Best Kept Secret 2025
Beekse Bergen, le 13 juin 2025
On fait difficilement plus trompeur sur la marchandise qu’un festival dont le nom signifie littéralement qu’il est un « secret bien gardé » : rien que ces 3 dernières années, les Strokes, Nick Cave & The Bad Seeds, Aphex Twin, Big Thief, Beach House, The Mars Volta ou les Chemical Brothers se sont tous produit·es sur l’une des scènes d’un évènement qui se déroule en bordure de Tilburg aux Pays-Bas, à 1h30 de Bruxelles à peine. Bref, c’était peut-être un secret pour nous, mais visiblement pas pour les travailleur·euses besogneux·ses de chez Live Nation.
À la décharge des organisateur·ices hollandais·es du BKS, il n’est pas simple d’exister quand ton voisin du sud enquille de mai à septembre les évènements de qualité, les affiches pléthoriques et, on imagine, les exclus qui rendent impossible un booking à moins de 300 kilomètres à la ronde pour le reste de l’été.
Bref, quand on évoque le nom du Best Kept Secret à nos potes, la plupart sont incapables de nous dire si on leur parle d’un festival potentiellement très cool ou d’un restaurant branchouille. Alors cette année, on a décidé d’aller enfin juger sur pièce. On ne va pas teaser plus longtemps : on a bien fait.
Un des sites les plus chouettes qu’on ait pu fouler
Le même week-end se tenait l’édition portugaise du Primavera Sound, dont le site nous avait fait forte impression avec sa verdure abondante, son air vivifiant et ses reliefs vallonnés. Mais après trois jours à arpenter celui du Best Kept Secret, on n’a pas peur de le dire : on n’a jamais fait mieux.
Malgré une superficie globale qui leur permettrait d’accueillir beaucoup plus de monde, les équipes du BKS ont fait le choix malin de limiter la capacité à environ 25.000 personnes par jour, qui peuvent se répartir sur une grande scène, deux chapiteaux et quelques scènes allant du petit au carrément rikiki, à l’image d’une Casbah qui a régulièrement montré ses limites.
Une ambiance ‘hartstikke leuk’
On le sait, un festival est souvent une excuse pour ingurgiter des quantités ahurissantes de produits qui se comportent dans nos organismes comme un black bloc quand il croise une devanture de banque. Au Best Kept Secret, c’est tout le contraire – peut-être parce qu’à presque 4 euros les 20 centilitres de bière, on y réfléchit à deux fois avant de se mettre une mine. Il faut ajouter que la disposition du site, le lac artificiel qui le borde (et dans lequel on peut même mettre les pieds), la verdure en suffisance, la multiplication d’endroits cosy où se (re)poser et les nombreux espaces où (bien) se restaurer sont autant d’éléments qui contribuent à rendre la sacrosainte « expérience » plus que supportable, et cela malgré des conditions climatiques qui auront mis quelques organismes à rude épreuve le deuxième jour.
Et la musique dans tout ça ? Certainement pas l’affiche la plus alléchante jamais proposée par le festival, si l’on doit être totalement honnête. Mais notre envie de tester autre chose était plus forte que notre désintérêt poli pour une partie du line-up. Et puis au final, on a quand même vécu plein de bons moments sur lesquels on ne reviendra pas ici (Wilco, Lander & Adriaan, Waxahatchee, Kae Tempest, Erol Alkan, Dummy notamment) et quelques autres qui méritaient un avis plus circonstancié.
Il fallait les inviter : TV on the Radio
C’est le retour aux affaires qui a mis tout le monde d’accord en festival et qui va mettre tout le monde d’accord en salle, des fans de la première heure aux néophytes convaincus par le rock tout en rondeur et profondeur de TV on the Radio.
Contrairement à pas mal d’autres formations qui trustaient les classements de fin d’année (et les pages perso MySpace) en même temps qu’eux au début des années 2000, leur musique n’a pas pris une ride, et ils n’ont jamais dépassé la durée de séjour autorisée dans nos cœurs à grands renforts d’album très moyens justifiant l’organisation d’une tournée best of. Cela s’explique aussi peut-être par le fait qu’à l’époque déjà, le groupe ne rentrait dans aucune case avec une musique influencée à parts égales par les œuvres des Bad Brains et de Serge Gainsbourg.
Bref nous sommes en 2025, et on remarque qu’on ne pensait pas avoir autant besoin d’eux dans nos vies.
Il fallait pas l’inviter : Nia Archives
Cela fait une année au moins que des gens au bon goût avéré et aux profils variés me parlent de la productrice anglaise Nia Archives comme de la claque drum & bass qui va convertir les masses à l’amen break. Ces mêmes personnes ne manquaient pas de superlatifs pour me vendre les prestations survoltées de l’Anglaise, qu’ils voyaient déjà aller chatouiller Fred again.. ou Bicep. Entendons-nous bien : avec ce qu’elle nous a montré au Best Kept Secret, Nia Archives pourrait tout à fait y parvenir. C’est juste que ses prestations, scriptées jusqu’à l’ennui, ressemblent de plus en plus aux clowneries habituellement réservées à Tomorrowland, avec des drops archi-prévisibles, une musique qui est devenue presque moins importante que l’écran de LED derrière et un recours systématique (et un brin exaspérant) aux ré-interprétations drum & bass de classiques – mais franchement, qui avait besoin d’entendre une version jungle de ”Follow The Leader ?"
Il fallait les inviter : Soulwax
On peut le dire maintenant : une fois dissipé l’enthousiasme consécutif aux dates de 2024, le retour de Soulwax nous a laissé un goût un peu désagréable dans la bouche. Celui de voir un groupe recycler ses plus grands tubes dans un set pas follement agencé, ce qui n’était pas vraiment dans ses habitudes. Pire encore, les rares nouvelles compositions perdues dans la setlist pouvait laisser croire que ce projet-là commençait à tourner à vide. Pour leur retour en 2025, les frères Dewaele se sont employés à prouver le contraire : après une première partie où les morceaux de From Deewee se sont imbriqués dans des standards issus de Nite Versions avec l’inventivité qu’on est en droit d’attendre de leur part, les Gantois se sont lancés dans l’interprétation de six nouvelles compositions, comme pour teaser l’ouverture d’un nouveau chapitre dans leur carrière, qui semble repenser la musique avec un prisme davantage rock, mais en se gardant bien de ranger les machines au placard. Une envie de faire la synthèse d’une riche carrière? On ne pourrait pas totalement leur en vouloir. Mais le simple fait qu’on ait retrouvé un groupe animé par une énergie sincère et une envie visible de kiffer aura suffi à notre bonheur.
Il fallait pas les inviter : les nouveaux fans d’Amenra
En Belgique, difficile de faire plus intègre et fascinant qu’Amenra, formation qui est parvenue à élargir progressivement sa fanbase sans jamais se départir de sa ligne de conduite doom / post-metal, jusqu’à devenir un groupe incontournable à l’affiche de nombreux festivals généralistes pour qui le métal est un matériau nécessaire à la fabrication d’une scène avant d’être un genre musical digne de leur intérêt. Si on prend un vrai plaisir à voir le groupe en salle malgré le côté parfois un peu excessif et sectaire de ses fans, on se réjouissait forcément de voir le groupe courtraisien occuper une belle place dans l’affiche du Best Kept Secret. Sauf que ce genre de booking n’a évidemment pas que des bons côtés : il faut désormais se coltiner « les curieux », une expression qui, en festival, désigne les gens qui sont à deux doigts de se plaindre de la présence d’un groupe qui les empêche de tenir une conversation. Il va sans dire que contrairement à nous, au volume auquel se produit habituellement Amenra, le groupe n’est pas vraiment perturbé par ce genre d’individus et se préoccupe juste d’une seule chose : nous rouler dessus pendant une heure, et appuyer là où ça fait mal. Ce qu’il aura réussi sans mal, notamment grâce à un final dantesque, composé de l’oldie « .Am Kreuz. » et du désormais incontournable « A Solitary Reign ». Pas de pain, pas de gain.
Il fallait les inviter : Gouge Away et Kneecap
Sur le papier, il y a fort peu de points communs entre Kneecap, nouvelle épine electro / hip hop dans le pied de l’establishment britannique, et Gouge Away, valeur désormais totalement sûre de la scène punk hardcore américaine. Ceci étant dit, quand il nous aura fallu décerner le prix de groupe le plus irrésistible du festival, celui qui nous aura donné envie de risquer les croisés pour une moulinette sur une tapis de poussière, on aura eu toutes les difficultés du monde à les départager. Chacun avec une énergie qui leur est propre – juvénile et apparemment inépuisable pour les Nord-Irlandais, d’une rare pureté pour les Américain·es – , ils ont réussi à créer du lien, à nous faire croire que ce concert-là était le plus fou de leur tournée alors qu’ils administrent le même tarif tous les soirs à des audiences à mille lieues de suspecter ce qui va leur tomber sur le coin de la tronche. Ce paragraphe a d’autant plus de poids que le festival accueillait des Deftones portés par un Chino Moreno qu’on n'avait plus connu dans une tel état de forme depuis une bonne dizaine d’années au moins.