Dossier

Wake Up The Dead #15

par la rédaction, le 20 mars 2022

Les très grosses sorties métal de 2022 se font encore attendre mais l'équipe reste toujours à l'affut. Pour cette nouvel édition de Wake Up The Dead, notre dossier consacré aux choses à retenir dans l'actualité des musiques violentes, on passe en revue 7 disques tendance bourre-pifs de début d'année et qui méritent toute votre attention.

Cult Of Luna

The Long Road North

Erwann

Oui, on sait, on ne perd jamais une occasion de vous dire tout le bien que l'on pense de l'œuvre de Cult of Luna. Il faut dire que l'histoire nous donne raison : cela fait maintenant deux bonnes décennies que les Suédois font montre d'une régularité rarement observée dans le post-metal. Et devinez quoi ? Leur nouvel album, The Long Road North, ne déroge pas à cette règle. Nouvelle odyssée d'une heure utilisant moult synthés pour accompagner des riffs pesants et sludgy à souhait, cette huitième album studio prouve encore une fois que depuis l'arrêt d'Isis, personne ne peut rivaliser avec Cult of Luna dans l'exercice du post-metal, et ce tout simplement parce que le talent de composition du groupe ne s'est jamais tari. C'est du post-metal, oui, mais extrêmement léché et rempli à ras bord de petits détails qui se révèlent au fil des écoutes - cela va de l'utilisation du glockenspiel à des éléments empruntés au free jazz. Ainsi, on retrouve sur les deux interludes "Beyond" la vocaliste jazz Mariam Wallentin – du groupe de jazz expé Fire! Orchestra – ainsi que le saxophoniste Colin Stetson. Quant au morceau le plus long, "An Offering to the Wild", il se voit accompagné d'un saxophone apparaissant de temps à autre jusqu'à supporter la progression de l'explosion finale. Ces incursions dans le jazz, couplées à la palette déjà bien large du groupe, complètent cette nouvelle vision cinématographique qu'eux seuls sont capables de tenir sur la longueur. Le trône leur va si bien.

Celeste

Assassine(s)

Alex

Il leur aura fallu du temps et du labeur, mais on ne pense pas se tromper en affirmant que Celeste a désormais rejoint le rang des groupes qui font briller fort le métal hexagonal. Et ce n’est pas la signature récente du groupe lyonnais sur un label maousse, Nuclear Blast en l'occurrence, qui nous prouvera le contraire. Depuis plus de 10 ans, le groupe mené par Johan Girardeau se bâtit une discographie complexe et noire à coups de parpaings teintés de black, post-metal et blackened hardcore. Si la signature sonore des gaziers est désormais rapidement identifiable, elle n’en est pas moins apte à délaisser les attaques frontales qui la composent afin de dévoiler de nouvelles nuances et textures. En témoigne ce Assassine(s), sixième album de la bande sur lequel la musique, toujours aussi froide, laisse un peu plus de place aux compromis qu’autrefois. Du synthé, du chant féminin et des riffs plus mélodiques jalonnent ces nouvelles pistes et sont autant d'éléments qui démontre l'envie que Celeste a d'exploiter autrement les recoins de sa musique tendue et décloisonnée. Avec moins de noirceur qu’à l’accoutumée, mais toujours avec autant de précision, les Français apportent ici une nouvelle dimension à leur jeu, un peu plus lisse peut-être, mais qui sait toujours se faire violence quand il le faut. Et si ce disque se veut moins rigide que ce que Celeste propose habituellement, il faut savoir reconnaitre quand le travail est bien fait. C'est toujours le cas.

Thank

Thoughtless Cruelty

Nikolaï

“Une observation brutale de la cruauté humaine filtrée à travers les sombres fascinations du groupe” C’est en ces termes charmants que les gars de Thank décrivent leur premier album. Ça annonce la couleur. Ils ont beau être Anglais et s’apparenter au courant post-punk, on vous assure que Thank se démarque du lot et ne se contente pas de régurgiter la to-do-list des wannabe Idles. Leur approche est en effet radicalement noise et aussi nihiliste que les trois Allemands dans The Big Lebowski. Les guitares sont tranchantes et aussi sporadiques que la structure des chansons. Sur Thoughtless Cruelty, même les synthés sont distos à souhait. On est ballotté entre poésie dadaïste et critique de notre société au vitriol pendant 30 minutes, grâce au chanteur Freddy Vinehill-Cliffe. Chaque titre est une perle d’humour acerbe, déclamé avec la rage prolo d’un mec de Leeds tandis que le groupe martyrise leurs instruments. L’album réclame une écoute attentive et un engagement profond de notre part, de par l’imprédictibilité du bouzin. Plus simplement et sans vouloir intellectualiser la chose : “Good Boy”, “Punching Bag” ou encore “Dread” sont des bangers certifiés. « There’s never been a good band from Leeds » dit le groupe sur le titre "Dread". Thougtless Cruelty prouve le contraire - et leur désamour apparent pour le travail de Gang of Four ou des Sisters of Mercy.

Vein.fm

This World Is Going To Ruin You

Jeff

Comme le disco ou la new beat avant lui, le nu-metal a vu son image sérieusement écornée par l’avidité de toute une industrie. Pourtant, du Life Is Peachy de Korn au Around The Fur des Deftones en passant par le premier éponyme de Slipknot, le genre a su pondre un paquet de classiques qui résistent bien aux affres du temps et nous en disent beaucoup sur les moeurs de l’époque. Il y encore aujourd’hui quantité de choses propres au nu-metal que nous devons enfouir pour que jamais les générations futures ne puissent s’en emparer un jour (Mudvayne, Chocolate Starfish and the Hot Dog Flavored Water de Limp Bizkit ou le look pileux du chanteur de Static-X), mais il est intéressant de voir que le genre revient à travers de canaux que l’on ne soupçonnait pas : certaines des plus grandes stars de la planète, tel Poppy ou Billie Eilish, en recyclent certains codes qu’elles intègrent à une pop qui fait feu de tout bois. Et dans des cercles strictement metal, un groupe comme Vein.fm (anciennement Vein) parvient à redonner vie au genre ses lettres de noblesse sans passer pour des profanateurs de tombes, allant même jusqu’à assumer le « fashion faux pas » ultime du nu-metal : compter parmi ses membres un DJ, qui lâche quelques petits scratches ci et là sur ce second album. On pourrait penser que ce genre de pose est rédhibitoire, pourtant, elle est à elle-seule représentative de l’approche du groupe : il est tout à fait possible de se ré-approprier certains codes tombés en désamour tant que cela ne nous téléporte pas dans le pire du début des années 2000. Pour ce faire, comme sur Errorzone en 2018, Vein.fm propose un menu très diversifié, où metalcore, hardcore et nu-metal cohabitent harmonieusement, pour un résultat pleins de clin d’oeil jamais lourdingues, des drops qui donnent envie de se réécouter toute la discographie de Code Orange aux refrains à la voix claire qui nous renvoient aux plus belles heures de Scott Weiland en passant par certaines cadences punk hardcore qui foutent une envie dingue d’aller frapper dans des sacs de sable (ou des copains en plein milieu d’une fosse si on a moins de 35 ans). Plaisir coupable? Non, plaisir tout court.

Rolo Tomassi

Where Myth Becomes Memory

Erwann

Il y a des groupes qui font tout pour ne pas être catalogués, et Rolo Tomassi fait partie de ceux-là. D'abord une formation de mathcore anarchiste, les Anglais se sont peu à peu transformés en machine post-hardcore mélangeant leurs différentes influences et couleurs musicales. On y retrouve donc des éléments de quasiment tous les sous-genres du hardcore, mais cette base bien bas du front se voit agrémentée de passages post-rock atmosphériques permettant à la hurleuse Eva Korman de montrer qu'elle sait également chanter de façon angélique. Ce contraste entre la lumière et les ténèbres constitue la force du groupe depuis son dernier album, Time Will Die and Love Will Bury It, et le groupe semble s'y être enfoncé encore plus profondément avec ce nouvel opus. Where Myth Becomes Memory voit ainsi les origines hardcore et les influences post-rock se fondre en une seule entité, brouillant la frontière des deux genres pour finalement devenir du Rolo Tomassi pur jus, bien loin de toutes les étiquettes qu'on pourrait leur coller au cul. 

Absent In Body

Plague God

Jeff

Ces dernières années, l’expression « supergroupe » a  été galvaudée par des labels peu scrupuleux et des artistes pas vraiment en phase avec leur valeur réelle sur le marché. Heureusement qu’il existe des formations comme Absent in Body pour remettre un peu d’ordre dans ce vaste bordel : celle-ci est composée de Mathieu Vandekerckhove et de Colin H. Van Eeckhout  pour Amenra, de Scott Kelly pour Neurosis et d’Igor Cavalera pour plein de formations dont les mythiques Sepultura. Et cerise sur la gargouille, tout ce beau monde se retrouve sous la bannière Relapse Records, qui a déjà sorti le dernier album d’Amenra en fin d’année dernière. Si le concept même de super groupe est souvent l’occasion de sortir du carcan imposé par ses formations respectives, ce n’est pas vraiment le cas pour ce Plague God dont on peut déjà vous dire qu’il est à classer dans les moments très forts et très intenses de 2022 : si vous faites partie des gens qui attendent d’Absent in Body une synthèse parfaitement maîtrisée des esthétiques habituellement défendues par Amenra et Neurosis, vous allez être servis. D’un bout à l’autre de Plague God, on assiste à un exercice d’équilibriste parfaitement maîtrisé, qui voit la violence cathartique du post-metal d’Amenra se confronter à la lourdeur malaisante de Neurosis. Et à dire vrai, malgré tout l’amour que l’on porte à Colin H. Van Eeckhout et à ses hurlements qui transpirent la douleur, on se réjouit d’entendre Scott Kelly venir poser sa voix terrifiante sur certains titres qui auraient tout à fait eu leur place sur De Doorn – « Rise From Ruins » est un magnifique exemple de la façon dont le groupe parvient à ménager la chèvre et le chou. Evidemment, on sent parfois que les idées de l’un prennent le pas sur l’autre (le sludge pachydermique de « In Spirit In Spite » pue le Neurosis des grands soirs tandis que « The Achres / The Ache » est tout à la gloire de ce songwriting éthéré qu’Amenra maîtrise à la perfection), mais jamais cela n’entrave la progression de cet album collaboratif absolument féroce, qui fait honneur à l’idée que l’on peut se faire d’un supergroupe.

Voivod

Synchro Anarchy

Erwann

Quand on pense Québec et métal, deux réponses peuvent venir à l'esprit. Premièrement, Gorguts et leur death metal dissonant – dont on attend d'ailleurs avec une certaine impatience le successeur de Colored Sands, assurément l'un des albums de death les plus époustouflants de la dernière décennie. Ensuite, ceux qui ont mélangé thrash et prog comme personne avant eux (ni après, d'ailleurs): Voivod. La trilogie d'albums Killing Technology - Dimension Hatröss - Nothingface a établi les standards (extrêmement élevés) du thrash progressif traitant de sujets de science-fiction. Et si le groupe n'a plus atteint ce niveau d'exigence, il reste néanmoins (bien) au-dessus de ce qui se fait en thrash moderne. Preuve en est avec ce quinzième album, Synchro Anarchy, qui voit ses compositions spatiales se faire transpercer de riffs torsadés et de basses bondissantes – mention spéciale à la production qui permet aux lignes de basses d'apporter une densité à l'ensemble. Alors oui, ce nouvel album n'apporte pas grand-chose à l'héritage (bien garni) du groupe, mais il s'avère déjà plus profond que la majorité des sorties récentes de thrash – à part peut-être les derniers albums de Vektor, Terminal Redux et Power Trip, qui ont tous deux déjà soufflé leur cinquième bougie. Des fois, il faut rappeler qui sont les patrons, et Voivod continue de le faire après 40 ans d'existence.