Stranger In The Alps

Phoebe Bridgers

Dead Oceans – 2017
par Alexis, le 10 octobre 2017
7

Quelques minutes de recherches suffisent pour arriver à la conclusion que Phoebe Bridgers sait bien s’entourer: Ryan Adams en mentor, Julien Baker en BFF, un label de qualité pour la pousser (Dead Oceans) et même Conor Oberst en soutien. Il n’est donc pas surprenant que le premier disque de l’Américaine ne baigne pas dans l’esthétique DIY qu’arborent de nombreux albums liminaires.

Phoebe Bridgers doit donc être super cool pour avoir un tel crew autour d’elle. On n’a pas vraiment de quoi étayer cette hypothèse, mais quelqu’un qui rend hommage à The Big Lebowski dès le titre de son premier album ne peut pas être foncièrement mauvais. Seulement, si Stranger in the Alps est hanté, ce n’est pas par l’ombre titubante du Dude, mais plutôt par l’autre marotte de l’Américaine: les serial killers et de façon plus générale, la mort. Des centaines d’artistes, dont plusieurs membres de Dead Oceans, ont déjà creusé le sillon de la folk lugubre et un poil dépressive. Alors qu’une autre chanteuse à guitare vienne nous répéter que c’est pas cool que les gens meurent, ça pourrait nous laisser sur notre faim.

Mais à l’évidence Phoebe Bridgers va bien plus loin que ça. En plus de sa voix expressive et impeccablement maîtrisée, Bridgers apporte un soin très particulier à l’instrumentation et l’évolution de ses morceaux. C’est cette exigence à chercher plus qu’un arpège catchy, ou une mélodie vaguement accrocheuse qui rend son oeuvre unique, et si appréciable. L’Américaine a également le bon goût de doser la présence de cordes pour accoucher de dix pistes ni lourdes, ni prétentieuses. La légèreté de l’écriture sur certains passages contraste avec la gravité des termes abordés, évitant à l’auditeur l’envie de se jeter sous le premier TGV aux alentours.

En plus de ce cadre déjà solide, avec une production vraiment pas dégueu, Bridgers déploie de belles capacités de storytelling. Des invocations aux grands noms morts en 2016 sur “Smoke Signals” jusqu’à la reprise de Mark Kozelek clôturant l’album, Bridgers nous balade pendant 40 minutes entre nostalgie et tristesse, dans des folk-songs portées par une voix dont la tension monte crescendo. Ajoutez que les deux titres déjà sortis en EP, “Killer” et “Georgia”, sont ré-enregistrés dans une nouvelle version, rendant tout cet ensemble homogène, et on obtient un bon nombre de raisons de louer Stranger in the Alps .

Ce premier effort est donc impressionnant de maturité, développe une ambiance très personnelle et se dévore d’une traite. Il n’est pas tout à fait exempt de temps morts, et manque quelques marches sur la fin avec des ballades moins exigeantes. Ce sera à l’Américaine de corriger cela à l'avenir. Tous les voyants semblent donc au vert pour Bridgers. Gardons un oeil affuté sur ces prochaines productions, quand à Stranger in the Alps, selon his Dudeness: “C’est de la mécanique de précision”.

Le goût des autres :
7 Victor