In Rainbows

Radiohead

XL Recordings – 2007
par Popop, le 15 février 2007
9

A force de chercher à brouiller les pistes, Radiohead est devenu l’un des groupes sur lesquels il est le plus difficile d’écrire sans s’égarer. Il faut dire qu’entre son annonce soudaine, sa disponibilité quasi-immédiate, son mode inédit de distribution et sa quasi-gratuité, In Rainbows risque fort de faire parler pendant de longues semaines… mais pas forcément de musique. C’était le risque de la démarche : en bousculant les normes de diffusion, Thom Yorke et les siens ont créé un véritable tourbillon médiatique qui est en train d’éclipser le sujet principal - à savoir ces dix nouveaux morceaux attendus depuis 2003 et la sortie de Hail To The Thief.

Et pourtant, il y en a des choses à dire à propos de ce nouvel album, et d’abord que l’on est content de pouvoir l’entendre plus tôt que prévu puisqu’il était à l’origine prévu pour début 2008. La satisfaction est d’autant plus grande que le résultat est très bon, excellent même, et que ce n’était franchement pas gagné sur le papier. Car depuis quelques années, on ne savait plus trop sur quel pied danser avec Radiohead : cloîtré dans son studio, communicant de façon énigmatique avec ses fans (via des messages plus ou moins cryptés), choisissant de façon quasi-scientifique ses sorties, le groupe donnait l’impression de s’être fait engloutir par le monstre qu’il était devenu – un monstre de notoriété et de paranoïa.

Et à côté de ça, pas grand-chose pour rassurer le fan : un pauvre inédit sur la compilation Warchild (l’anecdotique "I Want None Of This"), un album solo électro-masturbatoire pour Yorke et une tournée en 2006. Cette dernière, organisée pour tester sur scène ces nouveaux morceaux, ne restera d’ailleurs pas dans les annales du groupe, à l’instar de cette tiède prestation en tête d’affiche du festival Rock en Seine. Une sensation de déjà vu et de déjà vécu flottait alors sur le Parc National de Saint-Cloud, entre copié-collé sans passion de morceaux vieux de plus de 10 ans et bidouillages approximatifs autour d’une poignée de titres inédits pas franchement excitant. Ce soir là, on quittait le festival se disait qu’une page était en train de se tourner…

D’une certaine manière, c’est le cas. Une page s’est tournée avec Hail To The Thief, refermant le chapitre ouvert en 2000 par Kid A puis prolongé l’année suivante avec Amnesiac. Désormais libre de tout contrat et de toute contrainte, Radiohead a pu pendant trois longues années se laisser porter par ses ambitions musicales, expérimenter, écrire des centaines de morceaux, les construire, les démolir, les réinventer, tout remettre en cause jusqu’à perdre la raison, jusqu’à perdre de vue la finalité de la musique : le plaisir. Et c’est sans doute ce que le groupe a tenté de retrouver sur scène l’an passé : un plaisir, une spontanéité, un contact avec le public, bref une bouffée d’air frais avant de se replonger dans les profondeurs moites des studios.

Un acte désespéré ? Peut-être. Mais à l’écoute de In Rainbows, leur disque le plus direct, le plus cohérent, le plus spontané depuis The Bends, on se dit qu’un miracle s’est produit, qu’une alchimie prodigieuse a permis aux cinq d’Oxford de trouver plus qu’un nouveau souffle, une nouvelle vie. Ce disque de Radiohead, on n’aurait osé l’espérer il y a quelques mois. Car bien que plutôt bon, Hail To The Thief restait prévisible, tantôt jouissif, tantôt rébarbatif, et porté surtout par deux énormes morceaux ("2+2=5" et "There There"). Tandis qu’ici, difficile d’isoler les chansons tant elles font sens ensemble. Bien sûr, en cherchant un peu, quelques mélodies, quelques accords se démarquent : le rock rugueux de "Bodysnatchers", la féérie folk de "Faust Arp" où l’on jurerait entendre le fantôme de Nick Drake, la beauté céleste de "Nude" (un titre vieux de plus d’une décennie) et surtout la pop parfaite de "Jigsaw Falling Into Place". Mais tout est tellement fluide, tellement naturel de la première à la dernière seconde que l’on imagine mal écouter ces titres autrement que dans ce prisme réducteur mais vital à l’artiste qu’est l’album.

Et c’est sans doute là toute l’ironie de la chose. Alors que la sortie de In Rainbows semble sonner le glas de la musique physique et l’avènement de la musique numérique, alors que l’on s’apprête à célébrer partout dans le monde le single téléchargeable et le zapping musical, Radiohead sort son album le plus entier et le plus indissociable. Les adorateurs du groupe y verront un acte parfaitement calculé, les autres plus une maladresse qu’autre chose. Peu importe au fond : chacun trouvera sa manière propre d’écouter ces 10 morceaux, en attendant les 8 inédits prévus pour le CD bonus du coffret collector à paraître en décembre (60 euros tout de même). Eh oui, c’est ça le talent : donner l’illusion de la gratuité tout en poussant les gens à payer encore plus. Mais tant qu’ils sont bons, on sera cons et on leur pardonnera…

Le goût des autres :
9 Nicolas 3 Julien 9 Jeff 10 Splinter 9 Soul Brotha 9 Julien Gas