Concert

Dour 2015

Dour, Plaine de la Machine à Feu, le 15 juillet 2015
par Yann, le 3 août 2015

Ce qu'on a choisi d'aller voir

Autechre

Dans la série des concerts non négociables, Autechre était dans le peloton de tête. Parce que chacune de leurs apparitions annonce quelque chose d’éminemment fractal, parce que même avec une connaissance de cette discographie qui pousse à la schizophrénie, on sait que rien ne peut jamais vraiment nous préparer à une heure en compagnie de la paire Brown/Booth. Pourtant, on aura eu du mal avec cette prestation. Peut-être parce que le tournant un poil bass music post-Exai laisse un drôle de goût dans la bouche en live (il suffit de voir les cons continuer à danser comme sur de la drum’n’bass pour comprendre que quelque chose ne colle pas). Les énormes blocs de béton continuent de se faire découper au laser, pivotent et nous percutent le crâne, et pourtant, quelque chose semble trop facile dans le déroulement du bordel. On commence à se demander si on doit être satisfait ou non de ce qu’on entend, et c’est déjà trop pour un groupe qui, quand il décide de véritablement jouer (quatre séquences de cinq minutes), casse littéralement tout le chapiteau sous ses assauts. Carton jaune, mais on vous aime quand même plus que tout <3

Isaac Delusion

Qu'il est parfois plaisant d'écouter de la musique qui fait simplement sourire. Non, je ne vous parle pas de ska-punk festif avec un brass-band de 18 joueurs d'accordéon, mais d'une pop teintée d'électronique, ensoleillée comme il faut, avec des compositions sautillantes qui évoque The Whitest Boy Alive. Ouais, c'était sans doute exactement ce qu'il nous fallait sous le soleil du jeudi après-midi. La voix haut-perchée du chanteur fait penser à Jimmy Sommerville, les paroles un peu niaises font malgré tout plaisir. Est-ce qu'on réécoutera ça l'été prochain? Sans doute pas. Mais qu'importe, là, on est bien.

James Holden

Entre Rone et James Holden, le choix était tout fait. Si on a beaucoup de respect (variable selon les membres de la rédaction) pour le travail du Français, il ne faisait aucun doute que la surprise ne pouvait venir que du live de l’Anglais. Que ce soit pour sa tête de geek asocial ou pour ses visions de grandeur étalées sur ses deux LP’s, on sentait bien que rien ne pourrait être normal le temps de cette prestation. A commencer par la structure de jeu, qui rajoute, outre le traditionnel laptop, de l’équipement modulaire, un batteur et un saxophoniste. Posé. Le résultat est clair, carré et maîtrisé: on est dans le meilleur d’un croisement entre la kosmische musiek de Tangerine Dream, les tentatives binaires d'Etienne Jaumet (venu accompagner l’Anglais, d’ailleurs) et la techno ultra cheesy et étirée de Petar Dundov. C’est incroyablement érudit, jamais (ou presque) trop branleur, et ça n’en finit pas de monter jusqu’à une dernière demi-heure complètement incroyable. James Holden a prouvé qu’il était au-dessus du game, une fois de plus. Comme si ça étonnait encore quelqu’un.

Rangleklods

Une des raisons qui nous pousse encore et toujours à revenir à Dour, c’est qu’on est certain d’y faire l’une ou l’autre découverte inattendue. Rangleklods est l’une d’elles. Le groupe danois jouait samedi sur la Jupiler Dance Hall, ce jour-là en partie consacrée à la pop scandinave. Si Mø a déçu les attentes que certains (pas nous) avaient placées en elle avec un playback finalement peu motivant (en comparaison avec celui de Yelle, deux jours plus tôt, bien plus fun et décalé), le duo Rangleklods a lui étonné. On y retrouve évidemment les éléments classiques de la pop du nord, ce côté synth-pop dépressive mais dansante. On y aura apprécié un duo à la présence scénique atypique et la voix masculine excellente, ce qui est assez étonnant dans ce genre de format. On ne connaissait pas un morceau en arrivant, on est ressorti avec le groupe sur notre liste “à écouter en rentrant”. Bien joué!

Lefto

Les samedi de la Boombox, on commence à les connaître. Et à les apprécier aussi, puisqu’on s’en remet toujours, et non sans plaisir, aux talents multiples du Flamand pour la programmation de ce qu'il est coutume d’appeler aujourd’hui la « Salle Lefto ». Un line-up qui n’étonne plus (ou presque) pour tout qui connait un peu les goûts de l’ambianceur, mais qui permet de toujours finir cette soirée en apothéose sur un set du protégé de Gilles Peterson. Les grincheux diront qu’on finira par connaître la machinerie par cœur, mais dieu qu’il est bandant de voir Lefto éclater sa science du beat derrière deux platines. Séquences distinctes après séquences distinctes, notre étalon belgo-belge prouve, premièrement, qu’il a accès à des pépites improbables et surtout, deuxièmement, qu’il ressent les vents de magie pour tout servir avec un naturel, une classe et une aisance tout juste assourdissante. Le set aurait pu durer trois heures de plus, on n'aurait rien vu, et on en aurait même redemandé. Lefto, dans son jardin, a encore mis les pendules à l’heure. Comme d’hab, ouais.

Laetitia Shériff

La dernière venue de la française au festival de Dour remonte à 2004 (et pas 2001, comme indiqué sur leur site). A l’époque, elle avait joué son album Codification, sorti cette année-là, et on avait déjà pu observer que la timidité et le trac de la scène qu’elle manifestait ne l’avaient pas empêchée d’offrir un concert marquant. Onze ans plus tard, tiens, rien n’a changé. Alors qu’en fait, si, tout a changé, dirait très justement Bertrand Belin, avec qui elle a déjà partagé la scène. Des nouveaux morceaux, un peu moins de peur et une très belle synergie avec ses deux musiciens donnent à l’ensemble une énergie mélancolique qu’on retrouve uniquement dans le pop-rock, le vrai, le noble. Quel plaisir aussi d’entendre à nouveau des morceaux qui n’ont pas vieilli en 11 ans. Quel dommage aussi que la très belle réussite en concert ne soit pas si bien retranscrite sur disque. Reste que pour les amateurs de musique qui s’écoute en fumant trop de cigarettes, l’expérience était parfaite. Espérons qu’il ne faille pas attendre encore une décennie pour la renouveler.

Perc

Si vous suivez un peu régulièrement ce qu’on écrit, vous êtes déjà au courant qu’on est plusieurs à la rédaction a plutôt faire des cœurs avec les doigts comme David Guetta devant le travail de Perc et des artistes signés sur son label. Vous devez aussi savoir que le live du bonhomme se devait d’être intense et sans beaucoup de concessions. C’est précisément ce qu’il a été: un concentré de beats industriels dans lequel jeter sa rage, son désespoir, son énergie et son t-shirt trempé de sueur. Une heure sans temps mort, dans une Cannibal suffisamment espacée pour que chacun puisse laisser son corps s’exprimer alors que le public se dandinait en masse devant Flume. “Everybody knows when you dance too slow” auraient dit les frères Dewaele, s’ils avaient encore quelque chose à dire.

2 Many DJs

Si Laetitia Shériff prouve qu'on peut, au bout de 11 ans, rester au top, les frères Dewaele ont prouvé exactement l'inverse mercredi soir, en tête d'affiche de la "journée supplémentaire" pour Mons 2015. Bien sûr, il y aura toujours des gens pour vous dire que "As heard on Radio Soulwax", c'était nul dès le départ. Laissez-les dire et rappelez-vous comment les mixs en mash-up du duo ont pu retourner plus d'une fois des foules composées de techno-boy, de racailles et de thugs. Puis, ouvrez les yeux, rappelez-vous que nous sommes en 2015, que la main stage d'un festival de musique électronique bien connu aligne David Guetta, Avicii et Steve Aoki, et regardez les deux vieux du Muppet Show sur scène essayer de les imiter sans y parvenir, même de loin. Finalement, les 2 Many DJs synthétisent bien tout ce qui ne va pas dans la musique électronique hyper-commercialisée de notre époque: cette espèce de course à l'uniformisation pour le fric et pour faire crier les foules, où il ne faut surtout pas surprendre. L'inverse de ce qui rendait le projet des têtes pensantes de Soulwax attractif, ces petits moments bizarres où on s'arrêtait de danser pour s'étonner d'entendre un Dolly Parton s'enchaîner avec un Lord of Acid. Bref, ici, on a eu droit à un mix FM sans intérêt, mais les gens ont dansé, le duo a pu empocher son cachet. Certains diront que c'était inoffensif. Ils ont raison, et c'est probablement la pire critique qu'on peut leur faire.

Young Fathers

Il faut bien admettre qu'on n'avait pas une idée très précise de ce qu'on allait voir quand on s'est placé face à la scène de la Petite Maison pour le concert de Young Fathers. Les morceaux du groupe anglais sont tellement riches de sonorités et de directions variées qu'on se demandait à quelle sauce nous allions être mangés. Au final, le trio accompagné d'un batteur bien présent sur scène a offert une prestation faussement brouillonne et toute en confrontation avec le public. Si les aficionados du groupe ont pu y trouver une version sublimée de l'énergie et de la rage démontrée dans leur second disque, ceux qui venaient là pour les découvrir ont pu être décontenancés. Car même s'il y a clairement des tentatives de scénographier le spectacle, le public n'est pas pris par la main. Si vous comptiez danser sur leurs morceaux plus pop, sachez qu'ils vont vous les balancer à la figure accompagnés de triturations qui risquent de vous dérouter. Peut-être trop, d'ailleurs, et certains passages illustrent bien l'adage "l'excès nuit en toute chose". Pour autant, le concert avait la grande qualité d'être honnête sur la musique que veut faire Young Fathers: une forme de punk débarassé de ses formes musicales habituelles. A tester.

Cocorosie

Le truc le plus étonnant dans le concert de sœurs Casady, c'est de voir le public si nombreux se masser dans la Petite Maison. On ne croyait honnêtement pas que le groupe attirait encore autant les foules en 2015. L'autre truc étonnant, c'est que c'est beaucoup moins chiant que prévu. Il y a certes un petit côté rétro-futurisque bjorkesque dans l'utilisation de human beatbox pour faire l'essentiel de la partie rythmique de la musique (le gars qui s'en charge a d'ailleurs une petite séquence pour lui qui démontre qu'il touche sa bille). Mais l'ensemble sonne résolument moderne, énergique, emballant. Le concert emballe d'ailleurs bien les foules, et on se laisse prendre au jeu de la pop devenue quasi-urbaine de nos deux hippies à fleur. Evidemment, les voix des deux sœurs n'ont pas changé, et si elles vous insupportaient, elles vous insupporteront toujours. Par contre, si vous étiez resté sur l'idée d'un groupe mi-triste mi-chiant qui bidouille avec des sons de jouets trouvés dans des déchetteries, vous pourriez bien être positivement surpris, si vous leur laissez une seconde chance. Nous, on ne regrette pas de l'avoir fait.