All The Quiet (part II)

Joe Armon-Jones

Aquarii Records  – 2025
par Jeff, le 4 juillet 2025
8

Si ça ne semble pas forcément une évidence quand on écoute les albums du panzer afrojazz Ezra Collective, la réalité vous saute aux yeux une fois que vous vous faites rouler dessus lors de l’un de ses concerts : de tous les membres du groupe, le claviériste Joe Armon-Jones est le seul qui semble démontrer une prédisposition à exister en dehors du groupe. Qu’il s’agisse du batteur TJ Koleoso ou de la section de cuivres, tous sont dans une telle débauche d’énergie qu’on le voit mal en avoir encore en stock une fois qu’ils foutent un doigt de pied en dehors d’un studio ou d’une scène.

Joe Armon-Jones lui, est une autre race d’animal, plutôt du genre tapi dans l’ombre, s’acquittant des tâches qui lui incombent avec son doigté légendaire, mais aussi avec une forme de détachement qui est assurément un trait de caractère, mais qu’on a ici envie de voir comme une tendance à en garder sous le coude, à avoir toujours une pige chez les copains, une collab qui (le) fait rêver ou une aventure en solo dans le coin de la tête. C’est ainsi que ses doigts de fée ont fait des merveilles sur les albums du batteur Moses Boyd, qu’il s’est offert le luxe d’un EP avec la légende du dubstep Mala ou qu’il a entamé dès 2017 une carrière solo riche en explorations et dont le projet All The Quiet résonne comme une forme d’aboutissement.

Comme son titre l’indique, All The Quiet (Part II) est la suite d’un premier volume sorti un peu plus tôt dans l’année. Ceux-ci étant indissociables par l’ambition qui les porte et le souffle qui les propulse, il faut prendre cette chronique comme couvrant un diptyque qui fascine par la maîtrise de son sujet et son ouverture d’esprit. On savait déjà que ces choses-là, Joe Armon-Jones en était capable au sein du Ezra Collective ; mais en solo, sa musique avait parfois les défauts de ses qualités, se perdant dans des entrelacs de technicité un peu vains. Cette fois, tout ce qu’on a aimé dans ses précédents projets s’offre à nous dans une version upgradée et parfaitement équilibrée. Ainsi son amour d’un jazz downtempo continue de se diluer dans du dub, de la soul ou du hip hop, et ses compositions avancent en mêlant grooves syncopés et solos bluffants. Devant un tel glow up, on se prend alors à jouer au jeu de comparaisons qui amène le Londonien sur un ring où ça boxe fort : on pense au jazz en apesanteur d’Alfa Mist sur « Paladin of Sound and Circumstance » tandis que le luxuriant « War Transmission » renvoie aux travaux de Kamasi Washington.

Mais à faire l’éloge de Joe Armon-Jones le musicien, on en viendrait presque à oublier qu’il reste un producteur au feeling remarquable, un bandleader malin et un faire-valoir qui ne se sert jamais de ses invités comme d’un prétexte pour briller encore plus fort – sur ce second volume, ils se nomment Greentea Peng, Oscar Jerome ou Nubyia Garcia. Sur une scène qui peine parfois à trouver un second souffle, Joe Armon-Jones aurait tout à fait pu se satisfaire du succès amplement mérité de son Ezra Collective, plébiscité autant par ses pairs (le Mercury Prize en 2023) que par un public en totale soumission (la fête fut folle à Glastonbury). Malgré la coolitude totale qui s’en dégage, All The Quiet ne choisit jamais la facilité, et aligne les chausse-trappes que Joe Armon-Jones contourne avec décontraction et virtuosité. Et si c’était lui le nouveau boss de ce jazz jeu britannique ?