On ne va pas vous faire un dessin: avec plus de 200 noms répartis sur 4 journées (on ne compte pas vraiment la soirée du mercredi), le Dour Festival est un vrai casse-tête organisationnel pour l'amateur de musique un peu curieux, qui doit composer avec les horaires et les envies de la troupe avec laquelle il se meut sur le site. Alors pour aider les indécis ou faire de vous un trendsetter auprès de potes qui ont plutôt tendance à suivre le troupeau, on a sélectionné dans le line up dix dilemmes, en prenant bien soin de vous indiquer les bons choix.
JEUDI
Bruxelles arrive vs Loyle Carner
A la base, "Bruxelles arrive" ne devait servir qu'à pimenter les concerts de Roméo Elvis, et n'avait de toute façon pas vocation à sortir puisqu'il se servait d'une production de G-Eazy dont le seul paiement des droits d'utilisation aurait probablement vidé les comptes de Back in the dayz, la structure qui gère la carrière du Bruxellois. Deux millions de vues plus tard, le titre est devenu un hymne qui aura fait beaucoup de bien aux carrières de Roméo Elvis (et par extension Le Motel) et Caballero (et par extension JeanJass). C'est donc à eux que Alex Stevens et Mathieu Fonsny ont confié les clés de la grande scène pour un concert exclusif qui verra une ribambelle d'invités se succéder sur scène, pour une démarche qui s'annonce déjà assez similaire à ce que Couleur Café a réalisé avec Niveau 4. Peut-être refroidis à l'idée de se prendre un pétard mouillé dans les pieds, on s'en ira prendre notre dose de good vibes auprès de Loyle Carner, qui a sorti plus tôt dans l'année un disque qui, dans l'esprit, rappelle la sincérité désarmante des débuts de The Streets. Dans les faits, Yesterday's Gone ressemble surtout au compagnon de route idéal du Godfather de Wiley et du Let Them Eat Chaos de Kate Tempest. Et pour avoir vu le Londonien plus tôt cette année au Vk, on peut vous assurer qu'il est déjà une valeur très sûre.
AND THE WINNER IS LOYLE CARNER
Kate Tempest vs Earl Sweatshirt vs Groupe Doueh / Cheveu
Dans le coin droit, vous avez l’alliance franco-saharienne la plus inattendue de la décennie, formidable expérimentation transcontinentale issue de la pépinière Born Bad Records. Dans le coin gauche, une furieuse poétesse qui nous a sans aucun doute livré l’un des meilleurs albums de l’année 2016. Au centre, l’oisillon anxieux du rap sous acide qui pourrait bien enfin nous faire goûter au successeur de son I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside. Si la troupe Group Doueh & Cheveu promet une belle cavalcade de fin d’après-midi, on peut toujours miser sur un nouveau passage en salle, dans nos contrées et dans un futur proche, pour se rapprocher du soleil. De son côté, le trip de Earl Sweatshirt se montre tout aussi alléchant mais l’amplitude de la Last Arena risque de diluer un tempérament qui résiste mieux aux espaces confinés. Reste Kate Tempest, précédée par ses prestations en acier trempé aux derniers Primavera et Glastonbury et porteuse du bien nommé Let Them Eat Chaos qui a toutes les chances de déterrer notre fibre militante. Tempest, twelve points !
AND THE WINNER IS KATE TEMPEST
Kaytranada vs Antal vs Karenn
Dans des registres qui leur sont bien propres, Kaytranada et Karenn boxent chacun dans la catégorie poids lourds. Tandis que les uppercuts du Canadien prennent la forme de beats colorés et chaleureux, la paire Blawan / Pariah est passée maître dans l'art du banger techno vicelard qui vise invariablement le foie ou la mâchoire. Mais plutôt que de faire un choix impossible entre ces deux écoles que rien ne rapproche, on optera finalement pour le DJ set d'Antal, qui devrait mettre tout le monde d'accord. Comme on vous l'a déjà dit par le passé, le boss du label amstellodamois Rush Hour est autrement moins connu que Motor City Drum Ensemble mais partage avec ce dernier une capacité à usiner du groove, mais se met surtout un public dans la poche grâce à une science du digging qui lui permet d'avoir un flight case bourré d'exceptionnelles vieilleries funk ou afrobeat, qu'il distille soigneusement entre deux tueries house.
AND THE WINNER IS ANTAL
VENDREDI
WWWater vs ton lit
Des bonnes choses, on pourra en voir le vendredi - cela va de Blonde Redhead à Nina Kraviz, en passant par Crystal Castles, Kano ou Nas. Pourtant personne à la rédaction n'a identifié de choix cornélien pour cette troisième journée. Alors on voudrait en poser une petite pour Charlotte Adigéry qui aura la tâche ingrate d'ouvrir les hostilités dans une Petite maison dans la prairie qui sera autrement moins peuplée que 10 heures plus tôt, quand The Black Madonna aura fini d'achever les derniers courageux. On sait qu'aucun argument n'est capable de battre un apéro dans le camping, des courses au Lidl, l'interminable file devant les douches ou un tête-à-tête avec un cachet d'aspirine au fond d'une Quechua surchauffée, mais rater le concert de Charlotte Adigéry serait vraiment dommage: protégée de w qui l'ont fait apparaître sur la BO de Belgica et ont sorti son premier EP sur leur label, Charlotte Adigéry devient WWWater le temps d'un nouveau projet dont les contours doivent encore être précisément dessinés. Cependant, venant d'une fille qui est passée par la case DEEWEE et qui prend la liberté des Slits en modèle, on ne peut être qu'en bonne compagnie. Et puis ce sera une excellente mise en bouche et un décollage en douceur avec la double dose de "triple pute" et "suce salope" servie par l'Empereur de la crasserie Alkpote, programmé juste après 15 heures dans la Boombox.
AND THE WINNER IS WWWATER
SAMEDI
Amenra vs Phoenix
Si Phoenix et Amenra ne boxent pas vraiment dans la même catégorie, les Versaillais et les Courtraisiens partagent au moins un point commun: celui d'être de vrais panzers scéniques. Et le choix est ici d'autant plus difficile que contrairement à leur dernier passage en 2014, Phoenix revient à Dour avec un bon album à défendre (qui se souvient encore de Bankrupt!?); tandis qu'Amenra risque de teaser le successeur de Mass VI qui se fait attendre depuis 5 ans maintenant. Après, le choix devra être fait entre ombre et lumière. La pop technicolor, les fulgurances mélodiques, les tubes et les cabrioles de Thomas Mars contre les murs de guitare, les ascenseurs émotionnels dignes des meilleurs disques de post-rock, les ambiances doom plus pesantes qu'un soleil de midi dans le désert du Gobi et les hurlements d'un Colin H Van Eeckhout qui te poursuivront jusque dans ta tente. Et parce qu'un festival c'est beaucoup trop de bonheur et de bonne humeur, on ira broyer un peu de noir devant AmenRa.
AND THE WINNER IS AMENRA
Rejjie Snow vs Meute
Dans les mois qui viennent, Rejjie Snow va (enfin, devrait) sortir un des albums de rap que l'on attend le plus en 2017, Dear Annie. L'Irlandais exilé aux Etats-Unis fait en tout cas monter la pression depuis le début de l'année avec des singles imparables (arrête de niaiser et va écouter "Crooked Cops"), et à même déposé une mixtape gratuite en forme de cerise sur la gâteau avant la tournée des festivals. Pour l'avoir vu dans l'intimité de l'AB Club en avril, on pour vous dire que la machine est parfaitement rodée. Mais on se connaît: en festival, on boit. Beaucoup. C'est d'ailleurs pour ça que des hordes de gens vont voir des groupes pourris de rock festif, et trouvent ça vraiment cool. Mais on sait combien un moment d'égarement devant Skarbone 14 ou Les Blérots de R.A.V.E.L. peut se révéler infamant. Mais avec Meute, pas de soucis: pas de chevreuils ou de punks à chien en vue, mais juste tes potes les plus self conscious en train de se dandiner du fion devant une fanfare allemande qui reprend le "Rej" de Âme ou "The Man With The Red Face" de Laurent Garnier dans une configuration qu'on rattache généralement à une bande de mecs bourrés dans le Sud Ouest qui te jouent des version ska de La Pitchouli.
AND THE WINNER IS MEUTE
Jonwayne vs Acid Arab vs Kevin Morby
Ces trois-là n’évoluent pas sur les mêmes terrains mais ont chacun le dos suffisamment solide que pour donner le change. Partant du principe que le genre ne compte pas, il va falloir faire le tri dans la douleur entre les beats orientalistes des Parisiens de Acid Arab (en live siouplè, coincés entre le tabassage cuivré de Meute et les effluves de Madchester de Jagwar Ma), l’intimisme et la bienveillante nonchalance du petit Kevin et le flow flouté de Jonwayne. On ne va pas se gratter le crâne plus longtemps : ce dernier est définitivement la bête à suivre. Pour l’avoir vu se mettre à nu (au sens figuré puisque l’homme est plutôt adepte du gros pull en laine à mémé) dans une petite salle gantoise il y a quelques mois, on vous confirme que le minimalisme de sa mise en scène se révèle inversement proportionnel à la force de frappe de son storytelling. Plutôt tasse de thé que chaîne platinée, Jonwayne captive en peu de mots et laisse des traces après son apparition.
AND THE WINNER IS JONWAYNE
Casual Gabberz vs Hunnee
Vous le savez certainement si vous avez fait quelques Dour, le public est davantage composé de zoulous pétés au pastis tiède que de types proprets en Lacoste à la recherche d'un "rare groove" pour "chiller" (le portait robot du rédac' chef). A partir de ce constat sur la faune du festival, on imagine que le pillonnage en règle hardcore/gabber des Casual Gabberz risque d'être bien plus mémorable que la sélection house (pourtant impeccable) d'un Hunnee. Dernier argument dans la balance, les Casual Gabberz ne vont avoir qu'une heure pour démonter la Caverne pièce par pièce, alors autant dire que les Parisiens vont skipper les préliminaires et laisser la vaseline dans la tiroir de la table de nuit.
AND THE WINNER IS CASUAL GABBERZ
DIMANCHE
PNL vs Bon Gamin
PNL vs Bon Gamin, c'est clairement David contre Goliath, le PSG face au Red Star, Sangoku contre Vegeta. Deux philosophies du rap où les millions de vues Youtube des frères des Tarterêts feront face à la relative confidentialité du collectif Bon Gamin. Vous aurez donc le choix entre une scène pleine à craquer composée pour moitié de fans hardcore hystériques (qui seront évidemment QLF) et de haters venus déverser leur fiel sur nos deux rebeus babylissés. De l'autre, une scène certainement clairsemée mais qui risque de devenir rapidement plus bouillante qu'un chaudron grâce aux flows d'Ichon et Loveni appuyés par les lourdes prod de Myth Syzer. Pas une once d'hesitation au moment d'annoncer notre verdict.
AND THE WINNER IS BON GAMIN
Roméo Elvis vs Alaclair Ensemble
Cet été, rares seront les scènes de Belgique qui ne seront pas foulées par Roméo Elvis. C'est bien simple: la question n'est pas de se demander si Roméo Elvis sera à l'affiche, mais plutôt l'inverse. Face à une présence qui frôle carrément l'indigestion, on vous informe qu'un des crews les plus frais et les plus originaux du Canada, Alaclair Ensemble, honorera le Vieux Continent de son auguste présence. Si vous ne connaissez pas encore la troupe de postrigodon bas-canadienne (c'est juste du rap, on vous rassure), vous avez encore quelques jours pour vous familiariser avec Les Frères Cueilleurs, un album sorti l'année dernière et qui, dans sa manière de s'approprier le rap, évoquait une attitude qu'on rapprocherait du TTC de Ceci n'est pas un disque, quand le trio parisien faisait bouger les lignes et sortait du cadre. On va pas vous mentir: ici c'est tout simplement un des concerts qu'on attend le plus du festival.
AND THE WINNER IS ALACLAIR ENSEMBLE
KiNK vs Manu Le Malin
Alors là, le match est plus serré et indécis qu'un Federer - Nadal à Wimbledon en 2008. Légende totale et vieux briscard de la scène hardcore, Manu le Malin n'a pas son pareil pour éparpiller son public façon puzzle, fort d'un pedigree de gars qui lâche des gros coups droits le long du couloir. Face à lui, un KiNK en pleine bourre, auréolé du titre de meilleur performer live de 2016 par Resident Advisor, avec des coups précis qui font invariablement mouche. Le Bulgare dans un style plus électro, le Français dans un style légèrement plus brutal, ces deux artistes sont totalement taillés pour des grosses machines comme Dour. Pourtant, après plusieurs jours de festival dans les pattes, une bonne centaine de mousses, 8 dürums grassissimes et trop peu d'heures de sommeil, il y a de fortes chances pour que notre choix penche du côté de la raison et d'un moment plus câlin pour finir son Dour en beauté, sans avoir l'impression que c'est tout notre système digestif qui va finir sur la plaine de la Machine à feu entre deux pilonnages du Malin.