Nuits Sonores 2025
Lyon, le 28 mai 2025
Cette année encore, on a eu la chance de couvrir une bonne partie du programme proposé par les Nuits Sonores. Entre les Grandes Locos à Oullins/La Mulatière, la Sucrière de Confluence et les Célestins, on a essayé d’en profiter un maximum pour vous ramener nos impressions sur la grand messe lyonnaise.
[Conditions du compte-rendu : on a participé aux Jours 1, 2 et 4, à la Nuit 2, et au concert de clôture, avec une accréditation offerte par le festival.]
Jours Sonores : enfin la formule qui marche ?
L’édition 2024 marquait la fin de la présence des Nuits Sonores aux usines Fagor-Brandt et le déménagement au sud de la ville. Les Grandes Locos (qui ne se prononce pas à l’espagnol, car fait référence aux hangars ferroviaires - bande de petits foufous, va) est devenu un des lieux investis par la ville, la métropole et les associations pour des regroupements en très gros format, comme la biennale d’art contemporaine. On le notait déjà l’an passé mais le lieu est absolument parfait pour un festival ; relativement éloigné des riverains, d’immenses hangars, de la place, et vraiment très très proche du métro.
De quoi accueillir du monde sous un soleil quasi omniprésent lors des Jours qui, vous sentez le paradoxe venir, sont définitivement devenus les grands moments du festival. Avec un public vieillissant mais ultra fidèle, Arty Farty a bien compris qu’il fallait investir cette tranche horaire de 16h à minuit. C’est là qu’on y voit la plus grande diversité de programmation et que l’aspect « festival » a le plus de sens.
Se détachant par moment du pur festival de musiques électroniques pour se laisser aller à être un simple festival d’anciens cool kids encore un peu déglingués mais déjà très exigeants, Nuits Sonores sait concevoir des journées particulièrement diverses. Exemple du jour 2 où on a pu voir Föllakzoid, Abdullah Miniawy & Simo Cell, John Maus, Peggy Gou, Special Request b2b Flore ou encore Mala en quelques heures seulement.
Une partie de ces excroissances du cœur techno du festival se concentre sur une scène, le Garage, dont la programmation mériterait un festival à elle seule. En terme d’agencement et de visuel par contre, c’est une scène qui mérite probablement encore de la réflexion, surtout que c’est celle qui ressemble le plus à un club berlinois mais la seule sur laquelle on ne trouve absolument aucune miette de tech-house.
Sur la scène Outdoor, conservée de l’an passé, la simplicité est reine. Un carré extérieur au milieu des hangars, tout aussi apte à accueillir le jazz de Nubiyan Twist qu’à donner un peu d’atmosphère au très décevant set des Japonais de Minna-no-kimochi – probablement le plus gros pétard mouillé du week-end, rappelant la qualité des autres prestations, mais qui invite également à se détendre un peu sur les appellations : ce moment où tu te rends compte que la néo-trance tokyoïte, c’est en réalité de la minimale berlinoise.
Pour celles et ceux qui, pas comme nous donc, voulaient passer le week-end dans un club géant, aucun problème. La grande scène a ouvert ses bras sans pause aux plus gros artistes invités. Même en y allant parfois un peu à reculons, dur de ne pas céder face à l’ambiance particulièrement agitée des derniers jours. On avoue avoir levé les yeux au ciel au voyant Anetha nous faire une version philo-wish du récent live d’Aphex Twin en filmant son public tout en envoyant des « ARE YOU REAL ? DO YOU EXIST ? » à l’écran. On avoue aussi avoir dansé comme un perdu dix minutes après, comme quoi le snobisme, c’est sympa, mais ça empêche souvent de profiter (faites-en des t-shirts de celle-là).
L’Afrique enfin représentée en festival
Au milieu de cette foisonnante prog dans laquelle on vous invite à aller faire un tour, on doit noter une représentation peu ordinaire d’artistes africains, principalement d’Afrique du Nord. La musique électronique a une histoire d’appropriation et d’ethnicisation de sonorités, de samples, de rythmes et d’instruments originaires des anciennes colonies françaises et anglaises. Pour casser cette dynamique, rien de tel que d’inviter directement des artistes d’Afrique ou d’Amérique du Sud. On ne dira rien de la programmation du Soundsystem au jour 3 puisqu’on n’y était pas, que ce soit pour Rosa Pistola ou pour MU540, mais pour le reste du week-end, on a été gâté.
En ouvrant la journée de mercredi avec Khalil Epi, on a cru qu’une fois de plus, les non-Occidentaux allaient se retrouver cantonnés aux extrémités du planning. Il faut dire que le producteur lyonnais a proposé un concert tout particulier, à la frontière entre le live techno, le documentaire, et l’expérience ethnomusicologique. En filmant la vie des villages perchés sur les montagnes, il a superposé tout un ensemble de samples, de moments de live percussif sur Norddrum, de jeux d’instruments à cordes, à des moments de vie musicaux de la Tunisie rurale. Parades religieuses, moments familiaux, chants des femmes, tout y passe pour offrir plus d’une heure d’un concert qui ressemble plus aux expériences de Chassol qu’à un moment de clubbing.
Après cela, c’est un spectre bien plus large qui s’est offert à nous, en laissant de la lumière à la scène égyptienne. Avec Nadah El Shazly d’abord, qui utilise des éléments de folk à des fins bien différentes. Atmosphérique, pop et explicitement électronique, le live d’El Shazly a lancé le Garage dans un long séjour de découvertes. Une ambiance qu’on a pu retrouver avec le live d’Abdullah Miniawy : en tournée avec Simo Cell et loin de son dernier disque avec Erik Truffaz, il a jeté une présence oscillant entre un chant lumineux et des textures très obscures. Autant dire que ça a été un peu difficile de retourner à l’énergie de Flore et Special Request après cela.
Sans faire l’intégralité de la semaine, impossible de ne pas s’arrêter sur une des heures les plus folles de ces Nuits Sonores, à savoir le concert de Mohammad Reza Mortazavi. Né en Iran à la fin des années 1970, « Moremo » est devenu un des maîtres internationaux de la percussion. Seul sur une chaise, son daf sur les genoux, il a fait vaciller les esprits de tout le public pendant quasiment soixante minutes. Une performance magistrale et une grosse prise de risque en terme de programmation.
L’inclusivité : plus qu’un mot d’ordre ?
Ce bel effort participe évidemment de toute une prise de conscience éthique progressive dans les événements musicaux français, et qui s’accompagne de tout un système d’affichage, d’organisation, etc.
Arty Farty a mis en place un écosystème « Pour un festival plus safe », avec une gestion des entrées, sorties, VSS, le tout intégré à un accueil géré par des lieux et associations, comme la prévention des risques et lutte contre la transphobie et l’homophobie par le café Rosa, ou l’équipe de médiateurs·rices investi·es dans la lutte contre le harcèlement. Difficile, surtout de notre petit point de vue, de véritablement évaluer l’efficacité d’un tel dispositif, mais en tout cas, en tant que festivalier, difficile de passer à côté.
On appréciera tout particulièrement ce qui semble être la fin d’une certaine hypocrisie – et une dangereuse hypocrisie – avec un stand de Réduction des Risques (RDR) à l’entrée du site des Nuits, à la Sucrière. Prévention des risques, test des drogues, tout était prévu pour les usagers·ères puissent festoyer de la manière la plus « safe » possible.
En terme d’ambiance, cela se ressent forcément, mais attention tout de même. Pas simple de savoir comment Nuits Sonores pourraient gérer le phénomène, mais on a pu observer ces « gormitis » dont parlait Streetpress il y a quelques semaines. La radicalisation fasciste du public français se ressent particulièrement en soirée hardcore, et vient gommer le public queer à coup de torses nus, de signes d’extrême-droite (on a croisé plusieurs croix de Lorraine et une croix celte), des tatouages fascisants et une présence dans le public qui prend énormément de place. De quoi mettre un goût amer à cette Nuit 2 dont la violence musicale devait s’adoucir par le ton de la fête.
Ce n’est pas au festival de résoudre la montée identitaire, mais il y a clairement un chantier à mener. On ne boudera pas néanmoins le petit sourire qui nous est monté aux lèvres en voyant ces groupes de mecs torses nus se frotter les uns contre les autres en répétant très fort dans la queue des toilettes qu’ils ne sont « pas pédés ». Laissez-vous aller, tout va bien se passer, on vous soutiendra si vous franchissez le cap.
Cinq concerts qu'on n'oubliera pas de sitôt
Difficile de choisir, mais comme on tient à vous mâcher le travail au cas où vous tiendriez à éplucher toute la programmation, voici nos prix ultra subjectifs pour les Nuits Sonores 2025.
- Prix de la sueur : Chase & Status
On ne vous a jamais caché notre passion pour « Baddadan », et le voir en live, c’était encore mieux que ce qu’on pensait. Joueur, dynamique, kitch, le set de Chase & Status était comme un rêve mouillé par la sueur d’une foule absolument inarrêtable. Deux énigmes néanmoins en sortant du concert : déjà, Chase et Status ont-ils déjà joué une fois ensemble ? Parce qu’en réalité, on a uniquement vu Status (ou Chase, on n’a pas vraiment vérifié…). Et surtout : n’est-elle pas terrible, la vie de ce pauvre MC Rage, qui passe son temps à gueuler « Lyon, make some noise ! » en attendant le drop enregistré par un autre MC que lui ? Bouleversant.
- Prix de la présence : Avalanche Kaito
Mélange de deux noiseux belges et du chanteur et multi-instrumentiste burkinabé Kaito Winsé, c’est notre gros coup de coeur de l’édition 2025. Scéniquement ultra dynamique, musicalement brutal, magnifiquement répétitif, Avalanche Kaito a passé une heure à montrer à quel point la scène était trop petite pour eux. Benjamin Chaval (batterie) est intraitable et soutient son trio avec une précision qui donnait un peu le vertige, Nico Gitto (guitare) et Kaito Winsé formant un front qui en fait un des groupes à voir cette année.
- Prix de l’alcool monté beaucoup trop vite : Föllakzoid
Alors qu’on entendait le public dire « mais elle est complètement ouf ! », on voudrait désormais répondre : Domingae, leadeuse du groupe chilien, était aussi complètement bourrée. Une bouteille de blanc descendue pendant le live et un spectacle qu’on n’aurait pas imaginé en écoutant ces longues et sobres boucles mentales que sont les derniers albums du groupe. Tenue de soirée, sac à main, elle a finalement passé assez peu de temps à jouer de la guitare, et comme il s’agit surtout de lancer le looper, elle l’a plutôt tapée par terre. Mine de rien, entre des glaçons jetés sur le public et une partie du concert topless, Domingae organise le travail des deux autres membres comme une incroyable cheffe d’orchestre. Monter un effet, stopper la boucle, synchroniser les machines et le batteur, rien ne se fait sans elle, et c’est elle qui donne l’harmonie suffisante pour produire un moment drôle, certes, mais surtout très festif et intense.
- Prix de la daronne à l’abri : Suzanne Ciani
Bien au chaud après quatre jours de festival, on s’est quand même mis en route le dimanche après-midi pour le théâtre des Célestins. Au programme, la reine des reines, la pionnière du live au modulaire, Suzanne Ciani. Que dire ? À 78 ans, elle a énergiquement montré qu’elle avait inventé tout ce qu’on avait entendu pendant quatre jours. Dans un set entre clavier numérique, tablette et son gigantesque eurorack, elle a fait une démonstration qui allait d’une musique encore funky, héritée des 70s et jouant sur l’attaque du filtre, à d’intenses et expérimentaux moments de pure percussion analogique. Un grand bravo à l’installation des Célestins, un soundsystem à 360° qu’on a pu entendre au parterre, au balcon, au paradis, et qui a fonctionné à merveille.
- Prix de la vraie bonne fusion : Volition Immanent
Puisque Nuits Sonores ne sait plus organiser des événements uniquement club, la Nuit 2, placée sous le signe du hardcore et du gabber, a accueilli au Sucre Volition Immanent. Le duo composé du producteur Parrish Smith et du chanteur de punk Mark van de Maat a montré à tout le monde comment on kickait très sérieusement dans de l’electro-fusion. Un concert ultra intense, qu’on n’a pas vu passer, et qu’on vous résumerait en vous demandant ce que donnerait un mélange entre une bonne version de Paranoid London et un concert de Machine Girl dans lequel on entend quelque chose (oui, c’est une balle, mais pas perdue).
- Prix spécial du set que tu ne peux pas quitter : Digital Mystikz
Et puis, loin des innovations et des découvertes, il y a les sets de Mala, qu'on avait pu voir l’an dernier déjà sur la scène extérieure, revenu pour cette édition sur la scène Soundsystem, grand espace extérieur au bas plafond de toiles. Seul ? Pas du tout, puisque Nuits Sonores a réuni le mythique duo qu’il forme avec Coki. Elle est loin l’époque de l’Essential Mix de 2006, mais DMZ sait toujours faire bouncer une foule. Comme d’habitude, il y a eu du Skream, du Cotti, et pleins d’autres morceaux complètement dingues qu’on espère retrouver un jour. Pendant plus de deux heures, on a tenté en vain d’aller voir autre chose, mais impossible de rester plus de cinq minutes loin de cette table de mix où Digital Mystikz a concocté le parfait mélange de joie et d’intensité.
Crédits photo : Juliette Valero / Love Liebmann / Noémie Lacote / Polisses / William Chareyre.