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Beak>

Invada – 2024
par Jeff, le 10 juin 2024
8

Beak> porte aujourd’hui une magnifique cape d’invincibilité. Oui, c’est comme une cape d’invisibilité, sauf que tout le monde vous voit mais personne ne peut vous spinkicker au paradis. Et c’est mérité tant le CV du groupe anglais lui permet aujourd’hui de prétendre au statut de boss de fin de niveau du kraut européen. Et il ne faut pas chercher bien longtemps pour expliquer un succès jamais démenti depuis la sortie du premier album: ils sont intègres, et dans un monde sans Steve Albini, ça fait beaucoup pour le capital sympathie. Mais leur attrait tient surtout au fait qu’ils font “exister” à travers leur musique la meilleure version de Portishead (celle de Third). Et enfin, et c’est peut-être le plus important, on les aime parce qu’ils sortent de très bons disques sur un label, Invada Records, que ce troll magnifique de Geoff Barrow, batteur de Portishead et initiateur du projet, gère en bonne intelligence.

Alors quand le groupe a décidé de sortir son quatrième album sans la moindre annonce préalable car il est convaincu que celui-ci ne peut s’envisager que comme une entité unique et décorrélée de tout effort promotionnel préalable, il n’en fallut pas plus pour nous donner l’un des albums de l’année avant même de l’avoir écouté. Trop beau pour être vrai ? On a d’abord laissé les habituels faiseurs de punchlines se laisser aller à un avis aussi dithyrambique que définitif dans l’heure qui a suivi l’annonce. Tout ça pour finalement arriver au même constat qu’eux deux semaines plus tard : oui cet album est excellent ; et oui, c’est peut-être bien le meilleur d’un groupe qui a suffisamment de recul sur sa formule pour accepter que celle-ci puisse encore être perfectionnée avant même de penser à la modifier.

Autrement dit, entre > en 2009 et ce >>>> de 2024, on a envie de croire que rien n’a vraiment changé, alors qu’une seule écoute des deux disques révèle instantanément une courbe de progression aussi pentue qu’un col hors catégorie du Tour de France. Toujours plongé dans un vieux bouillon 70’s où se mélangent motorik teutonne, post-punk anglais et claviers volés aux meilleurs compositeurs italiens de BO de films d’horreur, l’auditeur est en terrain connu. Et si quelques rais de lumière parviennent à se frayer un chemin jusqu’à la cave humide et poisseuse dans laquelle Geoff Barrow nous a enfermés à double tour (on pense au très beau « Hungry Are We »), il reçoit ce qui rapproche de l’équivalent musical d’une tablette entière de Lexomil diluée dans un verre de gin.

La chose la plus comique avec un disque qui ne l’est pas vraiment, c’est qu’il arrive presque en même temps que le premier véritable album de Beth Gibbons, la voix de Portishead. Le fait de savoir que ces deux disques cohabitent dans les bacs a surtout pour effet de surligner le seul point faible de la musique de Beak> : le chant, parfois défaillant. Quand un titre choisit de mettre l’accent sur les parties vocales davantage que sur le reste (« Denim » est un bon exemple), on se croirait dans un pastiche des Silver Apples, mais on se met surtout à rêver d’un disque collaboratif entre les deux entités, parce qu’on a l’impression que ça pourrait donner quelque chose de dingue, et que ce serait la chose qui se rapprocherait le plus d’une reformation de Portishead qui, avouons-le, n’arrivera peut-être jamais – et c’est peut-être mieux ainsi.

Le goût des autres :