Street Horrrsing

Fuck Buttons

ATP – 2008
par Simon, le 6 juin 2008
9

Difficile par les temps qui courent de passer à côté de la tornade Fuck Buttons. En effet, à moins d’avoir vécu dans une caverne le mois qui vient de s’écouler, vous ne serez pas étonné de voir le nom de ce duo parmi les pages de votre cher webzine. D’abord encensé par tous les critiques dignes de ce nom, ensuite programmé dans la plupart des festivals de qualité, le moins que l’on puisse dire c’est que Fuck Buttons s’est vu propulsé sur la piste étoilée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Premier paradoxe de cette ascension fulgurante, car la musique de Fuck Buttons n’a rien de hype, du moins pas de cette hype poisseuse dont nous continuons à supporter les vapeurs délétères au quotidien.

La musique noise n’a jamais eu de vocation populaire, allant jusqu’à être considérée par la plupart comme un genre dégénéré, une évocation insensée de délires lointains, inappropriés. Un recours aux forces obscures qui ne laisse jamais indifférent, à défaut de toujours plaire, la faute à des attitudes souvent radicales et obtuses. Fuck Buttons aurait pu être de ceux là, en faisant le choix de s’enfoncer encore un peu plus dans cette démarche autarcique, bradant l’ouverture au bon soin des plaisirs bruts de la torture auditive. Mais il n’en est rien, Fuck Buttons trouve dans ce contexte particulier une troisième voie qui le sauverait autant du nihilisme profond que de la vile tentative mercantile.

Six titres, six longues pièces pour faire la différence et trancher dans la masse de ses congénères le chemin de sa réussite. Une tâche qui aurait pu se montrer ardue sans le talent combiné de ces deux Anglais en manque d’expérimentations, qui taillent à grand coup de drones, de mélodies imparables et de nappes saturées leur particularisme sauvage. Première mise en valeur avec « Sweet Love For Planet Earth », un titre dont les miasmes viscéraux qui l’entourent pourrait bien faire de lui le titre de cette année en cours. Un début cristallin de notes mélancolique, soumis peu de temps après à l’arrivée d’un orage menaçant, qui s’apparente sans mal à une annonce prophétique. La tache ombragée prend de plus en plus d’ampleur avec un grain qui devient de plus en plus insistant, la nostalgie de la mélodie première ne semblant pas se sentir glisser sur une pente pourtant de plus en plus glissante et tendue. Boards Of Canada vient de rencontrer Merzbow, et la discussion s’anime alors avec ces cris incompréhensibles sortis tout droit d’une cage thoracique malade et profondément asociale, des borborygmes réinventés qui troublent en arrière plan l’aridité d’une situation étouffante.

Une fois le titre arrivé à sa fin, on est en droit de se demander si Fuck Buttons a consumé toutes ses cartouches en un tir ciblé, mais force est de constater que la rigueur imposée à cette longue introduction se perpétue avec adresse dans des délires tribaux, psychédéliques et toujours aussi dérangés. La progression de chaque piste est une longue et implacable avancée d’une armée de petits soldats de bois, armés jusqu’aux dents avec un sourire figé dans le brut de la matière. Franc dans la manière de diriger sa brutalité avec une précision chirurgicale, Fuck Buttons n’en reste pas moins sournois au moment où il combine beauté édifiante et violence mesurée. Comme si le libertinage de Animal Collective rimait subitement avec les pulsions animales de Wolf Eyes, la louche de sensibilité finalement versée sur ce bûcher incandescent n’étant là que pour vous forcer à penser que tout va pour le mieux. Les Anglais s’attèlent donc à créer des ouvertures dans un système qu’ils savent volontairement fermé. Réinventer de l’espace pour des corps trahis par un attrait égal pour la boue autant que pour les absences rêveuses de soi. Fuck Buttons y parvient admirablement bien en reprenant d’une main ce qui vient d’être donné par l’autre, administrant une claque virulente dans votre pauvre gueule tout en administrant le remède qui lui permettra de recommencer cette opération la minute d’après.

Pour une fois, la hype ne s’est pas trompée, on a bel et bien affaire à un groupe majeur en passe de devenir l’incontournable surprise de cette année. Pourtant, rien ne pouvait laisser présager que cette noise à caractère « pop » ferait une entrée si fracassante dans le petit monde des groupes à suivre avec passion. Quoiqu’il en soit, Fuck Buttons se fait, l’espace d’un album au moins, l’ambassadeur le plus excitant qu’on ait pu connaître de ce genre mineur. A déguster sans modération et à partager sous toutes ses formes, d’urgence.

Le goût des autres :
8 Julien 9 Nicolas 9 Romain