Trône

Booba

Tallac Records – 2017
par Yoofat, le 18 décembre 2017
7

"Sur le plus haut trône du monde, on est jamais assis que sur son boule." 

Le trône, Booba y était déjà à l'époque de Ouest Side, un tantinet paranoïaque, le regard entre les persiennes histoire d'observer où en était la concurrence de l'époque. Les yeux fermés sur cette nouvelle pochette, le visage apaisé, Booba semble ne plus avoir de doute sur l'écart entre lui et les autres. Le Trône est sien, pour longtemps encore. Mais c'est quoi le Trône selon Booba ?

Dans un premier temps, c'est la domination. Voilà près de 20 ans que le rappeur des Hauts-de-Seine est la figure de proue du rap en français, et cela se matérialise dans son phrasé, volontairement provocateur, violemment véhément à l'encontre de ses contrevenants préférés. Parce que les posts Instagram ne suffisent pas, quelques petites piques sont balancées ici et là : "t'es un teur-poin, c'est pas moi qui le dis, c'est la police." Quoi de neuf Emile ? Booba sur le Trône, c'est comme son alter ego dans Game of Thrones, Cersei : avec ou contre nous. "Je dors mal ces derniers temps. Je pense trop aux différentes manières de tuer mes ennemis," disait la reine dans la dernière saison de la série HBO. Voilà peut-être le mal de ce genre de personnages : tuer un ennemi doit être relativement rapide. Grandis un peu Ellie. La domination, c'est aussi l'égotrip, violent et sans équivoque. Et quand Booba expose sa puissance dans des morceaux comme "Centurion" ou "113" (avec son génial partner in crime Damso) on se dit que le Duc peut confortablement rester le boule posé sur le trône quelques années encore. 

Le trône s'acquiert également par le style. Celui de Booba a bien changé depuis l'époque où ses modèles s'appelaient Prodigy ou Method Man. Moins de syllabes et d'allitérations pour plus de respiration et de cruauté. Booba en dit peu, mais le dit bien et aiguise un sens de la formule reconnaissable entre mille. "La justice a deux vitesses, la Lamborghini en a six." Kopp a toujours une maîtrise très approximative de l'autotune, oscille entre une utilisation rudimentaire et un effet un peu plus sentimental. "Comme une étoile", "Validée" et "92i Veyron" sont devenus ses modèles, les morceaux "A La Folie", "Friday" ou "Trône" ont sont de parfait exemples.

Et puis le Trône, on s'y retrouve grâce à un instinct hors du commun. Dans le manga Kingdom, retraçant la réunification de la Chine Antique, on oppose deux styles de chefs de guerre : les fins stratèges qui prévoient l'issue d'un combat et agissent en conséquence, et les instinctifs qui foncent bestialement dans le tas, mais en flairant les actions adverses et les bons coups à assener. Même si certains louent les qualités de stratège d'Ellie Yaffa, il ne faut point en douter: dans sa manière de faire de la musique, il est bien plus Duke Hyou que Ouki, bien plus instinctif que stratège. D'ailleurs Trône est peut-être l'album dans lequel Booba manifeste le plus explicitement son animalité. Comme le faisait Kaaris dans "Zoo" ou Casey dans "Libérez la bête", le rappeur prend les traits d'un animal pour répondre aux clichés de l'Homme noir.

Car si Booba est sur le Trône, c'est aussi grâce à l'empathie dont il fait preuve envers ce même continent africain. Pour la première fois, B2O ne se contente pas de rappeler la violence de l'esclavage et de la vie quotidienne en Afrique, mais embrasse son identité d'Africain, comme sur le très remuant "Ça va aller" avec le franco-conglais Niska et le malien Sidiki Diabaté. Le panafricanisme est à l'honneur sur ce banger efficace ponctué par un "Arianna Grande x3" déjà classique. Booba se confie aussi davantage que qu'à l'accoutumée et conclut son album d'un morceau d'une rare intensité, tant dans l'interprétation que dans les mots qu'il choisit. Entre égotrips, pensées sexuelles et énièmes réminiscences esclavagistes, "Petite Fille" couronne également la petite Duchesse Luna, la seule à courir dans les bras de son papzer, la seule qui donne un sens au mot "amour" dans le monde obscur que chante le Duc depuis plus de vingt ans.

Le goût des autres :
7 Ruben