Dossier

Off The Radar #5

par Simon, le 4 mai 2012

From The Mouth Of The Sun – Woven Tide

Cela ne parlera peut être pas à tout le monde, mais sur papier From The Mouth of The Sun est tout sauf un duo de debutants. Mieux, l'association entre Dag Rosenqvist et Aaron Martin a quelque chose de directement engageant. C'est sûrement que les deux hommes ont été responsables de disques boulversants : le premier nous avait tout simplement giflé avec The Black Sun Transmissions sous son pseudonyme Jasper TX, une leçon de drone/ambient grésillante/modern classical noir qui compte encore comme l'un des meilleurs de sa catégorie il y a tout juste un an ; le deuxième nous est connu pour sa magnifique collaboration avec Machinefabriek et sa plantureuse discographie. Et Woven Tide a tout de la promesse tenue. Tantôt limpide, tantôt bourdonnant, cet ensemble oscille entre modern classical lyrique et orchestration claire-obscure. Ses lignes sont explicites, le trait est assurément précis – grâce notamment à des balises rythmiques en trompe-l'œil. On passe de pièces en pièces comme dans un parcours éclairé à la bougie. C'est peut-être cet aspect populaire et pourtant tranchant qui fait de ces huit titres une si belle balade. Une pièce de référence pour les deux bougres, une de plus, qui se résume comme le croisement entre le meilleur d'Hildur Gudnadottir et la série Xerrox d'Alva Noto.

Simon Bomans

Mikhail – Xenofonia

Ce grec là est véritablement un homme à part. Pas seulement pour la tirade du chroniqueur au moment d'attirer le chaland, mais pour la singularité de son œuvre. Pour beaucoup, il est et restera le Björk méridional. Et s'il est difficile de passer outre cette comparaison un peu malheureuse tant la voix de Mikhail Karikis est similaire à celle de l'Isandaise (jusque dans les manies vocales de celle-ci), Xenofonia recèle des dizaines de chemins de traverse qui suffisent à l'isoler complètement de toute similitude définitive. Opéra lyrique, composition baroque – avec toujours cet usage massif du clavecin – electronica millimétrée et électro-acoustique tout en ryhtmiques, ce disque est une fourmilière étrange. Un lieu où se cotoie l'infiniment beau, le dérangeant et surtout l'imaginaire sans borne. Mikhail joue avec les codes, tente des coups fumants de partout et finit par enchanter par ses aspects virevoltants, toujours changeants. Voilà, c'est bien ça, Xenofonia est l'œuvre d'un grand architecte du changement. Une œuvre vocale, mais pas seulement, qui s'impose à tous les amateurs de musiques libres.

Simon Bomans

Oren Ambarchi : Audience Of One

Est-il nécéssaire de présenter un artiste aussi prolifique que Oren Ambarchi? En plus d'une solide carrière en solo, ce dernier déborde de collaborations : Christian Fennesz, John Zorn, Phill Niblock et Sunn O))) pour en nommer quelques-unes. Ce dernier opus s'inscrit en continuité avec le reste de sa production parue chez Touch tout en nous réservant quelques surprises étonnantes. La première pièce entre autres, "Salt", qui s'amorce sans surprise sur une boucle de guitare quand tout à coup la pièce devient chanson, laissant toute la place à la voix enivrante de Paul Duncan. Du haut de ses 33 minutes, la pièce suivante, "Knots", pièce de résistance du disque, développe la tension au compte-goûte, laissant l'auditeur sur le qui-vive pour la durée de la pièce. Des accents rythmés de cymbales jazz sous des tones graves se distortionnent graduellement, des cordes frottés se mettent tranquillement de la partie, sons cuivresques, guitares "Sunn O)))esque", le tout dans un crescendo/decrescendo efficace. La troisième pièce, "Passage", est certainement la plus convenue alors que le disque se termine de façon tout aussi étonnante sur une rythmique de type boîte à rythme un peu kitsch et une structure résolument pop mais sans parole à l'inverse de la pièce d'ouverture où l'on retrouvait une chanson sur une structure tout à fait exploratoire. Frais.

Nicolas Bernier

Anthony Pateras : Errors Of The Human Body OST

Anthony Pateras est un compositeur australien aux multiples talents. On le retrouvera comme pianiste en duo avec le batteur Max Kohane sous une forme plutôt radicale d'improvisation post-contemporain-grind, ou encore avec Robin Fox dans des duo d'électronique frénétique. C'est sous une facture beaucoup plus posée qu'il propose ici la trame sonore du film de science-fiction Errors Of The Human Being du réalisateur Eron Sheean. Une musique faites de textures relativement dépouillées, principalement instrumentales mais où quelques synthétiseurs viendront ajouter ici et là une strate sci-fi demandée par le sujet cinématographique. S'y côtoie cuivre, percussion, piano, cordes dans un parfait équilibre. La seule chose que nous reprocherons à l'album est le manque de développement des pièces, trop courtes, qui ne semblent jamais s'engager jusqu'au bout de leurs idées. Néanmoins, un superbe disque doté d'une écriture simple et intelligente pour une écoute totalement limpide. Il plaira aux amateurs des trames sonores signés Jonny Greenwood (Radiohead) ainsi qu'aux adeptes de la jeune musique contemporaine comme Jean-Pierre Dessy, Nicole Lizée ou Annie Gosfield pour en nommer quelques-uns.

Nicolas Bernier

Keith Fullerton Whitman : Generators

C'est dans un désir de s'éloigner de la « laptop performance » que l'États-Unien Keith Fullerton Whitman a lancé son projet Generator dans lequel il construit des musiques électroniques complètement analogiques. Son instrument : des générateurs de fréquences et de synthèse sonore, d'où le titre du projet. Depuis 2010, nous l'avons vu sortir plusieurs versions du projet sur différentes étiquettes et différents formats tout en sachant renouveler quelques éléments dans ces compositions. Generator paru chez Roots Strata il y a deux ans proposait des trames répétitives, tandis que ce nouvel opus Generators chez Editions Mego est nettement plus varié. Deux pièces de dix-sept minutes composent l'album. La première, "Issue Generator (for Eliane Radigue)" enregistrée à Issue Project Room à New York repose sur une base dronesque où se construit et déconstruit une structure rythmique. La deuxième pièce "High Zero Generator" enregistré au High Zero Festival de Baltimore est quand à elle beaucoup plus bruitiste, hachurée, vigoureuse. L'ensemble du projet Generator est d'une rigueur sans conteste et l'amateur de musique électronique/analogique ne pourra qu'être que comblé à son paroxysme. Psychédélisme inclus.

Nicolas Bernier

Lubomyr Melnykn : The Voice Of Trees

Nous pouvons aisément tisser un lien entre Keith Fullerton Whitman et Lubomyr Melnykn, les deux nous faisant plonger dans des musiques à répétitives à saveurs transcendantales. Là où le premier se trouve dans le son purement électronique, le second est dans le son totalement acoustique, le piano comme générateur d'un éther musical empli de particules en perpétuel mouvement. La légende raconte que Lubomyr Melnykn est le pianiste le plus rapide du monde, rien de moins, maintenant le cap du 19.5 notes par secondes dans chacune des de ses deux mains virtuoses. Tout ça grâce à une technique qu'il développe depuis les 70's nommée « Continous Music », que l'on pourrait reliée au principe du drone où la surabondance d'information fini par devenir son contraire, un bruit continu, un fond sonore. L'écoute de The Voice Of Trees débutera sur une suite d'arpèges consonants... et se terminera de la même manière, soixante-six minutes plus tard. Il est donc important que l'auditeur se trouve dans le bon état d'esprit car le flot est tel qu'il est difficile de croire qu'un humain peut réellement tenir le coup (on dit d'ailleurs que certaines superpositions sonores ont été réalisées en studio, reste à voir si la musique tient la route sur les planches). Outre cette marée pianistique, quelques lignes mélodiques de tuba permettent à l'œuvre de garder un sens temporel. L'auditeur qui apprécie un Steve Reich ou un Charlemagne Palestine devrait se trouver en terrain connu. À noter que ce disque est une réédition remasterisée du disque original sorti en 1985.

Nicolas Bernier