Tomorrow's Modern Boxes

Thom Yorke

BitTorrent – 2014
par David C., le 9 octobre 2014
5

Le problème avec un bon élève, c’est qu’on s’habitue au sans-faute qui fait plaisir et qui stimule les neurones et l’imagination. On devient alors plus exigeant et moins objectif quand le premier péquin du ventre mou ou le cancre du fond de la classe bénéficient d’un ébaudissement ahuri à la moindre tentative d’intelligence… Et si c’était Bob Sinclar qui avait sorti Tomorrow’s Modern Boxes, cette chronique aurait-elle été aussi rude ? On aurait plutôt salué la tentative, l’application dans la réalisation ainsi que la prise de conscience de ce qu’est enfin la musique. Ce n’est pourtant pas le Français qui a sorti le disque, mais Thom Yorke. Il ne bénéficiera alors que difficilement de la mansuétude dont on aurait fait preuve pour le petit Bob qui a déjà redoublé 3 fois. C’est comme ça.

Mais le problème peut parfaitement résider ailleurs et sembler moins évident qu'il n'y paraît : et si Thom Yorke n’était pas aussi bon élève qu’il semble l'être ? En effet, le « leader » d’un groupe (à savoir, pour le commun des mortels, celui qui tient le micro) souffre d’un syndrome assez commun et chronique chez cette engeance : il est souvent moins bon lorsqu’il développe son projet solo. Dans le cas contraire, il n’aurait probablement pas besoin des autres et il ne ferait pas partie d’un groupe. L’une des raisons de ce syndrome est extérieure aux musiciens. C’est un fait, le chanteur phagocyte l’attention du spectateur. Ainsi la réussite musicale du groupe se trouve incarnée dans celui qu’on entend le plus dans le haut-parleur, qu’on voit le plus à la tv, dans la pub ou au concert. Or il est assez rare que le chanteur soit apte à tenir seul les rênes de la création. Ce n’est pas tant le charisme du gars qui est en cause mais sa capacité à combler en solo les énergies manquantes. Il est des moments où l’émulation devient un facteur important de créativité et de réussite dans la production d’un groupe, et manifestement, Thom Yorke en a intimement besoin.

The Eraser, le premier et précédent album solo de Yorke en 2006, était déjà plus terne que les réalisations de Radiohead de l’époque. Pis : The Eraser Rmxs pouvait prétendre à plus de groove et de relief que l’original. Tomorrow’s Modern Boxes souffre exactement de ces mêmes carences : une production léchée certes, mais une certaine pauvreté dans la composition, une monotonie dans la réalisation et dans l’interprétation qui confinent au maniérisme. Le plan marketing ne laissait d’ailleurs rien présager de bon : le fan de Radiohead avouera avoir été tout d’abord effaré par ce teaser qui laissait supposer que les nouveaux sons de l’appli PolyFauna feraient parties du futur album du groupe, les instrus étant particulièrement plats et creux (vous pouvez oublier la géométrie euclidienne mes amis : on peut être à la fois plat et creux en musique). Quel soulagement de constater que ce n’était « que » du Thom Yorke ! Ensuite, est-ce que quelqu’un pourrait nous expliquer la démarche économique/éthique/politique qui consiste à vendre son album  - certes à un prix modique – par l’intermédiaire d’un torrent généralement dévolu au peer to peer, donc à l’échange gratuit de fichiers, voire au piratage ? Le discours de son producteur Nigel Godrich, qui parle de plus grande maîtrise de la distribution en dehors des grands trusts digitaux (coucou iTunes et U2) nous semble un peu fumeux quand on sait la puissance éditoriale dont peut disposer Yorke, ainsi qu'avec l'existence de toutes ces plateformes indépendantes de téléchargements, et surtout quand le vinyle est vendu directement sur le site de l'album à 30£... Nous sommes bien loin de In Rainbows qui pouvait être téléchargé au prix décidé par l’internaute.

L’album est donc une suite assez fadasse de nappes plus ou moins glauques de synthés, avec cette coquetterie tellement 2010’s de laisser la crudité du son électronique presque pur (so Kraftwerk!), ou « comment je compose de la musique avec des sinusoïdes et c’est trop bath ». Là-dessus, sur un mid-tempo quasi ininterrompu, notre Tommy nous chouine quelques notes avec sa diction nonchalante si particulière - "Interference" est à ce point de vue le plus anecdotique. Et même lorsqu’il tente de faire bouger un peu la casbah, Yorke s’enlise dans des boucles qui ne mènent pas bien loin ("The Mother Lode"), et ça n’en finit plus, tellement le manque de relief endort sans réussir à mettre en transe. On aurait bien voulu sauver "There is no Ice (for my Drink)" dont l’intro aux accents tout Underworld-iens laissait enfin présager un morceau digne de ce nom. Mais là où la science du dancefloor du groupe londonnien lui donne tous les atouts dans la gestion du groove et de la dramaturgie, Thom Yorke se remet à tourner en boucle, et ça dure, et ça dure, et ça dure… A trop jouer les Rimbaud révoltés, le garçon s’enlise et tend plutôt à se rabougrir en vieux Werther cacochyme tourmenté par ses propres jérémiades. Vivement que ses habituels camarades de jeu viennent le sortir de sa léthargie. L’entrée en studio du groupe va lui permettre de se sortir les métacarpes du scrotum et se mettre à faire de la musique.

Finalement, on notera sur le bulletin : « Thom doit se garder de ses velléités de travail en solitaire : il n’en a ni les reins ni la carrure, et il n’est jamais aussi bon qu’en travail d'équipe. Peut-être devrait-il enfin l’accepter et ravaler sa fierté : il n’y a aucune honte à être un musicien du rang sans être concertiste. »

Le goût des autres :
6 Maxime