Concert

Primavera Porto 2025

Porto, le 12 juin 2025
par Alex, le 23 juin 2025

Retour en terres portugaises, après une première expédition de notre équipe en 2023 pour Primavera Sound Porto. Le festival, déjà à sa treizième édition, s’est fait son nom en parallèle à son homologue barcelonais et rassemble désormais 35.000 personnes chaque jour, pour un total de 140.000 personnes attendues entre jeudi et dimanche.

Les galères de transport évoquées il y a deux ans, notamment pour quitter le site, ont été largement gommées grâce à une navette facilement accessible. En amont et sur place, comptez sur le fait que les prix sont toujours aussi abordables face à l’économie actuelle des festivals et que la construction des horaires est quasi optimale cette année. Si vous n’êtes par ailleurs pas allergiques aux activations de marques - omniprésentes sur site -, à une circulation fluide et agréable entre les scènes (3/4 sont par ailleurs situées en bas d'une colline, visibilité garantie) ni à une météo volatile mais jamais hostile, vous l’avez déjà compris, vous êtes au bon endroit. Allez, ça part.

 

 

Les grandes claques

Il en faut toujours l’une ou l’autre pour qu’une édition de festival marque durablement nos esprits. Cette année, la première s’appelle Fontaines D.C.. La croissance du groupe de Dublin est depuis quelques années follement exponentielle et le répertoire déployé ce jeudi soir sur la grande scène face à la mer témoigne du nouveau statut sur l’échiquier mondial du rock de Grian Chatten et les siens. Peu vocal avec son public mais pertinemment expressif pour la cause Palestinienne, les Irlandais ont livré un grand set en déboulant avec l’aisance des rockstars puis d'enchaîner “Jackie Down The Line”, “Televised Minds”, “Boys In The Better Land” et forcément une très large sélection de l’excellent et dernier Romance; autant d’exemples concrets dans le très solide arsenal dont dispose Fontaines, désormais à la table des grandes typographies sur les posters. C’est franchement tout ce qu’on leur souhaite.

 

 

Les grandes mandales, c’est surtout le vendredi sur la Vodafone Stage (seconde en termes de taille) qu’elles ont été consécutivement distribuées. Avec TV On The Radio d’abord, qui s’y présente sous une météo radieuse aux abords de 20h. S’être fait froisser de la sorte relève autant de la surprise que finalement d’une certitude dont nous aurions dû faire preuve dès notre arrivée dans la vallée noire de monde. Tunde Adebimpe et ses comparses, discrets ces dernières années, ont majoritairement revisité les titres de Dear Science et Seeds et rappelé combien leur fusion de soul, post-punk et art-rock expérimental restait essentielle. “Fuck ICE, fuck these fascists fucks” glisse-t-il par ailleurs. Ça aussi, c’est tout à fait essentiel.

 

 

Deux heures plus tard au même endroit, nouvelle tarte. Le mot était déjà largement donné auparavant pour ne pas rater Beach House dont la beauté interstellaire a éclaboussé ce début de nuit. Quand on cause aura majestueuse, Victoria Legrand et Alex Scally ne lésinent jamais. La preuve avec un set soigneusement construit sur base d’une discographie dreampop impeccable et entamé dans l’atmosphère feutrée de “Lazuli”, avant que ne s'enchaînent les classiques comme “Drunk in LA”, “Master of None” à la douceur mélancolique de “Wildflower”. Tout semble glisser si facilement tel Mario sur une carapace de tortue, et le groupe engloutit sans peine son monde avec l’inévitable “Space Song” en prélude au grandiose ’”Over and Over”. On quitte l’endroit comme les autres, hébété·es par une heure de magie.

 

 

Depuis 1989, ces grosses gifles dans la gueule ont souvent porté le nom de Deftones. Les vétérans de Sacramento revenaient cet été pour une tournée européenne d’une dizaine de dates avec une vigueur intacte et inespérée. Parler d’un groupe avec un tel bagage et héritage, c’est reconnaître un biais assumé, mais il faut le dire : Chino Moreno est dans une forme étincelante, son bouc emblématique, son régime impressionnant et ses cordes vocales toujours intactes. Steph Carpenter lui, n’est pas de la partie quand il s’agit de venir en Europe (la terre est plate, c’est compliqué) et c’est donc trois membres originaux restants seulement (RIP Chi) qui débarquent sur “Be Quiet and Drive (Far Away)” puis balancent “My Own Summer” en toute ignorance pour nos coeurs. Ces changements d’équipe ne semblent pas avoir entamé la dynamique et le son tout à fait impeccable des américains. Ça déroule une setlist bien gourmande de 16 titres, balayant 4 albums majeurs (Around The Fur, White Pony, Diamond Eyes, Koi No Yokan) avec une conclusion en forme de fan service sur le classique et désormais trentenaire “7 Words”. C’est beau de vieillir ainsi.

 

 

Et bon, pour la dernière torgnole, comment ne pas citer Turnstile, qui profite, tout plein de confiance, de son immense momentum actuel. La sortie récente d’un Never Enough, moins brillant que son prédécesseur, n’a en rien altéré l’excitation et la ferveur autour du groupe, tout du contraire. Ces nouveaux morceaux s’emboîtent comme des pièces de Tetris bien calées et sont intelligemment disséminés dans un set d’une heure de quasi-headliner qui n’oublie pas d’où il vient. Rappelant celle de Fontaines DC mais dans une niche différente, observer ce genre de percée spectaculaire a quelque chose de spécial, d’autant plus quand on sait que l'alignement entre talent, travail acharné et cœur ouvert est ici bien réel. Vivre sa meilleure vie d'artiste, une définition.

Les bons clients

Chaque édition a ses repères, ses visages familiers, ces artistes qu’on retrouve partout ou presque comme un vieux pote en brocante. Il en faut toujours aussi, ça rime quoi sans eux sinon? Le premier soir, il y avait la grande ANOHNI dont on regrette forcément d’avoir loupé le début du set tant on a senti qu’il fallait prendre la proposition dès le départ. Il y avait quelque chose de sacré dans sa voix spectaculaire, comme une prière adressée à une planète blessée. Au centre du concert, un orchestre faisait résonner les échos de Hopelessness ou My Back Was a Bridge for You to Cross; mais aussi des projections de vidéos de scientifiques abordant l’effondrement climatique et la beauté fragile des fonds marins. Tout cela donnait au moment une gravité bouleversante mais il faut bien le dire, une forme de cassure parfois brutale. C’est bien sûr entièrement de notre faute d’être resté si distant géographiquement et peut-être que le format festival trahissait d’autant plus la nature cérémonielle de sa proposition. À revoir en intérieur dès que possible.

 

 

Dans le créneau des très bons clients pour n’importe quel programmateur·ice, la foule la plus impressionnante du weekend se trouvait peut-être devant Parcels dont le set lumineux du samedi a magnétisé Porto comme Radamel Falcao prime à l’Estádio do Dragão. Hérité des années 70 mais taillé pour les dancefloors d’aujourd’hui, le funk électronique de ces gros BG australiens a balancé de l’euphorie contagieuse par citerne, d’autant plus lorsque la star portugaise Maro est passée présenter leur track commun “Leaveyourlove”, issu de LOVED, prochain album du groupe prévu pour septembre. Tout ira bien pour eux aussi.

 

 

On peut également penser à Wet Leg qui a démontré qu’il y a une vie au-delà d’un buzz fulgurant. Portées par cette irrésistible putain de "Chaise Longue" et la désinvolture de leur premier album éponyme, Rhian Teasdale et Hester Chambers ont retourné la grande scène comme c’est souvent le cas désormais, toujours avec aisance et insolence. Les nouveaux tracks de Moisturizer, second album à paraître mi-juillet, ne devraient bientôt épargner personne et on n’a pas fini d’avoir les jambes mouillées cet été. Il y avait aussi Waxahatchee, emmenée par Katie Crutchfield, qui nous a proposé sa folk/americana pleine de sensibilité ou encore Kim Deal, icône absolue du rock alternatif, qui a rappelé avec pudeur (et quelques antisèches en portugais) que l’histoire du son indé passe par elle (oui, il y a eu “Cannonball” et “Gigantic”).

 

 

Dans le versant plus rock, on en placera également une belle pour le retour, près de 10 ans après, des légendes de l’emo Cap'N Jazz. Nous n’étions pas forcément nombreux·ses (la faute à ce diable de Jamie XX) mais Mike Kinsella (American Football), en grande forme derrière les fûts cette fois, et son cousin Tim, également très en verve, ont insufflé à cette résurrection inattendue la dose de nostalgie et de célébration qu’on recherche, à l’occasion des 30 ans de leur seul et unique LP pépite, Shmap'n Shmazz.

 

 

Il y avait aussi les désormais inévitables et glorieux High Vis, contraints de faire face à l’implacable brutalité du set simultané avec Charli XCX le jeudi soir. Les Anglais n’ont pas démérité devant une audience forcément plus restreinte et c’est sur le sensationnel “Choose To Loose”, avec beaucoup de gratitude nonobstant, qu’ils s’éclipsent. On ne vous oublie absolument pas les copains. Enfin, les mythologiques The Jesus Lizard, toujours aussi imprévisibles, étaient également programmés à 1h30 pour conclure notre première soirée dans la capitale portugaise. Il y a quelque chose d’unique à observer David Yow, la soixantaine rugissante, laisser libre cours à son libre arbitre : s’envoler dès le premier morceau, danser avec les agents de sécu et toutes autres sortes de pensées intrusives. “Obrigado motherfuckers,” lance-t-il. Non, c’est à vous qu’on dit merci pour tout, les anciens.

 

 

Les belles promesses

Ces éclats encore bruts que l’on sent déjà précieux, il en faut toujours aussi et ils ont cette année brillé à Porto. A l’image des jeunes enfants de Momma, par exemple, qui ont confirmé qu’il faudra désormais les prendre au sérieux grâce à un indie rock texturé, titillant autant Sonic Youth que les grands du shoegaze, le tout avec un swag déjà bien établi. Même constat chez Horsegirl, tout droit sorties de Chicago (littéralement arrivées le matin même) et qui ont prouvé avec une sincérité scénique presque touchante que les références 90’s ne mourront définitivement jamais.

On pensera aussi à Glass Beams dont la formation, rappelons-le, date à peine de 2020. On croirait pourtant le trio indo-australien masqué paré depuis bien plus longtemps quand il déroule son psychédélisme habituel dans une performance qui préférait régulièrement titiller les sonorités électroniques que le smooth jazz psychédélique avec lequel on les a découverts.

 

 

Chat Pile forcément, dont la performance de minuit sur la petite scène (face à Central Cee, un affrontement qu’on n’a pas vraiment osé tenter) fut un de ces moments capables de faire basculer des opinions. Installé depuis 3 ans dans un palier supérieur de la niche entre sludge/metal et spoken-word habité, le quatuor de l’Oklahoma régale toujours autant par la voix inénarrable de son Raygun Busch de chanteur et ses anecdotes cinématographiques de haut niveau. On sent que le groupe se fait toujours plus d’amie·es à chacune de leurs apparitions, qu’il se rend bien compte de vivre quelque chose de spécial et que c’est loin d’être fini. "Il y a des news qui rendent le smile <3" comme dirait l'autre.

20 minutes, c’est le temps de set dont ont été amputés (par leurs propres soins?) les cool kids de Fcukers mais c’est moins qu’il nous en a fallu pour adhérer à leur projet. Le quatuor de New York signé sur Ninja Tune évolue dans un drôle de créneau entre big beat, house et trip-hop et devrait très certainement réapparaître sous les radars ces prochains mois.

Voilà, on a fait le tour. Et Charli XCX sinon ? La principale tête d'affiche de cette édition a dès le premier soir et haut la main remporté les concours d'assurance et de prestance, de merch vendu, de karaoké général, de catwalks et de club classics. On a senti la reine toutefois un peu surmenée de son quasi-soudain et gigantesque impact sur la pop-culture avec l'interminable Brat summer qui visiblement se prolonge jusque 2026. Le banner en lambeaux aux couleurs dudit album, rapidement arraché par la Britannique, en témoigne peut-être. On la comprend et on ne lui veut pas bien sûr. L'assemblée très diverse qui s'est présentée à elle était totalement extatique pour la nuit et ça a fait l’affaire de tout le monde.

En bref, vous l’avez deviné, Primavera Sound Porto réunit tout ce que l’on attend d’un festival de haute volée: une programmation exigeante sur un site à taille humaine dans une vraie atmosphère de vacances; il se murmure qu’il y a toutefois eu moins de monde, de scènes, d’artistes (seulement une grosse soixantaine par rapport aux 150 de l’année dernière !), et moins de genres (avec une représentation plus timide du hip-hop et de la techno par rapport aux autres programmations contemporaines) mais il ne semble qu’aucun de ces facteurs n’a vraiment pu éroder le plaisir d’avoir foulé l’écrin verdoyant du très sympathique Parque da Cidade durant ces trois jours. Over and over.

Crédits photos : Hugo Lima