Dossier

Hood Therapy #13

par la rédaction, le 14 février 2018

La nouvelle année est là, et avec elle son habituel cortège de mixtapes hautes en couleur. Mais les choses changent: le format mixtape a subi nombre d'évolutions qui ont quelque peu chamboulé la façon dont on envisage ce dossier - proposer un contenu strictement téléchargeable. Cette année, le marché détenu jadis par Datpiff a été grignoté par Apple Music et Spotify, ces nouveaux venus s'offrant un passage direct par la case streaming et plus par des fichiers compressés mis à la disposition du public. Dans ce contexte, ce volume est sorti dans la douleur. Mais on a tout de même réussi à vous dénicher six projets du gouffre histoire de vous tenir au chaud. Bonne écoute !

Jeff, Ruben, Côme et Tariq

Gucci Mane

El Gato : The Human Glacier

Sur la seule année 2007, Gucci Mane sortait deux albums et cinq mixtapes, passait sa vie dans les strip clubs d’Atlanta, pesait 120 kilos et niquait tout ce qui bougeait. Dix ans plus tard (et un passage par la case zonzon) et notre homme a changé : il a ralenti la cadence de ses sorties, arrêté les excès, perdu du poids et épousé Keyshia Ka'oir. Mais bien qu’apaisée, la bête qui a transformé Radric Davis en machine à rapper au mitan des noughties continue de montrer les crocs à intervalles assez réguliers. Comme en 2016, Gucci Mane a bouclé 2017 avec une ultime sortie entièrement produite par Southside, moitié de la grande 808 Mafia. Si l’on devait comparer El Gato : The Human Glacier aux deux autres sorties de Gucci en 2017, on dirait qu’il se rapproche davantage de la jolie tape DropTopWop que d’un Mr. Davis qui cochait toutes les cases de l’album de studio en major – à peu près un producteur par titre et une liste de guest MCs plus prévisible qu’un line up de Coachella. Fidèle à son statut de Trap God, et sur un format plutôt linéaire qu’il affectionne, Guwop pond un disque pour la rue et pas pour les charts, sans le moindre featuring ou effet de manche. Comme on pouvait s’y attendre, ça parle domination du game, jolies filles (Gucci les aime « thick, young and tender ») et souvenirs de son passé de dealer sur l’irrésistible « Rich Ass Junkie ». Et même quand ça raconte n’importe quoi, ça n’empêche pas de pondre des tubes – écoutez « Sea Sick ». Enregistré en deux jours seulement, El Gato : The Human Glacier est la preuve (mais qui en avait encore vraiment besoin ?) que même assagi, Gucci Mane continue de toiser la concurrence tout en haut de la chaîne alimentaire.

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FBG Wookie

The Beginning

Dans Dragon Ball Z, lors de l’affrontement contre Cell, Sangohan et les siens se voient confrontés à des clones miniatures du monstre vert d’Akira Toriyama, appelés Cell juniors. Directement issus de son corps, ces petites bêtes vicieuses déploient la même agilité au combat et sont toutes aussi douées que leur maître. FBG Wookie est à Future ce que ces monstruosités sont à leur maître. Membre du Freebandz Gang, FBG Wookie dévoile des aptitudes similaires à celles de son mentor – du mumble rap jusqu'aux instrus crapuleuses confectionnées par les producteurs locaux, tout y est – et, avec The Beginning, la jeune canaille d’Atlanta signe une première mixtape qui transpire la codéine, et se positionne dans la lignée des Dirty Sprite et Streetz Calling du patron Nayvadius Wilburn. Avec un génome aussi proche de celui de Future et des street bangers comme "Thot Life (Remix)" ou "Devotion", FBG Wookie ne devrait avoir aucun mal à trouver son public.

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Conway

G.O.A.T (Grimiest Of All Time)

L’année 2018 débute à peine qu’on est déjà dans l’obligation de vous parler de la clique Griselda Records, et de vous dire tout le bien que l’on pense de la nouvelle mixtape de Conway. En même temps, chanter les louanges du crew de Buffalo affilié à Shady Records n’est pas bien compliqué quand on voit le niveau de qualité affiché par des membres ces 24 derniers mois. Pour clôturer une année 2017 exceptionnelle, le MC de Buffalo a logiquement fait appel à son partner in crime Daringer pour lui pondre 45 minutes d’un rap « gritty as fuck », et qui évoque inévitablement un certain âge d’or du rap east coast, sans jamais donner dans la resucée tiédasse ou l’opportunisme malsain. Et alors qu’on aurait trouvé tout à fait logique d’entendre les flows des ses BFF Westside Gunn, Roc Marciano ou Mach-Hommy, un peu partout sur G.O.A.T. (Grimiest of All Time), Conway prend le pari assez risqué de se confronter à pas mal de légendes qui doivent être autant de modèles pour lui: Styles P, Royce da 5’9’’, Raekwon, Prodigy ou l’éternel underdog Lloyd Banks sont tous présents dans ce qui ressemble fort à une cérémonie officieuse d’adoubement de Conway par la vieille garde, qui voit forcément en lui le meilleur moyen de perpétuer un héritage, une tradition et une vision. La tâche est certes ardue, mais quand on voit comment Conway tient tête à l’un des meilleurs MCs du Wu Tang Clan ou à la défunte légende de Mobb Deep, on se dit qu’il a les épaules assez solides pour être à la hauteur.

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Travis Scott & Quavo

Huncho Jack, Jack Huncho

Teasé depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le projet collaboratif Travis Scott X Quavo aurait pu être un raz-de-marée sans précédent, une rencontre au sommet entre deux mastodontes du rap moderne. Au lieu de ça, le truc est sorti presque sous le manteau, lâché gratuitement sur Datpiff à la fin du mois de décembre, lorsque tout le monde avait la tête ailleurs. Pourquoi ? Parce que le rap. Et aussi, parce qu’au demeurant, Huncho Jack, Jack Huncho n’avait de toute façon pas tout à fait la tronche d'un blockbuster, plutôt celle d'une collection de chutes de studio assemblées à la va-vite. Et pourtant… On y trouvait de très jolies choses et des pistes pour l’avenir. Comme pour tous les projets à deux têtes de ces dernières années (Kanye X Jay-Z, Drake X Future), c'est le membre du duo à la tendance la plus conceptualisatrice qui prend le pas sur le talent brut. Ici, c’est évidemment Travis Scott qui donne le la. Mais on avait rarement entendu des odes à l’argent aussi tristes, l’impression d’un Rich Gang : Tha Tour qui aurait mal tourné ; deux gamins du rap rongés et défigurés par toutes les liasses amassées. “All these damn chains, modern slavery / But this ain’t 1800 so they pay me”, annonce d’ailleurs le duo dès l’intro, omettant de signaler qu’un esclave payé reste un esclave. Une esthétique post-moderniste qui éclate particulièrement sur quelques tracks disséminées au coeur du disque : l’immense “Motorcycle Patches”, complèment new wave au déjà très grand “Motorsport” de Migos, “Go”, anémique au possible et parfaite antinomie de son titre, “Dubai Shit”, conçue pour chialer en faisant du jet-ski dans le golfe Persique ou encore “Saint Laurent Mask”. Malgré l’irrégularité du projet, le blues des millionaires drogués avait rarement atteint de tels sommets que sur ce Huncho Jack, Jack Huncho.

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YRN Lingo

Lingo Mufasa

On ne sait pas vraiment le temps dont aura eu besoin le graphiste pour pondre l’artwork de Lingo Mufasa (au-delà des 30 minutes, il est bon pour le Créahm), mais une chose est sûre: mettez-nous la bête tête d’un rappeur américain qui se croit déjà au halftime show du Superbowl, et on achète plus vite que Jean-Marc Généreux. On connaît notre faiblesse face à ce genre de conneries, mais on vous rassure: les trois lettres YRN (pour Young Rich Niggas, le crew de Migos) ont aussi aidé à activer certains capteurs de nos radars - et vu le bordel qu’est la homepage de Datpiff, les pauvres ne sont pas tous les jours à la fête. Cette mixtape du gars de Nawfside (le nom donné au quartier où lui et Migos ont grandi) sert surtout à donner une petite idée du gouffre qui sépare le bon pote qui sait enchaîner les couplets sans passer pour Amandine du 38 de la géniale mongolerie dont les trois de Migos se sont fait les plus puissants ambassadeurs en 2018. C’est simple: malgré quelques bons moments de mumble trap qui a fumé suffisamment de moquette pour mettre au chômage tous les vendeurs de tapis de la francophonie, on se demande si il y a ici suffisamment de talent brut pour entrevoir une vraie carrière pour YRN Lingo autrement qu’en jouant les hypemen ou les premières parties dont on se contrefout. Mais surtout, une tape comme Lingo Mufasa permet de réellement valoriser le travail de Offset, Quavo et Takeoff aux yeux de ceux qui ne voient en eux qu’une bande de mecs au succès inexplicable. C’est toujours ça de pris..

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Dark Polo Gang

Sick Side

Le revers de la médaille de la mondialisation, c’est cette uniformisation crasse qui s’étend à tout, de l’architecture à la mode en passant par ce qui nous intéresse ici, le rap. Le groupe romain Dark Polo Gang est avant tout un crew complètement inspiré par tout ce qui fonctionne outre-Atlantique, et s’en réapproprie chacun des codes, en moins bien évidemment car avec toujours cet aspect un peu trop copycat. Pour faire simple, Dark Polo Gang c’est le "Gucci Gang" de Lil Pump mais version ceinture vendue sur un trottoir de Vintimille. Ce qui est effrayant dans tout ça, c’est finalement que cela fonctionne à l’écoute, et ce même sans parler un seul mot d’italien. Tout ici marche en effet à la mélodie, toujours infectieuse au point que l’on ne sait parfois réellement faire la différence entre refrain et couplet, et bien aidée en cela par le travail de Sick Luke qui continue d’être aux manettes de tout ce que fait le DPG. Et heureusement que le groupe continue d’avoir une science du hook absolument parfaite car, en dehors d’un matérialisme façon Gosha Rubchinskiy et Vetements, il n’y a pas grand chose de marquant chez le quatuor romain, en dehors de ce côté Ctrl-C Ctrl-V de ce qui se fait de mieux aux US. A l’arrivée, le DPG est un peu comme la deep dish pizza de Chicago : pas vraiment italien et le monde pourrait probablement s’en passer, mais disons que ça reste quand même sympa.

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