Dossier

Les meilleurs crus 2010 (albums)

par Jeff, le 20 décembre 2010

Les années se suivent et se ressemblent. Les disques exceptionnels se comptent sur les doigts d’une main et se retrouvent d’ailleurs dans l’immense majorité des classements de fin d’année. Ensuite, et c’est là que les choses se corsent: il faut piocher dans les dizaines de disques à la mention plus qu’honorable qui ont été soumis par une équipe aux goûts pour le moins divers. Ainsi, des ratios hautement improbables ont été appliqués, des pondérations longuement réfléchies ont été introduites et un débat acharné s'en est suivi. De ces interminables délibérations est né et un top 30 que l’on espère homogène et représentatif de notre conception de la ‘bonne musique’. A vous d'en juger.

  • 30.I'm New HereGil Scott-Heron

    Que reste-t-il du Gil Scott-Heron de nos vieux vinyles ? Une voix, un spoken word, un discours. Toujours cette bouleversante poésie narrative où l'intime et le social ne font qu'un. Et toujours chez nous ce pouvoir d'être capté par un type, un simple type qui ose prendre la parole. Les coordonnées ont changé mais Gil Scott-Heron ne s'est pas paumé. Quelque part, ce disque se fout de notre gueule. Car, en 28 minutes bourrées d'interludes, qui plus est par un vieux loup qui ne s'était pas exprimé depuis 1994, I'm New Here nous donne des nouvelles de notre époque. On n'est même pas sûr que ce soit un vrai come-back. Peu de chance que Gil Scott-Heron soit revenu pour rester. On croit bien plus que ce n'est qu'un geste, nous laisser cet objet, pour nous réveiller, avant de disparaître encore.

  • 29.Have One On MeJoanna Newsom

    Ce qui surprend dans cette œuvre gargantuesque, c'est le mariage improbable entre homogénéité et hétérogénéité, à tel point que la harpiste brouille les pistes et nous invite à nous perdre dans son univers. Hétérogène dans sa combinaison des genres, des instruments, des émotions mais également homogène dans la durée relativement équivoque de ses différentes pistes et dans la cohérence et les enchaînements parfaits entre chaque morceau. On le savait: Joanna Newsom est une artiste surprenante. Quand nous pensions, à juste titre, que la belle harpiste avait atteint des sommets avec Ys, Have One On Me va plus loin et montre à quel point l'Américaine a encore de charmantes incantations à nous susurrer délicatement à l'oreille.

  • 28.Love KingThe-Dream

    Véritable égérie r'n'b/hip-hop du catalogue Def Jam, The-Dream boucle avec Love King une trilogie absolument indispensable. Assisté par des productions taillées au millimètre, The-Dream enfile les tubes comme des perles et signe un disque qui se vaut sur toute sa longueur. Cette réussite, The-Dream la doit à un délicieux mélange d'influences autant old-school que carrément modernistes, un élan qu'il concrétise grâce à une voix faisant corps avec sa musique. Dans cette logique, Love King est un disque peaufiné à l'extrême, pour qui le passage au studio a révélé tout le perfectionnisme de son auteur. Rajoutez à cela quelques gouttes d'auto-tune, des featuring pertinents et une maîtrise totale du sujet et vous obtenez une déclaration d'amour r'n'b comme il en existe peu par les temps qui courent.

  • 27.SisterworldLiars

    Il n'y aura que quelques sniffeurs de mauvaise colle et une poignée d'intellectuels de la métallurgie extrême pour regretter «l'assagissement» des Liars. Osons un verdict définitif à l'égard des pisse-froids, il faut être complètement con pour penser sérieusement que l'on se trouve ici face au cas de figure habituel où le groupe jadis radical devient de plus en plus pop. Ce qui se passe, c'est plutôt que des guignols auxquels un certain génie a été attribué principalement parce qu'ils semblaient plus bizarres et extrêmes que beaucoup d'autres s'avère sur la longue vraiment radical, vraiment extrême et vraiment déviant. Et comme ça parle toujours de buter des gens et de copuler avec le cosmos, la séduction prend des airs bien davantage diaboliques que de soumission aux lois du marché. Bref, les Liars n'ont jamais été si vénéneux et dangereux qu'aujourd'hui. Passionnants, aussi. Contaminants, même, carrément.

  • 26.BlackmagicJosé James

    Deux ans après The Dreamer, José James est de retour avec un sophomore album forcément très attendu. La présence sur ce disque de Flying Lotus est en tout cas caractéristique de la volonté de José James de sortir du carcan purement jazz de The Dreamer. L'album dans son ensemble est moins feutré, plus urbain, en un mot, plus soul. On se délectera de "Save Your Love For Me" ou encore "Lay You Down", deux midtempos délicieux à l'orchestration sobre, permettant à la voix d'or de José James de s'imposer avec délicatesse. En tous les cas, le chanteur new-yorkais passe l'examen du deuxième album avec brio. Sa palette musicale s'est nettement élargie avec Blackmagic, l'imposant comme un des meilleurs chanteurs soul de son temps.

  • 25.HiddenThese New Puritans

    Hidden se dévoile peu à peu, comme un périple sombre et méthodique. Point ici de furieuses guitares. Tambours japonais, chœurs d’enfants, orchestrations périlleuses, affilage de lames, voici les motifs récurrents qui logent au cœur de la bataille. A l’image des instrumentaux qui l’ouvrent et l’achèvent, Hidden est un objet complexe, déroutant, mais pas inaccessible. La friction des genres engendre une déclaration de guerre maîtrisée. Progressive, cohérente et déterminée. Même si certains passages flirtent avec le pompeux, l’entreprise s’avère victorieuse. L’album aligne morceaux de bravoure sur morceaux de bravoure. Il faudra donc désormais compter sur ces petits branleurs aux insolentes aptitudes…

  • 24.This Is HappeningLCD Soundsystem

    Sur sa nouvelle plaque, le Mogul new-yorkais s'inspire cette fois de la trilogie berlinoise de Bowie en y ajoutant un zeste de Velvet Underground ou de Talking Heads. Et le père Murphy a tellement été influencé dans son processus créatif qu'il va parfois même jusqu'à donner dans du quasi sampling instrumental ! Le nouvel album de LCD Soundsystem serait-il un honteux plagiat annonçant les limites du groupe tant chéri ou, au contraire, un somptueux disque déclarant sa flamme au meilleur du rock et du post-punk ? "Un truc de dingue!" diront certains, "Scandaleux!" crieront d'autres. Nous, après avoir fait notre journaliste merdeux en déclarant que le "Père Murphy Noël" porte une fausse barbe, on dira surtout que "Ainsi va la musique". On assurera finalement que This is Happenig est un bon disque déclarant sa flamme au meilleur du rock et du post-punk, parce que ouais, on doit beaucoup à LCD Soundsystem et à DFA.

  • 23.Total Life ForeverFoals

    Pour un groupe qu'on se limitait à comparer à Battles à ses débuts, les horizons se sont aujourd'hui élargis et on décèle ci et là du The Cure, du Radiohead et du Death Cab For Cutie. Ainsi, même si la formation a conservé cet amour du riff sec qui sert surtout à nous rappeler à qui l'on a affaire, elle laisse sa musique s'imprégner d'un spleen latent qui entraîne un ralentissement certain du rythme de croisière. Finis donc les sprints effrénés qui les avaient propulsés sur les devants de la scène: aujourd'hui, les gars de Foals jouent les coureurs de fond et concourent sur de plus longues distances. Séduisant donc.

  • 22.SwimCaribou

    Pour certains, ce sera assurément l'un des grands albums de l'année. L'un de ceux qui offre un instantané précis d'un certain air du temps, qui tente le crossover ultime entre culture électronique et influences folk, psychédélisme indie et recettes de la house la plus club (TB 303, piano...). Swim de Caribou, c'est Pantha du Prince chez Animal Collective, la house baléarique revisitée par Pitchfork Media. Ca sonne comme sonne un best of du label Kompakt dans la tête d'un musicien de, mettons, Four Tet ou Jagga Jazzist. Il y a de l'intelligence, des idées, de l'émotion et même des trompettes.

  • 21.High VioletThe National

    High Violet est en gestation depuis décembre 2008, ce qui implique que, malgré les projets de chacun, il a aussi eu le temps de mûrir en fûts de chêne. C’est d’ailleurs cette assurance de la maturité qui permet au groupe d’asseoir sa prose sur des titres plus sobres et des pistes raisonnablement plus longues qu’à l’accoutumée. En renonçant au format radiophonique, The National s’éloigne de la production de singles communicatifs comme c’était le cas sur Boxer et revient à ses fondamentaux. Pour autant le fond ne change pas : c’est toujours des amours torves, de la paranoïa et de la solitude dont il est question, des guerres injustifiées (« Lemonworld ») et de la plastique altérée d’une Amérique plus trop sûre d’elle-même en général. C’est donc en toute élégance que High Violet vient confirmer la puissance évocatrice de The National. Sans fioritures et sans éclats.