Le premier album du Velvet Underground a 50 ans ce dimanche

par Nicolas F., le 11 mars 2017

12 mars 1967, c’est en plein cœur du bouillonnant creuset de contre-culture qu’est le New York des sixties que naît l’un des plus grands chefs-d’œuvre discographiques du XXième siècle : Le Velvet Underground vient de sortir son éponyme Velvet Underground & Nico. Fruit de la collaboration entre le chanteur/guitariste Lou Reed, le violoniste/pianiste John Cale, la batteuse Maureen « Moe » Tucker, le bassiste/guitariste Sterling Morrison, la mannequin apprentie chanteuse allemande Nico et leur producteur Andy Warhol. L’album « à la banane » est né.

Figure tutélaire du projet, le peintre visionnaire Andy Warhol est alors le grand gourou pop de la Factory, atelier d’artistes au cœur de Manhattan. Là grouille tout ce qui ce fait de plus novateur et avant-gardiste dans des domaines aussi variés que la danse, le cinéma, la peinture, la sculpture et donc la musique. C’est en 1965 que le touche-à-tout Warhol croise la route du Velvet Underground à la sortie d’un concert au Café Bizarre, il en devient le mécène et impose à la troupe (Reed, Cale, Tucker, Morrison) la présence d’une chanteuse, icône de beauté froide, j’ai nommé Nico. Avant d’enregistrer l’album, le groupe se rode sur la scène du spectacle pluridisciplinaire imaginé par Warhol, l’Exploding Plastic Inevitable.

C’est en 1966 qu’aura lieu l’enregistrement dans un studio de Broadway supervisé par un « vrai » producteur, Tom Wilson. En huit heures, le Velvet met en boîte ce qui deviendra VU & Nico. Il aura entre temps fallu apaiser les tensions entre les membres du groupe liées au caractère déroutant et irascible de son leader charismatique Lou Reed, aux inclinations artistiques sans concession de John Cale (héritées de ses expériences auprès de John Cage ou LaMonte Young) et à la présence « incongrue » de Nico. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là car, si l’esthétique du Velvet trouve dans la Grosse Pomme un public habitué aux explorations transgressives, à l’Ouest souffle un vent de liberté et d’optimisme symbolisé par la culture hippie et sa révolution fleurie à l’extrême opposé des paroles de Reed sans concessions, licencieuses et narcissiques. D’audiences médusées en critiques assassines, le Velvet divise et la sortie du 33 tours est retardée faute de maison de disque. Les thèmes abordés et la musique effraient les grandes majors. C’est finalement MGM-Verve qui prend le risque de publier le brûlot. Mais d’autres anecdotes viendront polluer la sortie du disque : les difficultés techniques de fabrication liées à la banane décollable de la pochette, le retrait de la vente immédiat des premières copies pour cause de présence non autorisée au verso de la pochette du pop artist Eric Emerson et un budget promotion très limité alloué par Verve qui préfère à nos New-Yorkais les délires psychédéliques de Frank Zappa (au demeurant très respectables eux aussi).

Finalement, le disque sort le 12 mars 1967 et c’est peu dire qu’il ne rencontre pas un succès homérique à sa sortie. Rien d’étonnant avec ce qu’on vient d’évoquer mais, au-delà des anecdotes, c’est bien dans le contenu que VU & Nico réussit l’exploit d’être trop en avance sur son temps, d’où l’incompréhension à l’époque. Lou Reed nous sert en effet un condensé de tous ses penchants morbides. La drogue (dure) prend un goût de caniveau, Reed décrie le junkie dans l’attente interminable de son dealer, la sensation de manque et l’allégresse illusoire (I’m waiting for the Man ou Heroin). L’héroïne toujours mais plus métaphoriquement est évoquée dans Run Run Run. Le sadomasochisme et la soumission dans Venus in Furs. Il y est aussi beaucoup question de ce qui se passe au sein de la Factory (All Tomorrow’s Parties), ses futilités et ses dérives et de la faune qui l’habite avec Femme Fatale inspirée d’Edie Sedgwick, grande maniaquo-dépressive et actrice fétiche de Warhol. Le titre qui clôt l’album est un hommage à celui que Reed considère comme son mentor, le poète Delmore Schwartz dont l’immense talent ne l’empêchera pas de sombrer dans la dépression et l’isolement lui aussi... Bref, tant de réjouissances semblent assez inconciliables avec le Flower Power ambiant.

Quand Reed délaisse l’immoral et le cynisme, c’est pour offrir un peu plus de légèreté avec Sunday Morning (ajouté et enregistré au dernier moment par Tom Wilson pour avoir un semblant de « tube » soit un potentiel single vendable) ou I’ll be your mirror magnifiée par la voix de Nico qui justifie ici complètement sa présence au casting. Quoi qu’il évoque, Lou Reed est acteur de chacune des paroles qu’il signe, il raconte ses lubies et retranscrit simplement son authentique anti-conformisme par son lyrisme névrosé.

À ses côtés se dégage l’aura du dandy gallois John Cale dont le violon électrique hante l’album par ses retentissantes saillies (Venus in Furs, Black Angel’s Death Song). Si les compositions sont toutes signées par l’omnipotent Lou Reed, il est évident que l’influence de Cale sur la musique de VU & Nico est immense. On le sait bercé à la musique de Schoenberg, Stockhausen ou Boulez. Par ailleurs, un autre grand nom de la musique contemporaine, John Cage, lui dira un jour « qu’il ne fallait pas avoir peur du chaos ». Cale n’en aura alors visiblement plus peur, s’étourdira comme Reed dans les affres de l’héroïne et y puisera son inspiration. VU & Nico n’est alors plus un simple disque de rock’n’roll, il dépasse les frontières du genre et par la noirceur de ces deux principaux géniteurs devient un chef-d’œuvre de violence crue où se mêle rock, avant-garde, musique ethnique, free jazz et psychédélisme décadent comme un reflet des personnalités diverses qui le composent.

Il faudra attendre plusieurs années pour voir le premier disque du Velvet devenir l’incontournable et populaire « disque à la banane ». Le succès et la reconnaissance ne feront que s’accroître au fil des décennies qui suivirent sa parution au point de devenir une influence majeure pour toute une génération de musiciens, des Modern Lovers aux Black Angels en passant par Sonic Youth, Beck ou The Jesus and Mary Chain et de se voir propulsé 13ième meilleur album de tous les temps par le magazine Rolling Stone. La suite de la carrière du groupe (White Light/White Heat notamment) et les solos des uns et des autres (Berlin et Transformer pour Reed, Paris 1919 et une flopée de productions incroyables – Stooges, Nico, Patti Smith – pour Cale) achèvent d’écrire la légende d’un groupe, d’un disque, celle du Velvet Underground & Nico.