Dossier

Goûte Mes Mix #95 : Ritmo Fatale

par la rédaction, le 5 juillet 2022

Tracklist: 

  1. Sally Shapiro - Holiday [Italians Do It Better, 2022]
  2. Abel Edits - Another Cigarette [Surfing In Kansas, 2019]
  3. Stelee-Up - Waiting For You (Vocal) [1984, Many Records - Pardonnez Nous 2022 Reedition]
  4. Bottin - No Static [Italians Do It Better, 2009]
  5. The System - Almost Grown [1983, - Romantic Records - Music From Memory 2016 Reedition]
  6. Marcello Giordani Dj feat. Ready in LED - Fase Rem [Slowmotion, 2022]
  7. Master Plan - Pushin' Too Hard (Gerd Janson Mega Mix) [Running Back, 2020]
  8. Lauer - Make It Stay feat. Dena [Permanent Vacation, 2021]
  9. Theo Kottis - On Your Mind [Permanent Vacation, 2022]
  10. Perel - Principle Of Vibration [Kompakt, 2022]
  11. Psycho Weasel - Chrome [Argent Sale, 2022]
  12. Rhode & Brown - Neuromantic Dreams [2021]
  13. Kendal - Ultimo [Moustache, 2019]
  14. One Two Three - Runaway [1983, Prelude Records]
  15. Lipps Inc - How Long [1980, Casablanca] 
  16. Crysalis - I Never Dance [1983, Trash Records]
  17. Electronic - Dark Angel [1996, Parlophone]

Dans un monde boilerroomisé, la quête d'un nouveau Goûte Mes Mix relève souvent du parcours du combattant, entre refus, « ghosting », reports et autres déconvenues. Alors lorsque Paul et Kendal, les deux têtes pensantes du très en vue label Ritmo Fatale, ont accepté notre invitation, on ne s'attendait pas à tant d'enthousiasme et d'énergie pour la préparation de ce GMM aux accents italo-disco. Pour parler comme des commentateurs de la Grande Boucle, les deux Toulousains ont été « généreux dans l'effort » pour nous offrir une interview XXL abordant aussi bien la vision artistique qu'ils insufflent à leur écurie, que l'amour fou qu'ils vouent aux musiques à gros claviers ou cette volonté de mettre #toulouseonthemap. Côté musique, là aussi la générosité est de mise avec un univers à mi-chemin entre le générique de Miami Vice et une balade en décapotable sur la route des vacances. Vous l'aurez compris : attention à l'insolation.

Salut les gars, pouvez-vous nous parler de la genèse de Ritmo Fatale, de vos diverses influences pour monter ce label ? 

Paul : Alors pour la vraie origin story, on peut retourner 10 ans en arrière direction Pau, où on s’est rencontré via des potes en commun lors de nos études là-bas. Kendal était résident du Bindy Club, de mon côté j’y ai fait mon stage puis ensuite nous avons pu y curater ensemble quelques éditions des soirées ULTRA (Surkin, Teki Latex, Gesaffelstein..)  Niveau musique, on était raccord très vite, on passait énormément de temps à écouter tout ce qui sortait, et déjà dans des styles assez différents. 

Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, il y a 95% de chances qu’on se mette de suite d’accord sur la direction artistique, musicale, esthétique et même plus globale, à adopter sur le label. On partage souvent les mêmes idées et envies.

Pour revenir sur la création du label, à ce moment-là j’étais plutôt lassé des sorties naviguant entre house et techno, je trouvais ça de plus en plus fade. Ce switch « italo » courant 2019 était plus que bienvenu, donc j’ai embrassé le truc à fond. Dans un sens, ça rejoint complètement mes influences principales que sont la synth-pop, le soft rock et la new wave. La naissance de Ritmo Fatale a aussi coïncidé avec la brutalité du premier confinement, et avec cette période assez trouble est vite venu le besoin de changer de cap. On a pu transformer toutes ces frustrations en énergie positive via le label.

Kendal : Dans ma tête ça bouillonne sans arrêt d'idées qui vont au-delà de la production musicale et lancer notre label était le moyen parfait de toucher à plusieurs médiums : musique, clip, merch, curation, production d'events, artwork... On ne souhaite pas se contenter de remplir un catalogue musical.

Nous sommes tous les deux des enfants d’Ed Banger, Institubes, Gigolo Records ou Turbo Recordings, mais aussi Zone, Bromance ou Sound Pellegrino. En y repensant ils sont notre matrice : un label, c’est une vision artistique globale. C’est pourquoi depuis nos débuts la partie esthétique occupe une place centrale; on passe des heures à digger des graphistes sur Instagram afin de trouver la bonne cover, celle qui « matche » avec nos sorties ou nos events.

Pour l’instant on est sur une distribution uniquement digitale, ce qui nous permet d’être réactif sur notre direction artistique, de sortir rapidement nos coups de cœur. Bon c’est plus trop vraiment le cas car on a déjà quasi un an de release planifié à l’avance ! Tout le monde attend qu’on sorte des vinyles, on adorerait aussi mais quand on voit le coût, le temps que ça prend en logistique et surtout en délai de pressage, on préfère concentrer notre énergie ailleurs pour le moment. Bon j'avoue qu’il me tarde de sortir notre premier vinyle Ritmo Fatale mais on se console en sortant enfin notre premier T-shirt !

Au sein du label on a à cœur de garder un esprit familial. Les rencontres humaines et artistiques restent notre plus grand plaisir. Quand on est profondément touché par un jeune producteur inconnu comme ß, qu’on croit en lui et que derrière on voit public et djs être touchés de la même manière le sentiment de satisfaction est énorme!  

Au passage pour me lancer dans cette aventure je ne pouvais pas rêver meilleur partenaire que Paul. C’est mon ami et ‘consigliere’ de toujours, on fait à peu près tout ensemble au sein du label, ce qui nous permet de prendre les meilleures décisions et surtout de kiffer chaque jour même quand on doute. Ce ne serait pas la même chose sans lui.

Votre label se fait remarquer par sa défense de l’italo-disco, comment faites vous pour puiser dans une scène qui paraît assez restreinte au premier abord ? 

Kendal : En général, les plateformes ou Beatport nous catégorisent avec le terme‘ Indie-Dance’ qui sonne un peu bullshit marketing je trouve, on préfère vulgariser et dire qu’on fait de l'italo même si ça doit hérisser les poils de certains puristes.

C’est un dérivé du disco venu d’Italie qui te téléporte instantanément dans les 80's. C’est très codifié avec un rythme 4/4, beaucoup de synthés, des arpeggios, une structure pop et surtout une dose de « cheesiness » qui rend l’ensemble euphorique et catchy. Il faut trouver l'équilibre entre tous ces éléments pour éviter de tomber dans le kitsch ou le too much même si j’avoue que j'adore sauter à pieds joints dedans ! Ca fait 15 ans que j’ai commencé la production sur Ableton, je suis passé par toutes les phases, "Turbine", "House Lo-FI", "Techno Robert Hood", mais dès le début ça penchait déjà très fort vers les sonorités 80s. 

Au lancement de Ritmo Fatale je venais de sortir mes deux premiers EPs très italo donc a reçu une tonne de démos dans ce style - plus d’une centaine ! On prend toujours le temps d’écouter tout ce qu’on reçoit et c'est comme ça qu’on a découvert Lennart, Mouissie, Louis De Tomaso, Micropacer, Agle ou Neurotiker

Aujourd’hui on est pas mal de producteurs ou labels à mixer ces codes  avec des sonorités plus actuelles. Avec mon hermano Pablo Bozzi on pousse plus loin cette hybridation en intégrant une bonne dose d’EBM et d’early trance, on appelle ça "Italo Body Music". Pour l’instant il y a une émulation très positive au sein de la scène et c’est excitant de voir qu’elle s’agrandit chaque jour avec de nouveaux producteurs talentueux qui apportent leur propre variation. 

Que ça soit en DJ set ou via le label, ce qui me fait kiffer avant tout c’est de faire découvrir des choses. Notre définition du rythme fatal ne se réduit pas à l'italo. On essaye de varier intelligemment nos releases et de profiter de l’engouement autour du genre pour amener notre public vers d’autres univers qui nous touchent autant. Je pense à l'album slow-acid-EBM de Mimmo et Hirschmann, à l'électronique brumeuse de Cate Hortl ou le prochain EP d’Amarcord qui navigue entre Trance, Pop et Ambient. 

De tout manière en 2022 plus personne ne s’identifie à un seul type de musique sauf les puristes catégorie relou qui te susurrent ‘je l’ai en vinyle’. Avant que je démarre le label ou ma “carrière” j’avais tendance à associer un.e dj ou producteur.ice uniquement à sa musique alors qu’en fait on a tous un background plus riche. Depuis je m’en fiche de rentrer dans une case et j’assume plus facilement les partis-pris. Avec Ritmo, on a une vision à long terme, chaque jour on apprend et on avance par étape. Notre ambition c’est de devenir un label synonyme de qualité et de sincérité plutôt que d’un genre musical spécifique. Inch’allah ! 

Paul : Concernant l’italo-disco, on s’en inspire, on s’y retrouve, on aime ce genre, on aime le partager avec le public, mais en effet ça ne définit pas tout ce qu’on apprécie et qu’on essaye de proposer sur le label. On ne se revendique pas spécialistes ou historiens du genre, on a pas envie de se faire casser la gueule par les vrais collectionneurs ! La « scène italo » est de plus en plus présente et relativement accueillante, on l’a rapidement compris dès le lancement du label en recevant des messages de soutien et beaucoup de super démos. Un peu cliché mais on a l’impression que c’est une grande famille.

C’est bien sûr un genre spécifique mais c’est surtout pour nous un terme et une esthétique très 80s qui englobe tout autant un Etienne Daho qu’un The Hacker, et on a l’impression que tous les artistes avec lesquels on collabore partagent cette vision que l’on se fait de l’italo, tout comme notre amour pour la new wave, la synth-pop, le soft rock, la balearic, l'early trance. Cette ouverture d'esprit fait beaucoup de bien et c’est comme ça qu’on veut aborder les choses, et qu’on souhaite faire évoluer le label. On a rencontré un tas d’artistes passionnants qui évoluent dans cette scène, et ça reste le moteur principal.

Souvent cantonné à des playlists fourre-tout sur les plateformes de streaming, pourriez-vous nous conseiller vos albums de chevet dans ce style que vous chérissez tant ?

Paul : C’est vrai que parfois l’italo n’est pas tellement prise au sérieux... Encore une fois on est pas des gardiens du temple ou des puristes, mais il faut savoir faire la part de choses et respecter le produit. Beaucoup de daubes actuelles pompent des standards italo et deviennent les tubes éphémères de l’été, ça fait pas vraiment avancer les choses.

Je n’ai pas vraiment eu de révélation italo sur un album particulier, la porte d’entrée à dû se faire petit à petit d’abord via Kano, Valerie Dore, Etienne Daho, My Mine, puis les mixes de The Hacker et plus généralement des morceaux que tu peux vite estampiller comme kitsch à la première écoute, mais qui sont en en fait mortels à tous les niveaux. J'ai vite compris qu’en fait c’est ça que j’apprécie vraiment.

Pas d’album de chevet prêt à être fièrement dégainé donc, cela dit je recommande sans hésitation le dernier album New Earth du trio americano-italien Nuovo Testamento, que Kendal m’a fait découvrir. Il y a absolument tout ce que j’aime dedans. Aussi étant donné que je consomme la musique essentiellement via des mixtapes,  là-dessus je peux aussi vous conseiller de foncer tête baissée sur les mixes mensuels de Synthicide et Samo Records à NYC, et Mothball FM qui eux sont basés à Melbourne. Incroyable sélection, super invités, des heures de découvertes.

Kendal : L’italo regorge de track ou d’EP iconiques plutôt que d’albums. Je vais vous en conseiller quelques uns plus ou moins proche du genre qui comptent pour moi plus que les autres : 

Tiziana Rivale - Ash : définition ultime du cheesy & catchy, tout y est. Quand t’as les arpeggio de synthé qui partent je suis obligé de fermer les yeux et mimer l’avion, épique ! 

Tobias Bernstrup - 27 : c’est le boss final, il rend l’italo à la fois dark et sexy. Ses performances scéniques androgenico-futuristique confirment pour moi son statut de légende vivante. Il parait même qu’on va collaborer ensemble héhé ! 

Black Devil - Disco Club  : Ep cosmic disco sorti en 1978 par le français Bernard Fevre, on se croirait dans une jungle martienne dessinée par Enki Bilal. Je le ponce encore et toujours. 

International Music System : Deux EP classiques sorti en 1983 et 1984. Un son pop et discoïde tout droit venue d’une autre galaxie et c’est l’un des membres qui se cache derrière le fameux Charlie - Spacer Woman.

Pendant un temps, "monter" et réussir à Paris semblait une forme de Graal, ou tout du moins une étape essentielle pour réussir dans cet ecosystème. Or, on voit que ces dernières années, les régions ont repris un peu pouvoir, que ce soit à Nantes, Lyon ou dans votre cas Toulouse. Des collectifs s'y développent sans penser à Paris comme une finalité. Cette spécificité régionale, c'est quelque chose que vous voulez continuer à défendre à tout prix?

Paul : Oui, quand on monte sur Paris on n’y reste pas plus de 24 heures ! Plus sérieusement, à Paris il y a une dizaine d’années c’était une scène, des clubs, des réseaux qui paraissaient inaccessibles. Ça couplé au fait que depuis Toulouse nous étions inexistants aux yeux de tous les acteurs culturels français, on a fait notre propre sauce et ça a renforcé les initiatives locales, un état d’esprit qu’on a depuis longtemps ici. 

La situation est assez différente maintenant, ça a tendance à s'ouvrir et à s'assainir donc tant mieux, il y a plus de ponts et d’échanges entre les villes. On peut dire que Paris est devenu un point de passage “comme un autre”, en tout cas pour nous c’est le cas. C’est toujours un énorme plaisir de voir que ce qu’on propose fonctionne et rassemble, et ça n’importe où. Paris brasse énormément de monde, le public y est sûrement plus vif et à l’écoute, on a une « fanbase » plus forte à Paris que chez nous par exemple, et c’est super cool. Mais quoiqu’il arrive, ça restera toujours #toulouseonthemap avant tout.

Kendal : On avait un peu cette impression qu'en France on te regarde avec des yeux doux qu’une fois que t’as réussi à passer la frontière. J’ai eu la chance de sortir mon premier EP sur Moustache Records, label de David Vunk basé à Rotterdam puis le second sur Dischi Autunno, le label de Jennifer Cardini basé à Berlin. On a voulu profiter de cette audience internationale pour mettre un coup de projecteur sur Toulouse c’est pourquoi on communique en anglais tout en revendiquant fièrement être basé ici. 

L’été dernier quand les open air ont rouvert suite au covid c’est là qu’on a senti à fond l’engouement parisien avec beaucoup de demandes de booking et à chaque fois un public super réceptif. Hâte d’y retourner le 17 juillet. La suite c’est d’en organiser ailleurs en Europe et enfin rencontrer certains de nos artistes ! 

En ce qui concerne l'écurie Ritmo Fatale, quelles sont vos prochaines sorties et vos prochaines dates ?

Paul : On s’apprête à sortir l’EP du producteur italien Amarcord, To Shape The Future. Comme toutes nos autres sorties, l’équation est simple : énorme coup de cœur sur ces morceaux, et un super feeling avec Marco. Il propose ici un mélange de trance 90s, de pop et d'ambient, avec un vrai beau tube, "Friends (They Come & Go)" qui nous retourne à chaque fois. 

On lancé une série dédiée aux edits qui s'appelle Fatale Recall et c’est notre amie Diggin Speakerine sous son nouvel alias Secret Wife qui s’occupe de la prochaine release. Elle ralentit des vieux morceaux trance sur lesquels elle susurre des paroles incantatoires et c’est mortel.

On vient de boucler un V/A en collaboration avec l’équipe de Slowmotion Records, sur lequel on retrouvera des têtes connues et quelques découvertes. Et terminons sur quelques exclus, Luca Dell'orso rejoindra l'écurie après l’été et ça nous fait extrêmement plaisir, puis enfin notre 4ème V/A est tout proche d’être finalisé :)

Concernant les dates on a enfin pu inviter des artistes qui nous sont chers, après deux ans sous cloche. Ça a débuté en février au Badaboum avec une superbe label night en compagnie de David Vunk et DJ sweet6teen. On a reçu Palms Trax à la maison au Bikini de Toulouse, Budino et Guillaume des Bois à Lyon. Nous serons de retour à Paris le 17 juillet au nouveau lieu Virage, avec DMX Krew en live, Alex Kassian, Arabian Panther, Secret Wife et Audrey Danza en b2b avec Kendal ! 

Pour clore, parler nous un peu de votre mix, qu’est ce qui a guidé votre sélection ?

Paul : L’idée globale lors du choix des morceaux c’était de proposer un ensemble assez fun, intemporel, qui peut autant parler aux néophytes qu’aux diggers. On a passé du temps à rassembler une petite sélection qui transpire le soleil, le vent dans les cheveux et le laisser aller dès les premières secondes, avec globalement une volonté d’intégrer des tracks chantées. 

Au passage on aimerait faire un shout out à Para One et Teki Latex. Leur mixes Hit The Road et Marina Baie des Anges, c’est la classe pure et c’est dans cette lignée qu’on a voulu se placer lorsqu’on a construit le mix. Ils sont depuis longtemps une grosse influence à la fois en termes d’exigence et d’ouverture d’esprit.

Kendal : Voilà, on peut dire que c’est notre Ritmo Summer Mix 2022 pour Goûte Mes Disques, et nous en sommes très contents. Un bel été à tout le monde ! 

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