Goûte Mes Mix #69: Le Klub des Loosers
Quel bonheur, quel privilège même, de grandir avec le Klub des Loosers. Et en même temps, quelle torture de se dire que j'avais à peine quinze ans quand Vive La Vie est sorti, petit OVNI rap qui empruntait autant au charme lo-fi des premiers MF Doom qu'au jazz cosmique de Cortex. On est en tout cas ravis que ce premier effort ait réussi à passer l'épreuve du temps avec une telle vigueur: aujourd'hui encore, on se le repasse souvent, parfois pour se prouver que l'on n'a pas encore oublié les paroles, parfois animé du même plaisir que les anciens ont à se repasser Première Consultation ou The Infamous. Bref, Vive La Vie a acquis ce privilège rare des disques de chevet qu'on a tellement poncés que l'oreille n'arrive plus à être objective.
Au fil des années, Fuzati a grandi lui aussi. Et son personnage a gagné en épaisseur: il a perdu son côté grivois, et a acquis une certaine classe de perdant magnifique qui le voit régulièrement rivaliser avec Michel Houellebecq. En 2012, le Klub était revenu fort avec La fin de l'espèce, un second disque que son auteur avait pris le soin d'étaler dans le temps, comme pour bonifier son personnage. Le jeu en valait la chandelle: à la clé, une tournée triomphale qui l'a vu passer par toute la France, la Belgique, et même le Japon. Aujourd'hui, le Klub s'est mué en une entité multiple, imprévisible, capable de collaborer avec DJ Orgasmic, ou de s'ouvrir à des projets strictement instrumentaux, comme le cinématographique Last Days, rempli de moogs fous et psychotiques. En marge de tout cela, Fuzati s'est même offert son propre label de rééditions de disques de jazz.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Klub des Loosers s'est épanoui sur le plan musical. Sa musique a gagné en profondeur, est devenue plus ambitieuse, sans jamais trahir son charme so 70's. Sur son troisième effort, Le chat et autres histoires (sortie le 13/10), le mélomane compulsif est même devenu un auteur-compositeur accompli, puisqu'il revendique ici l'intégrale paternité de l'oeuvre, des claviers jusqu'à l'usage du chant. Fuzati se confie: "C'était un gros challenge. Je me suis réinscrit au conservatoire. J’ai pris trois ans de cours car je trouvais que j’avais beaucoup trop de limites en composition. Et je tenais absolument à jouer tous les claviers sur l’album donc j’allais jouer du piano dans des salles individuelles du conservatoire, dès que je pouvais. Même les refrains chantés par les invités, je leur ai envoyé les airs avec ma voix témoin, et ils ré-enregistraient de leur côté. Il y a toujours un moment de gène à surmonter d’ailleurs, avec cette méthode de travail, surtout avec des gens qui chantent aussi bien que Jérémie Orsel et Xavier Boyer (ndr: respectivement artiste associé à l'écurie Tricatel et chanteur de Tahiti 80)."
Et aujourd'hui, on peut dire que jamais Fuzati n'a été aussi éloigné du format rap que sur ce nouveau projet. Un point commun qu'il partage (sans le vouloir) avec quelqu'un comme L.O.A.S: le ton cru de ces grands paroliers divise, et les influences qu'ils revendiquent sont finalement moins proches du terreau rap que de la chanson française pure et dure. On peut même reconnaitre au Versaillais une certaine forme de primauté dans cette direction qu'il a toujours assumé. D'ailleurs quand on lui demande si, finalement, le Klub n'est pas en train de devenir une entité de chanson française, il répond, lucide que "d’une certaine manière ça l’a toujours été. La solitude, les ruptures amoureuses, la fuite du temps, l’inadaptation… J’ai toujours traité de thèmes qui sont plus chers à la pop ou à la chanson française qu’au rap".
S'il nous confie également que, pour lui, sa qualité de DJ est une prolongation logique de sa qualité de musicien, on sait que l'homme a l'oreille fine pour dénicher les morceaux qui feront mouche. A la sortie de la Fin de l'Espèce, le bougre nous avait d'ailleurs régalé avec ses Fuzati Extraordinary Music Show, neuf mixes où l'homme au masque compilait sans frontière de genres les pépitos dénichés dans les sillons de sa discothèque idéale. La sélection qu'il nous propose ici, tout aussi exigeante par sa qualité, s'offre ici un vrai fil rouge, comme il nous l'explique: "Ce mix s’intitule En français dans le texte. En diggant j’ai découvert beaucoup d’artistes, principalement des 70’s, chantant en français, dont je me suis senti proche artistiquement. J’aurais aimé les découvrir bien avant d’ailleurs. Ça aurait changé pas mal de choses à ma musique je pense".
A l'écoute de ce mix, plus de doute en tout cas: en 2017, Fuzati continue toujours de baiser les gens, par la seule force de son ouverture d'esprit, de son ambition, de sa générosité et de son humilité. En fait, il le fait avec tellement d'amour et de passion qu'on a même pas les couilles d'y redire quoique ce soit. A l'écoute de cette sélection très classe, on en redemande même.