préférait s'emballer pour "le rock wallon" (rien que le nom déjà), portant notamment aux nues Ghinzu. Si le groupe a longtemps incarné une forme de réussite insolente avant de disparaître totalement de la circulation, c'était aussi celui qui polarisait le plus en raison de l'attitude pour le moins superbe de son leader - en même temps le mec se faisait appeler John Stargasm et était pubard de formation, ce qui explique déjà énormément de choses. Si témoigner de son amour pour le groupe est peu avouable dans les milieux culturels les plus éclairés et intégristes du Royaume, c'est quelque chose que je n'ai jamais eu trop de mal à faire. Aujourd’hui encore, écouter Blow est un réel plaisir pas bien coupable: j’y entends un groupe qui en fait des caisses certes, mais pas plus qu’un paquet d’autres avant lui. Ces gars avaient surtout le tort d’avoir derrière eux une presse qui donnaient encore plus qu’eux dans la démesure. 

Bref, vu le statut de tricard du rock belge dont Ghinzu est affublé aujourd’hui, dire que ce nouvel album de Madensuyu résonne comme une forme d’hommage indirect et inconscient au groupe bruxellois est une affirmation qui risque d'en faire fuir plus d’un - à commencer par le fan historique d’un groupe qui a toujours été célébré pour l'incroyable tension qu’il parvenait à insuffler à des compositions sèches comme des coups de trique. Et c’est tout le paradoxe de Current: c’est alors que la paire semble en mesure de toucher un public plus large qu’elle publie son disque le moins passionnant. Entendons-nous bien: que le duo basse-batterie intègre dans ses cavalcades noisy des parties de piano un chouïa lacrymales n’a rien d’infamant. Par contre, contrairement à Ghinzu qui écrivait de bonnes chansons qui avaient pour principal de surjouer la partition sur tous les tableaux, Madensuyu nous a sorti un disque qui n’assume pas totalement ses mutations, devrait en faire beaucoup plus mais n'en fait pas assez - est-ce par peur de mal faire ou par manque de moyens, on ne sait trop dire.

Soyons honnêtes: tout n’est pas à jeter sur Current, notamment quand le groupe nous pond de ces fulgurances qui renouent (bien que vaguement) avec la gnaque de ses débuts - le fougueux « One More Time » est le plus parfait exemple de ce que cette nouvelle vision défendue par le groupe peut engendrer de meilleur. Mais le cul désagréablement posé entre deux chaises, Current ressemble surtout à un album de transition, tristounet et parfois maladroit, œuvre d'un groupe qui semble avoir choisi de vieillir en rangeant au placard la furie de D Is Done ou Stabat Mater. Dommage.