The Chemistry of Common Life

Fucked Up

Matador – 2008
par Jeff, le 5 janvier 2009
8

Qu'ont en commun les lignes éditoriales du NME, de Q Magazine, de Vice, de Classic Rock et de Kerrang ? A première vue, pas grand-chose. Et pourtant, ils sont tous d'accord pour vanter les nombreux mérites de Fucked Up, ovni canadien qui débarque sur Matador après un premier album passé inaperçu (Hidden World) et des dizaines de singles que s'arrachent les fans.

Fucked Up fait partie de ces groupes sulfureux qui errent depuis de nombreuses années dans les limbes de l'underground sans que l'on puisse vraiment expliquer pourquoi il ne s'est pas attiré un peu plus tôt les faveurs d'un gros label. Car c'est un fait: ce groupe-là a tout pour plaire. Avant même de commencer à disserter sur la musique, on peut se délecter des anecdotes croustillantes qui circulent à son sujet (destruction d'un studio de MTV Canada lors d'un passage sur la chaîne, concerts aux airs d'émeutes ou accointances – démenties – avec un groupe aux idées un peu trop à l'extrême droite), prendre son pied sur les photos plutôt scandaleuses du groupe qui circulent ou simplement rigoler (ou non) des noms adoptés par ses membres - 10.000 Marbles, Mustard Gas, Pink Eyes, Mr. Jo, Concentration Camp et Young Governor.

Mais si quelques facéties scéniques et des noms débiles suffisaient à bâtir une carrière, ça se saurait – et on parlerait un peu plus d'Insane Clown Posse. Car si Fucked Up est un groupe qui mérite toute notre attention, c'est parce qu'il est parvenu à s'extirper de ce carcan monomaniaque que peut être le hardcore pour insuffler un peu de vie à un mouvement qui méritait bien un petit dépoussiérage en bonne et due forme. Mais que nos lecteurs les plus poppeux ou folkeux n'aient crainte, le but ici n'est pas de vous vendre à n'importe que prix le dernier ersatz en date de Sick Of It All. Fucked Up, c'est bien plus que cela. D'ailleurs, c'est tellement plus que cela que Fucked Up ne ressemble plus vraiment à du hardcore. Evidemment, certains canons du genre sont respectés à la lettre et on retrouve sur The Chemistry of Common Life cette rage incroyable et cette énergie brute qui continuent de faire les beaux jours du mouvement. Mais les Canadiens  n'entendent pas ressasser toute leur carrière durant les mêmes recettes éculées. Le hardcore se joue à toute vitesse? Fucked Up ralentit la cadence et rend ses compositions encore plus oppressantes. Le hardcore, c'est guitare-basse-batterie et puis basta? Fucked Up rajoute une ribambelle d'instruments (claviers, flûte, percussions, …). Le hardcore, c'est des enregistrements qui n'ont de studio que le nom et qui flairent la moiteur des salles? Fucked Up multiplie les pistes et les overdubs. Le hardcore, c'est un chanteur qui beugle à s'en péter les cordes vocales? Bon, Fucked Up, c'est un peu ça, mais c'est aussi des voix de femmes et des invités de marque (dont Sébastien Grainger des regrettés Death From Above 1979).

Finalement, en brouillant les pistes (allant même jusqu'à lorgner du côté du post-rock sur "Golden Seal"), Fucked Up, en bons fouteurs de merde qu'ils sont, s'amusent à arracher une à une les pages du  grand livre du hardcore – ce n'est qui n'est probablement pas pour plaire aux fans les plus indécrottables du genre – pour réécrire son histoire à leur sauce, extrêmement épicée. Bruyant, infernal, épique, sonique,… les qualificatifs pour décrire The Chemistry of Common Life ne manquent pas. Et n'essayez pas de vous en prendre au groupe, car il est à l'heure actuelle inattaquable sur son terrain. Mon conseil: jouez plutôt la victime consentante.