Concert

Nuits Sonores 2024

Lyon, le 7 mai 2024
par Émile, le 26 mai 2024

C’était vieux avant

C’est peut-être le truc qui m’a le plus marqué en arrivant sur le site : on ne fait pas de statistiques au regard, mais c’est assez clair que le festival vieillit avec son public. Avec une moyenne d’âge qui a pris dix ans en dix ans, les Nuits Sonores ne sont plus le festival d’une jeunesse lyonnaise qui veut s’éclater une semaine par an en faisant venir les meilleurs·es artistes de l’univers des musiques électroniques ; c’est désormais un rendez-vous d’amateurs·rices d’écoutes en tout genre. Entre celles et ceux qui ont pris la tangente de la teuf et font un passage express en journée avant d’aller chercher les enfants chez mamie, et les autres qui ont oublié de compter les bougies et sont toujours chaud·es du mardi 17h au dimanche minuit, la palette d’expériences souhaitées s’est élargie mais l’éventail des références musicales et culturelles du public s’est resserré.

 

 

Enfin la bonne formule ?

D’où la nécessité de trouver un fonctionnement adéquat pour un festival aussi gros. Et le public a semblé unanime sur la question : NS a enfin trouvé la bonne formule pour manier avec prudence cet éventail humain. Au niveau de l’organisation, ce sont – comme on pouvait s’y attendre – les journées qui ont pris le dessus, avec le plus gros lieu, mais aussi avec le confort le plus efficace : 16h-00h, sur un site avec de la place, loin du centre mais à côté du métro d’Oullins. Pour celles et ceux qui veulent continuer le sport, plusieurs nuits s’offraient à disposition, plus resserrées, plus thématiques, dans diverses salles lyonnaises, celles au coeur du projet d’Arty Farty, Le HEAT, le Sucre ou la Sucrière, mais aussi dans d’autres lieux comme le Transbordeur, déjà partenaire le mardi soir pour le concert d’Autechre.

Cette répartition suit probablement les bons retours de l’édition post-Covid, qui avait limité ses soirées à 1h du matin et s’était probablement rendue compte qu’une bonne partie des trentenaires n’étaient pas mécontents de rentrer tôt.

En ce qui concerne le nouveau lieu, Les Grandes Locos, la scénographie et la taille réservée pour le festival dans ces anciens hangars ferroviaires sont probablement une des meilleures décisions de ces dix dernières années. Quatre scènes bien distinctes, avec des identités propres et une programmation répartie par genre et par soirée (à peu près), suffisamment égales pour ne pas se retrouver coincés à 2000 sur une scène minuscule, et suffisamment inégales pour pouvoir passer de la foule au calme en quelques minutes.

 

D’Autechre à Skrillex, « un grand écart » : vraiment ?

En terme de programmation, le dossier de Libération sur Nuits Sonores semblait s’étonner du « grand écart » qui pouvait exister dans l’agencement des artistes présent·es au festival. C’est vrai qu’au premier coup d’oeil, certaines annonces marquent un petit décalage avec l’aspect très insider d’une programmation qui a toujours misé sur des gros noms, mais qui a toujours su faire un énorme travail de défrichage, notamment en laissant le choix aux artistes (c’était le cas auparavant pour des journées ou des nuits curated par tel ou telle artiste). En réalité, la présence de Skrillex aujourd’hui n’étonne plus, au regard de la taille du festival, mais surtout de la musique qu’il produit. Pionnier dans son genre à la fin des années 2000, c’est son succès qui l’a rendu mainstream, et pas l’inverse. Aujourd’hui qu’il fricote avec Fred again… et Four Tet, c’était même une attente que de le voir aux Nuits Sonores.

La vraie grosse surprise de cette édition, c’était plutôt de retrouver Fatboy Slim (le même soir que Skrillex, bien que le public se mélange assez peu vu l’appétence d’une masse assez stable à la scène du Soundsystem – grosse scène extérieure avec deux murs d’enceintes - entre Mala et Skrillex). Le légendaire DJ anglais a potentiellement permis de ramener du monde vers ce format plus tranquille des journées, tout en livrant une prestation à la hauteur des exigences house du festival ; mais on ne va pas se le cacher, c’était probablement un des moments les plus dispensables de l’édition, entre gros drops bien téléphonés et un VJing franchement pas subtil.

À côté de ça, c’est sur que les artistes présent·es à la scène de l’Amphithéâtre – petite scène, quelques places assises, musiques aventureuses – détonnaient franchement avec ce qui se passait à la grande scène de la Nef. Mais c’est aussi sur ces variations que le festival a construit son succès, et ça n’est pas bien différent des moments où on devait choisir entre Ben Klock en bas et Plaid en haut.

 

 

Les défauts des gros festivals

Malgré tout, difficile de ne pas voir les problèmes de ces gros festivals, potentiellement liés à la taille, et qui commencent à peser avec les années. Tout en menant une réflexion intéressante dans son European Lab à base de conférences et tables rondes pendant le festival sur l’écologie et l’inclusivité dans la musique, Nuits Sonores reste – et restera probablement – un événement énorme, coûteux en énergie et en ressources humaines, et qui fait parfois fi des principes qu’il prône à côté. C’est sympa de mettre des plantes dans les enceintes sur la scène du Soundsystem, mais le festival reste affilié à une grosse marque de bière internationale, avec d’énormes exports, et qui a son stand, son mini-jeu de photographie et sa pub partout. Sur une échelle allant de la fête de village au Lolapalooza, NS se porte encore bien dans son rapport au capitalisme, mais la pente est tentante.

On se permet de revenir également sur le service de sécurité, qui ne semble pas apte à gérer les injonctions inclusives des panneaux de l’entrée – en témoignent des récits des personnes trans se faisant interdire la file homme ou femme des contrôles avec une certaine véhémence. Sauf que ce n’est pas la faute des services de sécurité : il faut former les gens, surveiller la façon dont les entrées sont faites, donner du temps et de l’énergie aux employé·es pour que les erreurs n’arrivent pas, etc.

Ce sont des soucis de tous les gros festivals, mais clairement la réflexion n’entraîne pas nécessairement l’action, et c’est toujours bon de le rappeler, parce qu’aujourd’hui, Nuits Sonores, c’est 200 artistes et près de 110 000 personnes.

 

 

Le all-star game

Mais une fois sur les lieux, bien installé·es et avec une boisson fraîche au soleil, la programmation nous a complètement régalé. Sans faire un retour complet sur chaque performance, on s’en voudrait de ne pas lister celles qui nous ont le plus marqué.

Il y a eu les valeurs sûres, comme le b2b de Glitter55 & GЯEG, qui nous ont régalé à base de petites découvertes chaloupées et d’énormes bangers de ces dernières années ; il y a eu les gros noms qu’on découvrait, comme Audrey Danza qui a enflammé la scène de la Galerie lors du premier après-midi, ou Vel qui a complètement retourné les cerveaux du public à la nuit 1 ; il y a eu quelques sursauts d’humanité dans un festival très lisse et peu politisé, avec des beaux hommages au peuple palestinien de la part de Sabrina Bellaouel et Deena Abdelwahed, jouant malheureusement toutes les deux assez tôt dans leurs jours respectifs.

On a eu des moments de danse très très intenses avec Jennifer Cardini ou encore le top set de Klangkuenstler – sauf que tout le monde a perdu face à Gabber Eleganza et son podium de danseurs et danseuses venant clore le jour 3. Et puis on a eu des moments de transe absolument phénoménaux, et qui resteront comme certains des meilleurs concerts qu’on a vu aux Nuits Sonores. Difficile de décrire l’électricité collective qui a vu le jour pendant le concert du Istanbul Ghetto Club à la toute fin du premier jour, alors rien ne semblait arrêter cette intenable montée en puissance sauf...la fin du festival. Deux jours plus tard, c’est plus ou moins la même chose qui s’est produite pendant le live de MEULE, alors que la folie sonore coïncidait avec cette géniale idée de jouer du synthé modulaire à l’envers. On est resté scotché sur notre petit banc pendant Saint Abdullah & Eomac, tout enveloppé dans cette ambient marinée de trip-hop.

Et pour la première fois depuis longtemps, on aurait voulu se dupliquer pour tout voir dans cette édition qui mérite bien son nom de festival, et qui restera peut-être comme une des meilleures de toute l’histoire de NS.

 

 

Copyright des photos : Gaétan Clément / Tony Noel / William Chareyre / Juliette Valero

Conditions d'écriture du compte-rendu : accréditation festival donnée par Nuits Sonores ; présence à : concert d'ouverture, jour 1, nuit 1 (HEAT), jour 2, jour 3, puis en fin de vie pendant trois jours.