The Electric Lady

Janelle Monáe

Bad Boy Entertainment – 2013
par David V, le 13 septembre 2013
7

Il existe un lien mystérieux entre la taille d'une personne humaine et sa capacité à faire de la grande musique soul. Prince a toujours gardé la stature d'un garçonnet de treize ans, James Brown n'a jamais été plus haut qu'un tabouret de bar. Cette étrangeté de la vie peut devenir plus claire à nos esprits à condition de s'intéresser au composant fondamental de cette musique. Bien au-delà, ou plutôt bien en-dessous, des pirouettes vocales exécutées sur les cordes sensibles des déchirements du cœur se trouve le groove. Le groove, c'est ce truc incroyablement difficile à définir parce que quand on l'entend, qu'on le sent physiquement, on finit survolté sur le dancefloor avant d'avoir pu fournir le début du commencement d'une explication.

Ce qui est absolument certain c'est que les forces naturelles qui inspirent ce sillon (traduction littérale) se trouvent sous la surface, dans le déchaînement des convulsions sismiques capables de créer les gouffres les plus larges comme les montagnes les plus hautes. Il faut donc avoir les viscères bien proches du sol pour pouvoir capter les secrets de ces forces et les mettre en musique. Voilà pourquoi l'innocent Michael Jackson perdit en partie le groove lorsqu'il se mit à léviter au-dessus des hommes à partir du milieu de années 1980. Voilà pourquoi le cruel Ike Turner s'assurait de la permanence du groove de sa femme Tina en l'envoyant au tapis à grand renfort de beignes. Voilà pourquoi l'insipide génération actuelle est si souvent coupable de soul nullissime, la population des pays développés ayant gagné trois centimètres sur le dernier quart de siècle.

Du bas de son mètre cinquante-deux, Janelle Monáe est-elle suffisamment réceptive aux ondes rythmiques émanant des entrailles de la Terre pour nous donner un grand disque de soul ? La réponse est plus ou moins positive. La jeune femme est clairement maîtresse de toute la grammaire du genre et construit sans peine de bons instrumentaux sur lesquels elle peut poser sa belle voix comme elle l'entend. La facture organique de l'album prend aux tripes et les morceaux se succèdent de manière très cohérente grâce à des invités qui se mettent au service du projet et à une production fouillée, inscrite dans une certaine tradition sans être imbécilement passéiste. Sans aucune équivoque, les grands ancêtres sont cités à peu près partout: les guitares funk de Prince ("Give Em What They Love" sur laquelle il apparaît en personne), la voix du jeune Michael Jackson ("It's Code"), les claviers de Stevie Wonder ("Ghetto Woman").

Malheureusement ces monuments pèsent lourd et empêchent Monáe de se libérer complètement pour donner la pleine mesure de son talent personnel. À certains endroits, elle parvient à s’aménager des espaces plus aérés où elle crée des mélodies vocales époustouflantes comme sur "We Were Rock n' Roll" ou sur le bijou "PrimeTime", où des mots adolescents se changent en poésie éclatante grâce aux courbes de son chant. La gourmandise et l'inexpérience de la chanteuse la poussent à trop se disperser, à trop hacher, trop allonger. Les interludes cassent les transitions élégantes entre les chansons et le disque s'essouffle durant le dernier quart avant de conclure sur le très bon "What An Experience" qui sonne comme du Marvin Gaye ragaillardi par l'air ostendais. Effectivement The Electric Lady est une sacrée expérience et on espère que la prochaine sera encore plus forte. Janelle Monáe peut le faire. Elle en a la taille.