Concert

Okkervil River

Paris, L'Alhambra, le 3 novembre 2008
par Splinter, le 4 novembre 2008

Imaginez un instant que vous veniez seulement de découvrir Okkervil River. Difficile à concevoir, certes. Qu'il y a encore un gros mois, Will Sheff et sa petite bande vous étaient tout à fait inconnus. Mais où étiez-vous depuis 1998 et, surtout, depuis 2003, c'est-à-dire depuis la sortie du chef d'œuvre du groupe, Down the River of Golden Dreams ? Que pouviez-vous donc bien écouter pendant tout ce temps ? Comment avez-vous pu rater des sorties aussi importantes que Black Sheep Boy en 2005, puis The Stage Names en 2007 ? Pire : imaginez, juste un court instant, que quelque temps seulement après cette découverte qui, mine de rien, vous a collé au plafond, vous appreniez qu'Okkervil River passe en concert tout près de chez vous. Dilemme : y aller ou pas ? Tenter d'apprécier un concert alors que la musique, extrêmement riche, des Américains, n'est, jusqu'à présent, passée que par vos oreilles mal dégrossies ? Attendre un prochain passage ? Dilemme, donc.

Impensable ?  Cette situation, c'est pourtant celle que j'ai vécue tout récemment. Aussi incroyable, voire ridicule, que cela puisse paraître : j'étais passé totalement à côté d'Okkervil River. Il me fallait rattraper ce retard : acheter tous les albums, presque d'un coup. Et, évidemment, me rendre à L'Alhambra, ce 3 novembre 2008, pour voir ce que pouvait donner sur scène la musique des Américains, absolument magique sur disque, comme en témoigne l'exceptionnelle "The war criminal rises and speaks", morceau capable d'arracher une larme au plus insensible des métalleux.

Surprise : Will Sheff, dont les disques transpirent incontestablement le génie absolu, est une espèce de croisement entre Thom Yorke et Harry Potter. Laid comme un pou, maigre et roux, les yeux globuleux et visiblement imbibés, des lunettes d'étudiant attardé, une dégaine de geek à se faire se gausser n'importe quelle minette d'une high school texane. Ce physique ingrat, Sheff l'a indéniablement compensé par une exceptionnelle maîtrise des mélodies, des harmonies, des arrangements, par un charisme qu'il ne possède vraisemblablement que sur scène, son terrain de jeu, pour ne pas dire son champ de guerre, cet espace où il domine le monde et mène son groupe à la baguette.

Surprise, encore : Okkervil River est un groupe pop. Allez, pop folk. Voire pop folk rock. Mais il ne sonne pas (plus) du tout sur scène comme il pouvait sonner sur Down the River of Golden Dreams. Adieu l'introspection, le lyrisme : Sheff les a laissés à Jonathan Meiburg et Shearwater, ce groupe-frère qui a fait dissidence voici quelques mois. D'aucuns le regretteront. La majorité s'en réjouira, avec raison. En quatorze titres, ce soir, Sheff a montré la large palette de son talent, son incroyable énergie, sa générosité. Principalement composé des titres issus de The Stage Names ("Plus Ones", "Our Life Is Not A Movie Or Maybe") ainsi que du récent The Stand Ins ("Pop Lie", "Starry Stairs"), le show a donc fait la part belle à l'aspect le plus accessible et lumineux du groupe. Quitte à sonner comme une formation britpop ("Black", "Unless It Kicks"), sans oublier, toutefois, ses origines américaines  ("Singer Songwriter"), quitte à mettre de côté les titres les plus sombres, sans renier ses morceaux les plus calmes ("Black Sheep Boy").

"For Real", sans doute le temps fort du concert, aura montré l'incroyable cohésion des membres de ce groupe qui n'est pas sans faire penser, par moment, aux Decemberists, voire à Arcade Fire, deux formations dont il partage clairement une part d'univers, une ambiguïté aussi, tenant à son absence d'identification à un courant bien identifié, à son polymorphisme, à son hésitation entre confidentialité et ouverture sur le monde. En tout cas, ce soir, fans d'Okkervil River depuis dix ans ou depuis un mois ne pouvaient que se rejoindre sur un point : ce groupe est une pointure de la scène indépendante américaine actuelle. Un groupe essentiel, voire vital. Incontournable. Tôt ou tard, vous y viendrez. Autant que cela soit le plus tôt possible.