Interview

Vicelow

par Aurélien, le 23 mai 2012

Du Saïan Supa Crew en passant par OFX jusqu'à sa carrière solo, la grosse voix du MC Vicelow est clairement devenue un symbole incontournable que l'on a tous rêvé d'avoir en face de soi un jour ou l'autre. Alors forcément, quand il s'agit d'interviewer le bougre sur sa vision du hip hop, ses récents kiffs musicaux ou encore son excellente dernière mixtape BT2.0 dans un bar isolé du Xème arrondissement de Paris, on ne peut que trop se féliciter de constater que derrière le charisme vocal de l'artiste se cache un homme simple, passionné, et sûr de ce qu'il fait. Petit retour sur une sympathique entrevue autour d'un coca. 

GMD : On a eu un sacré coup de chaud quand tu as leaké l'énorme « Welcome To The BT2 » en juin dernier. Qu'est-ce qui t'a finalement poussé a sortir cette deuxième Blue Tape presque un an après ? Une sortie physique est-elle à prévoir ?

Vicelow : Les reports et les aléas de la production ont principalement été responsables de l'arrivée tardive de la BT2.0, ce qui nous a poussé avec So Fly (le beatmaker de l'album, ndlr) a repenser ce qui ne devait être qu'un simple six titres dans un format plus poussé, plus proche d'un album que d'une véritable tape.

Après comme pour la première Blue Tape, une sortie physique est effectivement programmée. On l'espère pour la rentrée avec pas mal d'inédits, de remixes et les instrumentales dont on a eu des retours tellement chauds, notamment pour « Welcome To The BT2 », qu'on s'est dits « Avec ça, c'est obligé ils vont kiffer » (rires).

GMD : Ca te dérange toute cette dématérialisation de la musique aujourd'hui ?

Vicelow : C'est l'époque qui veut ça. Et même à titre personnel au final je consomme plus de streaming que je n'achète ou même ne télécharge. Pour moi ça rentre clairement dans une logique indépendante, une façon d'investir le minimum pour gagner le maximum en permettant à l'artiste de se concentrer sur des vidéos plutôt que sur le coût de fabrication d'un CD qui est malheureusement aujourd'hui ce qu'il est. On a en tout cas choisi de procéder comme ça pour la BT2.0 afin d'encourager le bouche-à-oreille et de guetter un peu l'accueil du projet avant d'engager un réel processus financier. Et quand on voit que des mecs à l'issue des concerts sont venus nous demander si une sortie physique était prévue, on se dit que c'est plutôt gagné finalement.

GMD : Ta démarche rappelle un peu celle d'autres rappeurs comme Grems, Disiz ou encore Nemir - que tu as d'ailleurs invité sur « Nouvel Automne » - avec qui on te voit justement pas mal échanger en ce moment. Tu penses quoi de leur approche musicale ? Tu te vois, à l'instar de Grems, rapper sur des beats dubstep ou garage ?

Vicelow : Ce sont trois personnalités bien différentes. Grems est un surproductif avec une approche du genre bien à lui, Disiz est un mec très proche de ses fans qui charbonne pas mal lui aussi dans tous un tas de projets bien différents, Nemir est pas tout jeune mais se révèle parfaitement en équilibre entre la nouvelle et l'ancienne génération. J'ai pas tellement mon mot à dire sur eux musicalement parlant en fait, mais ce sont des mecs vrais, de la même génération que moi et dont j'estime énormément la démarche artistique. Après, travailler comme quelqu'un d'aussi fou que Grems, bien que je sois très ouvert musicalement, je n'en fais pas une nécessité. On peut déjà trouver une couleur dubstep à certaines prods de la BT2.0, et c'est un univers musical qui me parle et que j'ai déjà eu l'occasion de retrouver dans la danse (il est président de l'association I Love This Dance, ndlr) mais pour l'instant ça ne m'intéresse pas vraiment. Mais je ne ferme aucune porte, donc tout reste à voir.

GMD : On doit la quasi-intégralité de la luxuriante production de la BT2.0 à So Fly, que l'on retrouvait déjà sur 70% de la première Blue Tape. Comment avez-vous travaillé tous les deux sur ce projet ?

Vicelow : On a opté pour une production sur mesure, un truc qui s'est vraiment pensé à deux. Cet album, c'est celui de Vicelow ET So Fly, tout aussi indissociables que Pete Rock & CL Smooth ou Gangstarr à leurs époques. L'alchimie fonctionnait dans les deux sens en fait, avec toujours cette même cohésion. Des fois on planchait sur des instrus déjà existantes – « Beat Sale » par exemple ça partait d'un beat de So Fly qui avait tronché le vocal d'un truc cainri façon 50 Cent – mais d'autres fois c'était plus abstrait, chacun apportait son truc petit-à-petit jusqu'à donner les morceaux qu'on connaît aujourd'hui. Par rapport à la première tape, on a radicalement changé de mode opératoire pour rendre la chose percutante et personnelle tant visuellement que musicalement. D'ailleurs les trois clips qu'on a fait jusqu'alors sont tout à fait ce qu'on voulu illustrer.

GMD : Tu fais globalement moins la part belle au mélange des genres, et on te sent même souvent amer sur des pistes comme « Avenue Martin Luther » ou « Au pas de la porte ». Tu t'es même peu illustré sur ce registre en solo.

Vicelow : C'est une question d'état d'esprit, mais je n'ai pas tellement choisi d'aborder tel ou tel sujet un peu plus « vener » : rien de réfléchi ici, c'est surtout une question de feeling que j'avais déjà montré sur certaines pistes du temps d'OFX ou du Saïan Supa Crew. J'ai bien conscience que certains seront touchés et que d'autres le seront moins, c'est le jeu, mais je n'avais pas envie de partir sur des trucs rigolos ou uniquement égo-trippés parce que ça ne me ressemble pas. Derrière un sourire, il y a toujours un truc sombre. J'avais donc besoin de cet équilibre pour m'émanciper et trouver une formule qui m'est propre, qui est le fruit de mes rencontres et de mes aventures artistiques. C'est dans ce sens que je voudrais d'ailleurs amener mon album solo, tout en ayant bien conscience que les gens risquent d'en être très surpris.

GMD : Des projets de tournée pour défendre la BT2.0 ?

Vicelow : Pas de réelle tournée de programmée mais pour l'heure on défend l'album sur scène le temps de quelques dates. Après, ce genre de choses c'est vraiment le jeu de la demande mais on a la chance de faire la première partie de The Roots au Zénith en juin prochain, et c'est vraiment le genre de trucs qu'on attendait pour toucher un maximum de monde. Globalement le concept du live ça va vraiment être de mettre à l'honneur la danse hip-hop, d'ailleurs je suis accompagné de deux danseurs en plus de mon DJ, l'occasion ou jamais de prouver qu'avec deux ou trois bouts de ficelles on peut envoyer un vrai show finalement. D'ici à l'annonce de prochaines dates on va continuer d'assurer le côté visuel en tout cas. On taffe en ce moment sur le clip de « Nouvel Automne » et j'ai des concepts sympas à mettre en place pour ceux d'« Hip Hop Ninja » ou « Casse les Côtes », histoire de motiver encore un peu les retours.

GMD : Le succès de groupes comme 1995, qu'on a d'ailleurs très souvent comparé au Saïan Supa Crew et qui renoue avec des sonorités old school, ça ne te donne pas le sentiment qu'on a un peu tout vu et tout fait dans le rap ?

Vicelow : C'est quand même large de dire qu'on a tout fait dans le rap. On a la chance d'avoir un pays littéraire, très centré sur les rimes et les textes, et ça laisse mine de rien parfois une possibilité de compenser le fond parfois peut-être au profit de la forme. T'as des millions de projets dans lesquels des tas de MCs s'investissent qui sont en mesure de changer la donne, d'apporter un peu de fraîcheur. Le rap Français ne se cantonne pas ou à la Fronce, au rap de caillera ou aux rappeurs à thème façon Kery James. La façon dont je me suis investi pour la BT 2.0 avec musiques, textes et arrangements, ce n'est clairement pas un cas isolé. Tout le monde y met quelque part un peu de son originalité, et heureusement d'ailleurs. Après en ce qui concerne 1995 – que j'ai personnellement toujours comparé aux Sages Poëètes De La Rue ou a la Scred Connexion plus que véritablement au Saïan – c'est clair qu'ils font du nouveau avec de l'ancien, mais derrière c'est aussi leur petite originalité. A eux de remettre au goût du jour ce son là. Et vu leur succès visiblement ça parle aux gens, donc pourquoi pas ?

GMD : Tu peux nous parler de tes plus récents kiffs pour terminer cette interview ? Pourquoi pas nous révéler quelques uns de tes plaisirs coupables ?

Vicelow : J'adore les vibes de The Weeknd ou encore Stalley dont je dois écouter la dernière tape. C'est peu mais c'est aussi parce que quand je compose, j'aime être en phase avec mon projet, et donc du coup, je n'écoute rien de vraiment précis pour garder en tête la cohérence que je recherche. Et ce, même si ça ne m'empêche pas, au détour des réseaux sociaux par exemple, de laisser se perdre une oreille sur ce qui buzze pas mal aujourd'hui.