Nouvelle édition printanière pour Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes. Mais ne vous méprenez pas: si les beaux jours sont de retour, l'équipe de goules en charge de ces colonnes continue de vivre dans les ténèbres pour vous dénicher le meilleur de cette sombre musique, avec ce mois-ci encore: Death, doom, drone et (blackened) hardcore. Vous connaissez le programme.
Final Dose
Under The Eternal Shadow
Simon
Impossible d'ouvrir ce dossier sans évoquer la tornade Final Dose et son redoutable deuxième album, Under The Eternal Shadow. A vrai dire, c'est assez simple, les Londoniens sont le mélange parfait entre le hardcore d'australopithèque de SPY, le black metal crasseux de Spectral Wound et le post-punk de donjon de Poison Ruïn. Dix titres en vingt-trois minutes qui alternent en permanence entre des chevauchées d-beat meurtrières, du gros riff black'n'roll supplément groove taillés pour la baston en fosse et des incantations qui puent la drogue. Un seul mot d'ordre relie tout ça dans ce brasier infernal : la haine. De soi, de l'autre et du monde. Et ça ne s'arrête évidemment pas une seule seconde : ça hurle à la mort, ça claque des tubes hantés (« Locked In The Black Dungeon ») et ça saupoudre le tout d'une ambiance de châteaux-forts et de dragons majestueux qui plaira forcément aux amateurs de Magic. On pourrait continuer longtemps à vanter les mérites de ce deuxième album, on se contentera simplement de vous recommander chaudement cette petite pépite qui s'impose comme le banger punk/black metal de l'année en cours.
XweaponX
Weapon X Demo 2
Alex
5 titres pour 9 minutes de hardcore métallique straight edge : on peut difficilement faire plus simple et concis pour élaborer le pitch de cette nouvelle livraison, la deuxième (sans compter un split avec World Of Pleasure), du supergroupe / side project du Kentucky XweaponX. Composé de figures éminentes de Knocked Loose, Inclination ou encore Gates to Hell, la formation semble véritablement servir de soupape de décompression à ses membres pour proposer un produit spontané et sans fioriture qui rend hommage aux figures tutélaires des 90's que sont Strife, Prayer For Cleansing, Indecision, Undying ou encore A Chorus Of Disapproval. Avec ces forces en présence sur le papier, vous comprendrez rapidement que cette deuxième "demo" parue sur DAZE (Torture, Pain of Truth, Sanction,...) s'adresse aux grand·es intellectuel·les de ce siècle.
Des riffs pas pour rigoler, des breakdowns pour dilapider les neurones de manière véloce, le tout agrémenté de gang vocals à foison et de paroles militantes et bien clichées...Tout le cahier des charges est respecté. Et pour le luxe, ça s'offre également deux contributions vocales de choix, avec la présence de Human Garbage d'abord, mais aussi et surtout, celle de Karl Buechner d'Earth Crisis, tout simplement l'ambassadeur originel du hardcore straight edge. Que demander de plus? xRienx.
Neptunian Maximalism
Le Sacre du Soleil Invaincu
Erwann
Les Bruxellois de Neptunian Maximalism continuent de faire honneur à leur nom : musique tentaculaire, ambition cosmique, et mépris total pour les formats digestes. Et pourtant, malgré ses 100 minutes au compteur, Le Sacre du Soleil Invaincu se dissèque avec une aisance presque déconcertante, mais quand même dans un état de transe où les repères temporels s’effacent, avalés par les bourdonnements rituels et les décharges viscérales. Là où Éons (premier album déjà monumental) abordait l’apocalypse dans une logique de saturation sonore, multipliant les couches pour raconter la fin des temps avec un sens du chaos redoutable, Le Sacre du Soleil Invaincu se révèle plus lumineux, plus patient aussi. La densité est toujours là, mais elle se déploie autrement – avec plus de respirations, de moments suspendus.
La recette n’a pas changé en surface : longues incantations dronesques, élans free jazz, vocaux gutturaux, structures évolutives où le metal se mêle à des gammes orientales et à des rythmes tribaux qui semblent invoquer des forces anciennes. Mais le ton général a changé : si Éons invoquait le chaos primordial, Le Sacre du Soleil Invaincu s’inscrit dans une logique d’élévation. Il ne s’agit plus de tout faire brûler, mais d’atteindre une forme d’extase solaire. L'album se divise en deux grandes pièces (dont une de plus d'une heure), chacune pensée comme un rite. On y entend aussi bien les échos de Magma que ceux de Sunn O))), avec ici et là de soudaines déflagrations psychédélico-black-metalesques dignes de Blut Aus Nord. Rien n’est cloisonné, tout circule dans un équilibre étrange entre le cérébral et le viscéral. Avec Le Sacre du Soleil Invaincu, Neptunian Maximalism prouve qu’on peut encore faire de la musique extrême un acte mystique. Et que l’excès, quand il est aussi bien maîtrisé, peut devenir une forme d’élévation.
Cosmophage
Sidereal Malignancy
Simon
Une des grandes satisfactions de l'amateur de metal consiste à pérégriner dans les travées de l'underground le plus obscur et d'en ressortir des démos de groupes qui en sont à peine à leur première sortie officielle. On ne prend dès lors aucun risque à émettre un jugement critique dans la mesure où tout le monde s'en fout bien souvent royalement, à parler tout seul comme un vieillard qui cause du temps d'avant à un arbre. Dans la majorité des cas, aborder une première démo ou ne parler de rien revient à la même chose. Parce que bien souvent, notre amour d'un premier format court ne se partage pas vraiment. Un peu comme une brosse à dents, mais avec des poils et de la moisissure dessus.
Si on vous parle de Sidereal Malignancy aujourd'hui, vous avez tout à fait le droit de vous en branler, on ne vous en voudra pas vraiment. Il n'empêche que le premier six titres de Cosmophage (anciennement Utterance, pour un EP en 2019) a du jeu. Beaucoup de jeu. Énormément de jeu, même. Une manière de jouer qui rappelle immédiatement les monstres cosmic death metal qu'ont pu être Blood Incantation ou Tomb Mold à leurs débuts. Une comparaison dont les Brésiliens semblent se foutre éperdument puisque leur style est déjà si affirmé à ce stade qu'on y verrait bien déjà un embryon de très bon groupe à suivre dans le futur. On pourrait probablement en dire autant d'un paquet de formations débutantes mais il n'empêche que Sidereal Malignancy fleure bon la technique au service de l’efficacité la plus pure, le flow death déjà proche de la perfection et un cœur à l'ouvrage qui ne s'achète pas. Il y a ici tellement de place pour que l'art de Cosmophage prenne encore plus d'ampleur à l'avenir qu'on utilise sans problème notre jeton coup de cœur sur eux pour le premier album à venir. Si ça pète un jour pour eux, on vous l'aura dit avant.
Benediction
Ravage of Empires
GuiGui
Dans le death metal, il n’y a pas que d’un côté les grosses pointures qui cumulent des ventes plus qu’honnêtes et remplissent des salles de tailles modestes sur base de leurs seuls noms, et de l’autre les formations underground qui peinent à sortir de la masse. Non, entre les deux existe une catégorie tampon comprenant des groupes qui sont là depuis des lustres, qui sont même parfois cités comme influence des plus gros mais sans forcément être reconnus à leur juste valeur. Et si Benediction a été élevé au rang de culte par les puristes, il n’aura jamais été, depuis sa création en 1989, rien de plus qu’un brillant second couteau du death anglais n’ayant jamais su dépasser ses compatriotes de Bolt Thrower. Ceci dit, cela fait bientôt dix ans que ces derniers ont splitté et une place est peut-être à (re)prendre. Parce qu’en plus d’avoir fait office de tremplin pour plusieurs chanteurs (Mark « Barney » Greenway de Napalm Death, Dave Hunt de Anaal Nathrakh ou Dave Ingram revenu après une pige chez... Bolt Thrower), la musique de Benediction est à l’image de son nom : d’une efficacité redoutable. Ici les fioritures n’ont pas droit de cité, et on se positionne clairement sur un death « autoroute » qui ne s’octroie pas de pause sur la bande d’arrêt d’urgence pour revisser un boulon. Un death metal old school aux ajouts thrash occasionnels pour le côté incisif. Dans la droite lignée du Scriptures de 2020, qui témoignait du retour de Benediction après douze trop longues années, Ravage of Empires ouvre les vannes dès « A Carrion Harvest » et ne les referme que 45 minutes plus tard. C'est bien assez pour voir germer sur nos visages un sourire béat.
Decrepisy
Deific Mourning
Simon
Deific Mourning n'aura probablement pas grande presse malgré son odeur de petit supergroupe. Composé de membres - présents ou passés - de Acephalix, Necrot, Vastum ou Ritual Necromancy, Decrepisy fait office de énième side project pour cette bonne bande originaire des alentours de San Francisco. Bande pour laquelle le death metal n'a plus vraiment de secret. Officiant cette fois dans un death/doom extrêmement funèbre, ce deuxième album n'en reste pas moins une très bonne surprise. De celle qui surprend un peu au début, de par son équilibre entre les passages atmosphériques qui sentent bon le mouvement gothique, la lourdeur insoutenable des passages doom et les retournements death complètement cons de groove.
C'est d'ailleurs le principal intérêt de ce premier album qui répète le processus ad nauseam : un passage introspectif qui propose souvent des riffs gothiques aux échos distordus, un gros passage doom puis une charge éléphantesque qui fracture à peu près tout sur son passage. Et ça réussit à chaque coup. Sauf que Deific Mourning souffre d'une assez grande lisibilité, cette configuration variant finalement assez peu (comptez l'un ou l'autre solo complètement épique entre toutes ces étapes). Alors oui, ça marche plutôt (très) bien et, à moins qu'on ne touche trop pas au décor - « Afterhours » a tenté de sortir de cette écriture en proposant neuf minutes de ballade doom à la Swans en clôture de disque, et on se fait un peu chier - c'est plutôt immersif dans son absolue noirceur.
Un mélange un peu particulier entre la négativité extrême de Primitive Man, la classe d'ombre et de lumière de Tryptikon et les chevauchées idiotes de groove de 200 Stab Wounds. Deific Mourning est un vrai slasher de série B en version cimetière municipal : attendu, évidemment trop lisible mais pas loin de se rendre essentiel à chaque jump scare.