Dossier

Off The Radar #15

par la rédaction, le 29 mars 2019

Dis Fig

PURGE

Emile

Dans PURGE, il est question de malaise, d'une folie qui doit être regardée en face pour être mise en péril. En somme, une seule vraie question paradoxale tourmente les neuf titres de l'album : que suis-je capable de devenir si je me mets à regarder véritablement ce que je suis ? Avec ce projet, la jeune New-Yorkaise s'est fixé l'objectif difficile de produire une bande-son pour le malaise du sujet moderne. Dans ce premier album percé de toute part par la créativité et l'obscurité, Dis Fig confirme bien tous les espoirs qu'on avait pu porter sur elle après les remix qu'elle avait produits l'an passé et son incroyable « Excerpt From An Atypical Brain Damage ». On remarquera surtout son aisance à passer du sample bruitiste et de l'expérimentation pure à un registre très pop, marqué par l'association des synthétiseurs et du chant clair. Un petit bijou à se mettre dans les oreilles pour le plaisir de se faire du mal.

Sam Kidel

Silicon Ear

Côme

Sam Kidel est un homme facétieux. Après avoir joué de la muzak à des employés interloqués de centre d’appels téléphoniques il y a deux ans, on se réjouissait de le voir revenir avec rien de moins qu’une « rave virtuelle dans un data center de Google ». Et pourtant, il y a derrière cette idée étrange à première vue des outils éminemment complexes et un propos réellement revendicateur. En effet, Sam est allé jusqu’à simuler virtuellement la structure d’un data center pour générer la réverbération des lieux à partir de photos de Google. Quant à la deuxième piste, elle est basée sur un algorithme visant à déjouer les méthodes d’écoute des renseignements et des outils connectés type Google Echo. Le véritable tour de force de Silicon Ear ne réside cependant pas dans sa maitrise technique, mais tout simplement dans son côté joueur, exactement comme Disruptive Muzak avant lui. Loin de la radicalité absolue, ce deuxième album est finalement relativement accessible, le premier morceau ressemblant parfois à s’y méprendre à un étrange piano préparé. Reste par contre un deuxième morceau bien plus abrupt, et qui semble parfois exister avant tout par son concept. Quant à l’aspect politique, le patch de masquage de la voix est disponible gratuitement sur le site d’Ableton, pour jouer un peu avec et se jouer des machines.

David Terry & Eye Spirit

The White Horse Of The Sun

Emile

Après un EP tout en maîtrise pour ses débuts avec Opal Tapes l'an passé, on attendait avec curiosité la nouvelle proposition de David Terry. Exit les productions aidées du synthétiseur et les arrangements harmoniques, l'accordéoniste revient avec une structure primitive en compagnie du violoncelliste et chanteur Eye Spirit. Une pièce, deux musiciens, un enregistreur quatre pistes, pour quatre titres fous d'une demi-heure chacun. Avec le caractère fondamentalement organique du souffle de l'accordéon et de la voix, David Terry et Eye Spirit accomplissent le syncrétisme mystique de l'ambient et d'un primitivisme musical. Les sombres nappes aériennes qui s'étendent sur des kilomètres de bandes sonores semblent émerger des profonds gouffres de l'histoire, oscillant entre la gravité du violoncelle et des rayons quasi-grégoriens de lumière vocale. En route vers les abysses, la profondeur de l'âme et la noirceur des croyances humaines, The White Horse of The Sun et son visuel berserkien jouent la carte du vertige créé par l'assemblage de l'infini et de la simplicité.

La Novia

Perrine Bourel

Jeff

Quand on s’aventure du côté de La Novià et de la galaxie d’artistes qui tournent autour du collectif basé au Puy-En-Velay, on a ici plutôt tendance à aller vers ces grands artificiers de la transe, prônant une certaine forme de radicalité. Pourtant, il y a sur le label beaucoup de choses tout à fait abordables, et qui résument parfaitement l’approche d’une structure pensée comme « un lieu de réflexion (…) autour des musiques traditionnelles et/ou expérimentales ». À cet égard, le nouvel album de Perrine Bourel est une très belle porte d’entrée dans la galaxie La Novià et un bon résumé de la philosophie qui anime cette joyeuse bande de francs-tireurs du terroir. À travers son travail, la Française entreprend de rendre leurs lettres de noblesse aux violoneux, ces violonistes qui jouaient de la musique populaire ou folklorique - une pratique péjorativement connotée aujourd'hui, et dont la valorisation de la contribution s’inscrit au coeur de la démarche de La Novià et de ses soldats les plus fidèles. Allergique à la virtuosité, Perrine Bourel oppose aux effets de manche souvent associés à une pratique traditionnelle de l’instrument un jeu tout en simplicité et en humilité, qui alterne belles respirations et moments de tension, ombre et lumière, tradition et expérimentation. Dans une remarquable économie de moyens, Perrine Bourel raconte énormément de choses sur un terroir réinventé et sublimé par des artistes dont la démarche force autant le respect que l’admiration.

Kaiju Kijo

Unforgivable

Emile

Il sonne effectivement « impardonnable », le monde, lorsqu'on essaie de rentrer dans l'esprit de Kaiju Kijo. Cette artiste du Queensland australien a beau se revendiquer de la mouvance noisegaze, on est pourtant bien loin des douceurs post-punk de Hookworms ou de Have A Nice Life. Ici, la noirceur règne à la manière d'un disque de death, en profondeur, enracinée dans absolument tous les éléments du disque. Le travail des effets, le montage des pistes, tout est pensé pour inquiéter l'auditeur, jusqu'au nom même de l'artiste, inspiré des contes démoniques japonais. Cette noirceur laisse néanmoins apparaître bien autre chose que de la violence. De la passion, de la douleur, de l'humanité, voilà ce qui point monstrueusement dans la solitude vocale de « Grey Static Downpour » ou la mélodie voilée de « Flight of The Devil Dame ». On y trouve même la positivité d'une revendication politique anarchiste, venant donner un sens à un chaos qu'on entend de plus en plus esthétisé au fur et à mesure de l'album. En somme, c'est à travers la douleur aussi bien que malgré elle, que Unforgivable fait sens musicalement. Ironiquement, Kaiju Kijo avoue ne rien y retrouver de personnel une fois le travail fini ; comme l'histoire tragique d'une damnation.

Aquagal

Horse Girl take the city

Emile

Quand on parle d'expérimentation en musique, on pense trop souvent à celles et ceux qui cherchent à repousser les limites de ce qui a été entendu. En cela, on rapproche fatalement ce qui est de l'ordre de l'expérimental et ce qui est de l'ordre de l'inouï au sens quantitatif. Or il n'y a pas que la déformation sonore et la déconstruction des compositions qui aient leur place au cœur de l'expérimentation en musique ; il faut également compter sur les artistes qui effacent les frontières de la musique et des autres arts. Entre chanson, poésie, journal intime et pop-opera, Aquagal utilise le motif naïf de l'adolescente fana d'équitation pour faire exploser ce qu'on peut attendre d'un disque. Aussi plaisant sur le texte qu'étonnant sur la musique, le deuxième album – si jamais c'en est un – de la jeune australienne est autant une histoire du coucher qu'une douce réflexion sur le minimalisme musical.

Daniel Blumberg & Hebronix

Liv

Emile

Voilà un artiste qui n'a pas eu peur de l'insaisissable. Travaillant tantôt sous son nom, tantôt sous un pseudonyme, tantôt sous le nom d'un groupe, le guitariste américain Daniel Blumberg impose de faire un petit travail de recherche pour récupérer sa discographie. Son dernier album, Liv, est un enregistrement d'un de ses premiers projets solos, Hebronix, et date en réalité de 2014. Cet alias l'associait notamment à son acolyte de toujours, le saxophoniste Seymour Wright. Dans cet album, les effluves du rock indé se mélangent à de l'ambient, mettant les qualités de songwriter de Blumberg à l'épreuve de l'expérimentation. Surprenant de bout en bout, Liv décide de jeter un regard curieux sur une autre histoire de la chanson et de la pop et sur la capacité d'un mélange des genres pour faire de la musique une histoire.