Wake Up The Dead #16

par la rédaction, le 2 août 2022

Juste avant de fermer nos portes pour l'été, on vous laisse avec ces six disques qui vous auront un succès fou auprès de vos amie·es pendant l'apéro rosé qui suivra votre pétanque quotidienne au camping d'Issy-les-Moulineaux. Dans ce nouveau numéro de Wake Up The Dead, notre dossier consacré à l'actualité des musiques extrêmes, on retrouve comme toujours un peu de tout : du black, du sludge, des soupçons de hardcore, de death et quelques touches de post-metal. Et bonnes vacances aussi!

Candy

Heaven Is Here

Alex

Il se sera fait désirer, mais sah quel plaisir de pouvoir enfin jeter notre dévolu sur ce nouveau Candy. Quatre ans le séparent de son prédécesseur, l'impressionnant Good To Feel, et le choc fut tel en 2018 qu'on n'aurait pas aussi facilement laissé le quatuor de Virginie sortir de notre champ d'écoute. C'est désormais sous l'égide de Relapse Records et après un passage par Triple B Records que Candy revient avec Heaven Is Here, 10 pétarades produites par Arthur Rizk (Power Trip, Cold World) qui ne dépassent que rarement la marque des deux minutes. À la manière d’une entité comme Full Of Hell, Candy ne choisit jamais vraiment entre metal, hardcore, indus, noise (voire même techno), et se montre apte à distordre nos perceptions en un claquement de cordes. Ne nous y trompons pas, Heaven Is Here reste un disque de hardcore, mais sa propension à aller se promener sur d'autres terrains le rend d'autant plus excitant qu'il parvient avec une fluidité déconcertante à instaurer schizophrénie et terreur dans nos esprits désorientés. Quand la bande à Zaq Quiram ne s'essaie pas au shoegaze ou qu'elle ne torpille pas du blast beat à gogo (“Human Condition Above Human Opinion”, “Heaven Is Here”), elle s'embarque dans un déluge de textures et de saturation (“Mutilation”, “Transcend To Wet”). En 20 minutes, Heaven Is Here envoie tout le monde en enfer et laisse ses auditeur·ices dans une forme d’aliénation via notamment le conclusif "Perverse" qui ne ferait pas tache sur les enregistrements de Merzbow ou les FOH Noise Tapes de Full Of Hell justement. En bref, une nouvelle vraie réussite pour ce groupe qui continue d'affirmer sa singularité avec brio à chacune de ses sorties et saura achever de convaincre les amateur·ices des versants plus expérimentaux et radicaux du hardcore.

Undeath

It's Time...To Rise From The Grave

Nikolaï

 

Le death metal a en ce moment autant le vent en poupe que le post-punk anglais avec un frontman braillard en trench-coat. La nostalgie est d’une efficacité diabolique sur les âmes métalleuses, particulièrement quand elles sont damnées. Ce ne sont pas les New-Yorkais d’Undeath qui vont prétendre le contraire, eux qui ont même eu le droit au tampon Best New Album de Pitchfork pour leur deuxième livraison It’s Time… to Rise from the Grave.

Pourquoi ce traitement de faveur ? Parce que le groupe martèle derrière chaque riff et chaque cri que le death n’est pas qu’un genre pour incurables mélancoliques ressassant le passé. Les Américains savent injecter une bonne dose de fun et de twists dans un genre parfois boursoufflé par la redite. Surtout, ça fuit la prétention : on ne tombe pas dans des effusions de solos de guitare qui font piquer du nez. C’est propre/carré/net/sans bavure et ça ne dépasse pas la barre des quatre minutes par titre. Pas besoin de plus pour laisser la qualité du songwriting respirer. Le chanteur Alexander Jones, par contre, ne respire apparemment pas puisqu’il est trop occupé à nous offrir une performance vocale mémorable. Le groupe se permet même de nous faire cadeau de classiques instantanés : balançons les titres “Human Chandelier” et “Trampled Headstones” pour bonne mesure. Le nectar du death en 2022 ? Oui. Mais osons dire qu’on tient aussi tout bêtement l'un des meilleurs albums metal de l’année.

Honningbarna

Animorphs

Erwann

Malgré sa pochette memesque à souhait pouvant passer pour un gloubiboulga post-moderniste vaporwave, Animorphs est extrêmement sérieux. Le sixième album des Norvégiens d'Honningbarna est un concentré de furie punk aux couleurs multiples : on y retrouve des rythmes hardcore, des riffs post-punk, des refrains pop punk, une couche de noise rock et d’indus pour ajouter du relief, et même des tremolos tout droit venus du black metal qui, avec le chant punk norvégien, vous emmènent directement dans cette autre dimension où Kvelertak est devenu le groupe référent de black metal des années 2010 à la place de Deafheaven. Mais ce qui transpire principalement d'Animorphs, c'est une énergie et un caractère anthémique à mi-chemin entre Turnstile et Refused qui, grâce à une production pêchue, nous donne furieusement envie de shake da booty en hurlant les paroles - si seulement on arrivait à les comprendre. Mais au final, nul besoin de savoir quoi chanter quand on peut juste s'époumoner. C'est limite encore plus jouissif de beugler des paroles évidemment incorrectes quand la musique est si palpitante - le banger absolu “Ah Bliss” étant un parfait exemple.

Chat Pile

God's Country

Alex

On n'a probablement pas encore le recul nécessaire pour en parler avec mesure, mais on pense tenir là l'un des disques de l'année. Avec God's Country, stupéfiant premier album de Chat Pile, le groupe sludge/noise rock d'Oklohama frappe un énorme coup. Alors que nous les avions découverts sur un split EP paru en 2021 avec Portrayal Of Guilt suivi de l'écoute de leurs très bons premiers EP's, This Dungeon Earth ou encore Remove Your Skin Please, le quatuor formé en 2019 n'a fait qu'attiser notre excitation à l'approche de la sortie de ce premier album sur The Flenser Records. Et misère, pour quel résultat.

Outre les nombreuses nuances de sludge, d'indus, de grunge, de noise, de punk voire de néo-metal qui tapissent les contours de cet album, c'est évidemment la performance vocale complètement hallucinée de Raygun Busch, quelque part entre David Yow (Jesus Lizard) et Alexis Marshall (Daughters), qui nous hypnotise tout du long. Le leader du groupe présente ici sa vision d'une Amérique sombre et condamnée, mais aussi toutes sortes d'impensables histoires sur pléthore de riffs tous aussi monstrueux que le tableau dépeint par son narrateur. Constamment entre démence et traumatismes, God's Country, produit par le groupe lui-même, est une œuvre malaisante et délicate à appréhender, à l'instar de certaines livraisons de The Body, Godlesh ou encore Melvins. Elle permet surtout à Chat Pile de nous laisser pantois comme rarement.

Falls Of Rauros

Key To A Vanishing Future

Erwann

Le black metal atmosphérique, c'est comme les bières blanches en été : quand y'en a plus, y'en a encore. Cette fois-ci, focus sur Falls of Rauros, un groupe américain des Appalaches qui prône un retour à la nature et témoigne d'un certain dédain pour la modernité, comme Agalloch ou Wolves in the Throne Room - le dernier rapport du GIEC semble d'ailleurs leur donner raison. Si leurs influences sont très clairement marquées, Key to a Vanishing Future est l'album du groupe qui demeure le moins ancré dans l'héritage commun d'Agalloch et d'Alcest, faisant plutôt montre du rameau le plus délicat du groupe, celui qui met en avant leurs influences les plus folk. Cela ne signifie heureusement pas la fin des solos, parmi les plus beaux du genres grâce à leur tonalité de guitare mirifique - même si moins fabuleux que ceux constituant la sève de leur précédent opus, Patterns in Mythology. Si ce nouvel album n'arrive en effet pas à la cheville de certains de ses prédécesseurs dans la discographie du groupe (Patterns in Mythology donc, mais aussi The Light That Dwells in Rotten Wood), Falls of Rauros démontre par sa consistance et sa constante évolution sa place de choix au sein de la scène black metal atmosphérique.

Sundowning

In The Light Of Defeat, I Cease To Exist

 

Alex

Durant la première partie de son existence, entre 2009 et 2014, difficile de prétendre que Sundowning a vraiment marqué les esprits. Auteurs d’un EP et d’un album seulement, les Allemands, donnant à l’époque dans le post-hardcore atmosphérique, avaient rapidement décidé de mettre le groupe entre parenthèses afin de se consacrer à d’autres projets et ce, pour une durée indéterminée. Cette pause a pris fin cette année et voilà le collectif prêt à se donner un second souffle avec un album plein de maîtrise dont la conception a très certainement bénéficié de ce long moment de réflexion.

Quasiment 10 ans après Seizures Of The World, Sundowning sort donc de sa léthargie pour proposer In The Light Of Defeat, I Cease To Exist, un deuxième disque enregistré et mixé par Nikita Kamprad (Der Weg Einer Freiheit) chez Ghost City Recordings, et masterisé par Seth Manchester chez Machines With Magnets (Lingua Ignota, The Body...). Musicalement, le son du groupe reste empreint d’atmosphères sombres et désespérées, mais parvient à éviter une forme de platitude grâce à l'incorporation d’instruments à vent ou d'éléments électroniques qui viennent donner du relief à ces cinq titres pachydermiques. En 40 minutes, Sundowning dévoile ainsi l’étendue d’une palette qui lorgne autant du côté du doom/sludge que de l’indus et du blackened hardcore. On sent évidemment les influences d’Amenra, Cult Of Luna ou Converge bien enracinées, mais les Teutons formulent une proposition tout à fait convaincante qui va au-delà des groupes précités. À noter également la présence de Dylan Walker (Full Of Hell, Sore Dream) qui vient bonifier “Imminent Ache”, sans conteste le meilleur track de ce disque pas avare en qualité. Dans son ensemble, In The Light Of Defeat, I Cease To Exist ne devrait pas non plus vous faire bondir de votre siège si vous êtes coutumier de ce genre de proposition, mais l'album a tout de même le mérite d’étaler une formule bien maîtrisée dont la finition se doit d’être saluée.