Off the Map

H-Burns

Vietnam – 2013
par Jeff, le 6 mars 2013
7

Il y a toujours quelque chose d’extrêmement grisant à foutre un disque produit par Steve Albini dans le lecteur. Car qu’on le veuille ou non, il fait partie des rares producteurs capables d’éclipser l’artiste ou le groupe qu’il a autorisé à pénétrer dans son studio Electrical Audio de Chicago. Certes, ils sont nombreux (et souvent inconnus au bataillon) à rendre visite à l’Américain, mais l’apparente distance qu’il prend par rapport au processus créatif permet quand même très régulièrement à des groupes d’enregistrer des disques qui finissent immanquablement par figurer parmi les plus impeccables de leur carrière – Electrelane, les Cloud Nothings, les Pixies, Joanna Newsom, Scout Niblett ou Nirvana peuvent tous dire merci à ce stakhanoviste du bouton.

Alors quand les parangons de bon goût qui se cachent derrière les magazines So Foot, So Film et Doolittle (tout un symbole tiens…) créent leur label (Vitenam), signent le Drômois H-Burns et l’envoient passer des vacances à l’ombre chez tonton Steve, on valide autant qu’on salive. Surtout qu’on sait Renaud Brustlein fou d’Amérique, et que c’est la scène indé de ce pays qui l’a poussé à s’émanciper de son projet Don’t Look Back. Alors c’est vrai que de ses premiers albums en solitaire on garde le souvenir d’une musique bien ficelée mais aussi un peu trop révérencieuse pour vraiment se faire une place digne de ce nom au soleil. Car à trop vouloir avancer dans l’ombre de Will Oldham, Renaud Brustlein finissait par être éclipsé par celle-ci.

Mais l’avantage d’un disque comme Off the Map, c’est qu’il se révèle vite incomparable par rapport à ses prédécesseurs. Certes, les clins d’œil à la discographie de Bonnie ‘Prince’ Billy restent nombreux, mais c’est désormais plutôt à Okkervil River que H-Burns nous fait penser - et aux saillies lacrymales de son leader Will Sheff. Finies (ou presque) les délicates ballades folk qui foutent un peu le bourdon: comme pas mal de gens passés par la case Electrical Audio, H-Burns a appris à y maîtriser l’art de la tension. Mais une tension qui n’oublie jamais qu’elle rime avec émotion. Ainsi, on sent sur Off the Map un artiste qui, plutôt que de réciter ses gammes comme il l’a toujours très bien fait sur ses premiers albums, prend le pari (gagnant) d’évoluer en dehors de son habituelle zone de confort.

Cela donne un disque entier, qui a ses défauts certes (on les situera surtout au niveau de l’écriture un peu plus faiblarde d’une poignée de titres), mais aussi un disque tendu comme un string sur une plage de Copacabana, d’une variété insoupçonnée et qui a bien compris le sens de l’expression « rollercoaster émotionnel ». Et puis cela donne surtout un disque qui, comme l’immense majorité de ceux qui portent la griffe de Steve Albini, transpire par tous les pores l’urgence, les prises live et l’effort de groupe. Cela tombe bien, c’est ce que H-Burns était allé chercher à Chicago. L’Amérique, il voulait l’avoir, il l’a eue.