Murder of The Universe

King Gizzard & The Lizard Wizard

Flightless Records – 2017
par Pierre, le 12 juillet 2017
8

Quiconque s’est déjà cloitré des jours durant dans sa chambre pour barioler des figurines Warhammer ou casser la gueule à des gobelins sur son PC ne peut décemment affirmer que l’heroic fantasy génère du lien social. Et cela pour une raison assez simple : à quelques exceptions près, ces univers fantastiques plein de créatures largement stéréotypées véhiculent une image à peu près aussi sexy que ce que nous dit notre imagination sur la manière dont ces bestioles se reproduisent. 

D’autant qu’à l’heure où King Gizzard & The Lizard Wizard s’affirme de plus en plus comme l'intouchable figure de la musique psychédélique actuelle et son plus fidèle défenseur, capable de l’individualiser des styles auxquels elle est abusivement rattachée et de lui donner une identité propre à l’intersection des genres et des étiquettes, on se demandait silencieusement pourquoi diable le groupe allait s’embourber dans ce merdier pubertaire fait de sorciers et de créatures démoniaques.

Même si on a pas trouvé véritablement de réponse à cette question, au moins ce Murder of The Universe aura-t-il le mérite de nuancer les propos que nous tiendrons à l'avenir sur cet univers. Car avec cet album qui relève autant de la narration romanesque que de la création musicale, les Australiens parviennent à créer un objet unique en son genre, du moins pour la scène musicale à laquelle il est censé appartenir. Dépeignant par tous ses composants la sinistre dystopie d’un monde post-apocalyptique dans lequel défilent divers protagonistes (ça va d’une sadique chimère homme-ours à un cyborg dont les souhaits se résument à mourir et vomir), Murder Of The Universe est un voyage insolite dont l’essence n’est totalement appréciable qu’une fois les paroles sous les yeux.

Et tandis que les textes 'heroic fantaisistes' sont à considérer comme une manière originale de raconter le monde inquiétant mais tristement drolatique dans lequel le groupe nous projette, ils structurent parfaitement un univers dont l'épaisseur est conférée par une longue suite instrumentale comme seul King Gizzard & The Lizard Wizard peut en créer: on oscille toujours entre rock garage épileptique et trash-métal crasseux, avec même des relents de free jazz cette fois. Un tapis de velours donc, sur lequel Stu MacKenzie n'a plus qu'à poser sa voix et ses hurlements. Car sur le plan strictement musical, le groupe affine alors toujours plus sa singulière formule, celle d’I’m In Your Mind Fuzz et de Nonagon Infinity, parvenant à enchainer avec une maîtrise affolante riffs sabbathiens bien lourds et tempos frénétiques.

Au milieu de ce joyeux bordel, il faut quand même ajouter de nombreux interludes représentés par une voix féminine décharnée, qui derrière son air innocent dénonce assez justement notre rapport à la vie et à l'intelligence artificielle. Alors disons-le malgré tout, le rythme global de Murder of the Universe est un peu obstrué par ces nombreux passages parlés qu’il est tout à fait acceptable de trouver un peu chiants. Sauf que cela reviendrait à oublier que ceux-ci constituent très exactement ce qui fait de cet un album une pièce unique. Car tout ceci aboutit à une sorte de maelström sonore défilant à toute berzingue et à une histoire homérique, qui ne se révèlent franchement jouissifs qu’après de nombreuses écoutes et une fois tous les tenants et aboutissants digérés. De sorte que, finalement, en ajoutant sans cesse de nouvelles cordes à son arc et de nouveaux possibles à explorer, le reptile australien parvient sans cesse à surprendre, à étoffer sa palette, et in fine à chier autant de pièces nécessaires à toute bonne discographie que d’albums tout court. 

Le goût des autres :