Concert

Primavera Sound Porto 2023

Porto, le 8 juin 2023
par Jeff, le 9 juillet 2023

Après plusieurs années à s’esquinter les chevilles sur l’asphalte du Parc del Forum, il était temps de changer d’air et d’aller enfin rendre visite à la petite sœur du Primavera Sound sur la côte atlantique. Une petite sœur portugaise plus tranquille, plus verdoyante et nettement plus abordable. C’est entre autres pour cette dernière raison (et parce qu’on commence tout doucement à sentir nos articulations crisser par temps humide) qu’on s’est accordé un pass VIP, histoire d’en profiter dans des conditions un chouïa plus confortables. Une décision qui nous a tout de même bien rendu service lorsque la météo nous a dit d’aller nous faire voir sous un poncho. Cela dit, 250€ pour 4 jours, cela reste un luxe plutôt accessible lorsque l’on sait que l’équivalent barcelonais s’écoule à plus du double.

Réputée pour être la version « light » de l’édition originale, le Primavera Porto promet une foule moins dense à affronter, des distances moins éprouvantes entre ses cinq scènes (quatre extérieures et un hangar pour accueillir les danseurs en fin de nuit) et un emploi du temps plus facile à gérer, le clash des Titans ayant rarement lieu. Bien entendu, il faudra se satisfaire d’une affiche moins fournie avec quelques absences remarquées mais qui invite aussi à donner une chance à des groupes plus discrets. On aura également eu le plaisir de retrouver les horaires du Sud qui évitent d’exploser l’alcoomètre dès 17h mais qui exigent d’être encore frais à 1h du mat pour applaudir la première tête d’affiche.

Côté bars, on a droit à la tradition toute primaverardienne de l’amateurisme le plus total. Les files ont beau être moins longues, l’organisation n’a toujours pas intégré que les Super Bock se servaient dix par dix avec de la mousse sur le dessus. Notons par la même occasion la grande arnaque du gobelet réutilisable à 1€ sans possibilité de récupérer la caution. En partant du principe que des milliers de soiffards égarent leur précieux récipient une bonne dizaine de fois, on n’ose même pas imaginer la cagnotte récoltée pour le pot départ du stagiaire.

Une fois ta bière en main, il sera l’heure de te poser dans la prairie de ton choix, toutes en pente - une bénédiction pour les petits gabarits qui vont enfin pouvoir découvrir à quoi ressemble la tête du bassiste ­— et dont tous les clubs de foot du monde aimeraient avoir l’adresse du jardinier vu la manière dont la pelouse a tenu le choc après deux jours de piétinements sous la pluie.

Niveau transports, c’est une autre galère qui s’annonce. Qui dit pas de camping, dit une nuée de festivaliers hagards à la recherche du moyen le plus rapide de rejoindre son lit. La ligne de métro la plus proche (située à un bon kilomètre) ne circulant pas toute la nuit et les arrêts de bus étant mal indiqués, on assiste à une grande transhumance vers le centre-ville le long d’une route principale peu éclairée et aucunement sécurisée. Le premier qui appelle un Uber a perdu.. et nous avons très vite accepté de faire partie des losers.

Damon Albarn bourré, et pas que de bonnes intentions

Il y a toujours une certaine appréhension à retrouver un groupe bien-aimé après une aussi longue période d’hibernation. Ont-ils vraiment envie d’être là ou doivent-ils avant tout payer les traites de leur cottage dans la campagne anglaise ? Heureusement pour tout le monde, vous pouvez miser vos billes sur la première option. Bien loin de donner l’impression de cachetonner, les Londoniens ont coché toutes les cases du fan service, ratissant 30 ans de carrière avec un certain sens du bordel contrôlé. Damon est passablement éméché, Alex enchaîne les clopes, Graham regarde ses pieds, Dave est imperturbable. Chacun est dans son rôle, tout est en ordre, mais surtout, le plaisir d’être là est palpable, à l’image des nombreux sourires en coin que s’échangeaient les différents membres du groupe. Damon Albarn se démenait à un tel point qu’on a cru un moment que son repas du soir allait faire une apparition divine en plein morceau. 

Les gars ont sorti les caisses du grenier (“There’s No Other Way” lancé d’entrée de jeu) et régalent avec 1h30 d’un best of carré et généreux, au point de renfiler le survêt en velours quand il s’agit d’attaquer l’ère Parklife. On a également pu constater sur pièce à quel point leur single “The Narcissist” tient remarquablement bien la route et semble annoncer un solide album à venir. Grosse praline de fin de weekend.

Same player, Fred again..

Comme on pouvait le prévoir, Fred again.. est en passe de devenir un des personnages les plus clivants de 2023 avec son succès insolent, son omniprésence dans tous les festivals, dans des salles de plus en plus grandes, et sur les réseaux sociaux (avec les memes qui vont avec, évidemment). Surtout que depuis la sortie de Actual Life (April 14 – December 17 2020) en 2021, le victory lap n’en finit pas, sans pour autant que le public se lasse d’un show réglé comme du papier à musique mais duquel se dégage pourtant une spontanéité qu’on a du mal à croire feinte. Alors quand il débarque sur le coup de 23h20 devant une scène Vodafone très généreusement garnie et toute acquise à sa cause, on sait déjà que rien, et pas même la pluie battante, ne viendra entraver la réussite d’un show qui s’appuie sur des mécaniques qui frôlent parfois avec la mièvrerie, mais qu’on pardonne vite - dès que l’on entend les premières mesures de “Jungle”, “Marea (we’ve lost dancing)” ou “Delilah (pull me out of this”).

Doug Martsch, l’anti-guitar hero

A l’exact opposé de Fred again.. et de son hypersensibiltié extrême, on trouve Doug Martsch, chanteur et guitariste de Built to Spill. Zéro présence, zéro charisme, zéro communication. Chez lui, tout va clairement dans le travail de composition, l’envie de pondre des solos dignes des meilleurs disques de Neil Young et la meilleure utilisation possible de ses pédales d’effets. Et c’est probablement pour cette raison que plus de 30 ans après le premier album de son projet, l’Américain est toujours là (au contraire du groupe qui l’accompagne et évolue au gré des albums) et traîne derrière lui une bonne petite communauté de fans indécrottables qui ne rateraient pour rien au monde un passage du groupe sur le Vieux Continent, où il se fait plutôt rare. Et comme ça, l’air de ne pas y toucher, Built to Spill a livré une des meilleures prestations du festival, réussissant le petit exploit de baliser trente années d’une riche carrière (les 5 premiers titres étaient issus  de cinq albums différents), sans bien sûr oublier de se terminer sur “Carry the Zero”, morceau emblématique d’un certain rock alternatif américain des années 90. Et plus généralement, ce concert a été bien représentatif d’une édition 2023 où la vieille garde ne sera pas contentée de jouer les accessoires : on gardera notamment un excellent souvenir des concerts des Sparks, des Pet Shop Boys et des revenants de Karate, dont la fusion slowcore / jazz nous avait bien manqué après toutes ces années.

St Vincent et Le Tigre, ladies first

On s’en voudrait de ne pas glisser un mot pour celles qui se sont succédé à 10 minutes d’intervalles sur deux scènes voisines dans la nuit du vendredi. A notre droite, Annie Clark, toujours sous sa perruque blonde de Daddy’s Home, délivrant sourires, œillades et solos complices avec son guitariste. Annie a l’air de beaucoup se plaire dans son costume et ne rechigne pas quand il s’agit de distribuer ses meilleurs titres à une foule conquise. Annie cabotine aussi un peu mais c’est difficile de lui en vouloir parce que c’est exactement pour ça qu’on signe à chaque fois. 

A notre gauche, le trio Le Tigre, visiblement surpris de l’engouement suscité par leur retour après quinze ans d’absence. La performance est parfois chaotique et les chorégraphies aléatoires mais tout cela est parfaitement assumé dans la bonne humeur. La virée improvisée avec ces copines qu'on avait perdu de vue et qui ont ramené suffisamment de bouteilles pour enterrer toute inhibition (en mode karaoké bien sûr, histoire que le message de base ne passe pas complètement en dessous de la boîte à rythmes). Dans les deux cas, nos glorieuses du soir ont fait ce qu’elles savent de faire de mieux : empoigner leur audience par la peau du cou.

Bits & pieces

On l’a dit plus haut, l’un des arguments principaux en faveur de l’édition “portoense” du Primavera réside dans son site verdoyant et vallonné, où toutes les scènes à ciel ouvert sont délicatement balayées par les vents. Toutes sauf une : la Bits, dévolue aux dj’s, et ouverte à de 23 heures à 6 heures, comme pour mieux se rapprocher d’une expérience club traditionnelle, plutôt que de boucher les trous d’une programmation avec des dj’s qui se demandent parfois un peu ce qu’ils foutent là. Pas de ça ici, avec un immense hall certes aussi impersonnel qu’un menu Big Mac, mais très correctement sonorisé, programmé de manière cohérente et rapidement peuplé de curieux très heureux de voir les dj’s du jour se mettre au diapason du line-up - on pense notamment à un Teki Latex  qui a livré un set techno aux antipodes de ses habituelles sélections joyeuses, même si le bougre a quand même réussi à caler le générique de Succession entre deux ogives à 135 BPM. Mais on se doit surtout d’en placer une pour Marcellus Pittman, dont l’influence sur “le son de Détroit” aujourd'hui incarné par Omar-S ou Kyle Hall est immense, lui qui a écrit une des plus belles pages de l’histoire de la musique électronique de la Motor City au sein de Three Chairs, projet où il était rejoint par Moodymann, Rick Wilhite et Theo Parrish. En deux heures d’un set bourré de groove et de classiques, aux antipodes des sélections un peu poseuses et sans âme dont se fendent certains en festival, le vétéran américain a réussi à mettre sur du velours une Jayda G qui aura déroulé un set peut-être un peu trop similaire à sa Boiler Room londonienne sortie quelques semaines plus tôt. Serions-nous en train de bouder notre plaisir? Un peu, peut-être. Y retournerons-nous l'année prochaine? Ce n'est vraiment pas à exclure.