Perverts

Ethel Cain

Daughters of Cain Records – 2025
par Albin, le 20 janvier 2025
7

Qu’y a-t-il de plus oppressant que le vide ? De plus éblouissant que les ténèbres ? De plus assourdissant que le silence ? La liste des oxymores pourrait s’allonger à l’infini pour qualifier le deuxième album d’Ethel Cain. Abordé d’une oreille distraite, ce songwriting ralenti et à rallonges sonne en effet de prime abord comme un exercice de composition a minima, tiré sur une durée totale qui frôle l’heure et demie pour moins de dix chansons.

Sans concession et sans le moindre détour, l’album s’ouvre sur « Perverts », chanson de 12 minutes qui au départ d’une apparente comptine s’embourbe dans une célébration du néant absolu. Rouillée, poussiéreuse, insaisissable, la musique d’Ethel Cain dérive alors vers des contrées menaçantes, où des bribes de spoken word indéchiffrables ponctuent des nappes abstraites qui évoquent autant un western psychédélique que les meilleurs climax du premier volet de la saga Alien. Ici non plus, personne ne vous entendra crier.

Danger, inconfort. Telle est la trame qui se joue tout au long d’un disque qui se digère comme une tentative plutôt réussie de pousser les murs, dilater l’espace, allonger le temps et précipiter celles et ceux qui s’y risquent sur des territoires vidés du moindre repère. Quand la voix grandiose d’Ethel Cain s'affirme enfin sur les accords de piano timides de « Punish », demeurent ces arrangements caverneux qui accentuent le vertige, comme si des rafales d’un vent paresseux bridé à 10 kilomètres à l’heure avaient été conviées à cette grande fête de rien.

Comme tout se mérite sur ce disque, le bruit, l’écho et la réverbération sont ici élevés au rang de guest stars. Les voiles épais s’entassent pour ne rien laisser transparaître – ou si peu – de couplets froids comme la pierre qui, jamais, ne traceront la voie à des refrains qu’on attendra en vain. Au mieux distingue-t-on d’inquiétants « I love you » répétés en boucle au milieu de borborygmes incessants.

Voyage initiatique dépourvu de destination, ce deuxième album semble ne poursuivre qu’un seul but : égarer. Bruitiste, expérimentale, glaciale, l’œuvre fascine pourtant par de rares rais de lumière qui se révèlent à mesure que s’enchaînent les écoutes. Etrangement romantique et indus à la fois, Perverts confirme une vérité médicale imparable : c’est bien l’absence d’air qui provoque l’étouffement.