Concert

CTM Festival 2020

Berlin, le 30 janvier 2020
par Kidula, le 26 février 2020

 

J’ai encore juste assez d’énergie pour voir les 2 premiers tracks de Debmaster et Mc Yallah depuis le fumoir, je sens qu’ils vont faire le job à la manière dont le flow assuré de Yallah en impose  direct, mais pour cette histoire la, vous devrez trouver un rapporteur plus jeune, plus endurant, ou plus drogué : guten nacht.

HARDER, FASTER, BETTER, STRONGER 

Avec cette édition 2020, ou tout du moins ce que j’en aurai vu, le CTM se réaffirme comme un festival essentiel pour tout ce qui se trame dans les marges musicales, qu’elles soient stylistiques, géographiques ou identitaires. De ces 4 “journuits” si vous me passez l’expression, je retiens plusieurs choses.

HARDER

On ne va pas se mentir, on vit aujourd’hui une époque très flippée. Réchauffement climatique, renouveaux nationalistes et autres Brexiteries donnent à 2020 des accents de pré post-apocalypse « and it shows » comme diraient nos anciens colocataires. Ça se voit donc, mais ça s’entend surtout. Durant toute cette édition du festival, les kicks distordus jusqu’à l’éclatement, les hurlements flippés et les questionnements identitaires angoissés auront occupés une bonne part du programme, reflétant un monde pesant et surement plus grave qu’il y a encore quelques années. Ce n’est pas un hasard si comme je vous le disais plus haut Juliana Huxtable présentait la gentillesse comme la plus actuelle des transgressions. D’un autre côté, on peut se réjouir que les musicien·ne·s présent·e·s préfèrent un exercice un peu cathartique à un repli sur eux·elles, comme c’était peut être le cas au sommet de la vague vaporwave et consorts.

FASTER

Si vous avez tenu tout au long de ce compte rendu fleuve, vous vous serez bien rendu compte que le sentiment qui m’a le plus frappé sur cette édition, c’est sa vitesse pied au plancher quasi constante. Difficile de s’en étonner, quand tout aujourd’hui est plus rapide qu’hier, et au rythme où vont les choses, moins que demain. Ceci étant, on peut aussi y voir une affaire de cycle puisque toute la vague neurasthénique de la pop hypnagogique ou de la techno minimale a succédé au breakcore, à l’IDM et autres drum and bass. Tout n’est peut-être qu’un éternel retour et on a hâte de vérifier ce que tout ça va donner dans les prochaines années.

BETTER

Il me semble qu’il y a encore peu de temps, on allait dans ce genre d’évènements pour découvrir trois ou quatre scènes musicales et se faire surprendre par les underdogs sortis du chapeau par la team de programmateurs dans quelques genres au final bien définis, que se soit la techno minimale, le breakcore ou, je l’évoquais en introduction, l’électro « à la française ». J’ai l’impression qu’on nous sert aujourd’hui un meilleur programme, tant en termes de diversité, qu’elle soit de styles musicaux, d’origine ou de genre, que de qualité des artistes présentés. Le CTM présente un gros niveau de performance, et les rares fois où l’on a été déçu, cela aura été plus une affaire de goûts ou de propos que d’exécution.

Il y a aussi surement quelque chose à chercher du côté de l’extériorité au circuit pour pas mal des artistes qui m’ont le plus convaincu. Les performances issues des partenariats entre le CTM et les Ougandais de Nyege Nyege, ou les sud asiatiques ralliés sous la bannière Nusasonic, ont été parmi les plus marquantes du festival, probablement parce que les artistes arrivaient avec une approche neuve et un regard un peu extérieur à tout ça. On est du coup moins dans la pose, dans le milestone de carrière, ou dans l’assurance d’un hit de follower Instagram, que dans le simple plaisir d’être là.

STRONGER

Cette diversité de point de vue, de regard, d’approches de la musique me paraît enfin l’occasion de sortir grandi de tout ça. En offrant un point de ralliement à un nombre hallucinant de communautés, le CTM soude un secteur composé de tout un tas d’acteurs et d’actrices hétéroclites. Tout ça s’organise au bar, sur les rambardes inconfortables du Berghain ou à la pause clope au sortir des conférences, et permet de se rendre compte que l’on partage souvent les mêmes interrogations depuis des villes ou des scènes différentes.

Par ailleurs, qu’on parle de grindcore digital, de turbo soukouss malien, de xylophone géant ou de shaabi sauce UK, j’ai le sentiment que le niveau de bizarrerie de beaucoup de projets rendra la scène un peu plus imperméable à la grande machine à récupérer. Je ne vois pas franchement Duma ou DJ Diaki faire les headlines de votre prochain rassemblement musical sponsorisé par votre marque de bière favorite, même si je peux hélas me tromper, Capitalism never cease to amaze.

Je vous le disais en début de chronique, le festival s’est choisi pour thème la notion de liminalité. S’il est certain que l’on vit une époque où les signes, les symboles et les repères sont sujets à de grands bouleversements, le CTM m’aura donné des points d’accroches, de références, des angles en quelque sorte, pour essayer d’y voir quelque chose dans le grand maelstrom de la musique dite de niche. Je vous invite donc à réviser son programme 2020 depuis votre douillet canapé, vous aurez du grain à moudre pour toute l’année. D’ici la prochaine édition, vous aurez compris qu’un détour par l’Ouganda et son festival Nyege Nyege devrait vous assurer son lot de découvertes : le salut est au sud mes amis.