No Name

Joe Lucazz

Neochrome – 2015
par Aurélien, le 3 avril 2015
8

On ne parle plus (assez) de rap français sur GMD. En fait, on passe tellement de temps à scruter l'actualité d'outre-Atlantique qu'on a perdu l'habitude de parler de rap dans la langue de Molière. A moins que ce ne soit l'envie peut-être ? C'est vrai que l'on résume beaucoup son actualité aux gros bras du 92i ou de Sevran, sans doute pour cacher que même avec le retour aux affaires de Karlito et Lino, le rap français actuel nous passionne peu - quand il ne nous débecte pas. Autant de raisons qui auraient finalement pu faire capoter ce papier sur Joe Lucazz.

Il faudra donc gratter un peu sous le vernis pour se rendre compte comme J.O.E est, outre une formidable gueule cassée, un type épatant qui à su attirer le micro de gens allant du Rat Luciano à Alkpote, en passant par les trop rares X-Men ou encore Butter Bullets. Modeste malgré son CV couillu et un passage éclair par la case prison, le bonhomme na jamais fait fonctionner le carnet d'adresses. Et ça ne va pas changer: lorsqu'il choisit enfin de s'exprimer seul sur No Name, ce n'est pas pour faire la part belle à des invités susceptibles de garantir les ventes de l'album. 

Le mec a beau sortir de chez Neochrome, un label qui a souvent fait de la crasse son cheval de bataille, ce n'est pas une ligne mais un kilo de coke qui sépare le style de Joe Lucazz et celui de Seth Gueko. A l'exact opposé des punchlines narvalo de son collègue, son rap transpire moins le second degré que les ambiances dignes de la saga du Parrain. Ce choix esthétique, c'est d'ailleurs ce qui le place en marge d'une concurrence qui a les yeux rivés sur Atlanta et Chicago. Il n'y a pourtant aucun revival dans cette démarche qu'il creuse depuis plusieurs albums déjà, simplement un réel souci de conjuguer la complémentarité du rappeur avec sa musique, et de sonner moderne sans rechercher à tout prix l'air du temps. Un cahier des charges complexe dont Dela et Pandemik Muzik ont parfaitement su s'accommoder: à la fois rugueuse, soul et terriblement versatile, la production de No Name est un réel travail d'orfèvre. Tout y est précisément à sa place, sans fausse note.

Côté micro, on se demande encore comment ce mec a aussi longtemps réussi à contourner nos radars. Avec une voix qui marque, des rimes qui tranchent et un charisme digne d'un personnage de série HBO, Joe Lucazz est le genre de personnalité trop rare dans le paysage du rap français. Et ça, on le ressent dans la façon qu'il a de conserver sa street crédibilité en incluant autant Benjamin Biolay qu'El Chapo dans son schéma de rimes. Mais c'est surtout cette sagesse urbaine qui fait mouche: bien que pudique lorsqu'il s'agit de raconter des tranches de vie ou d'aborder un passé de dealer, l'écriture se nourrit néanmoins dans cet d'egotrip racé et dans cette obsession de poser la bonne image sur les bons maux.

A l'arrivée, No Name est le témoignage d'un personnage riche en nuances, qui se raconte à la façon d'un Tony Soprano dans un disque-thérapie où les moments de bravoure s'enchaînent sans temps morts. Par ailleurs, No Name est synonyme d'une consécration dont Joe Lucazz avait bien besoin. Et c'est d'autant plus excitant que No Name n'a pour prétention que de préparer le terrain avant un autre album qui doit encore suivre dans l'année. Et puis bon, ce disque nous a redonné envie de creuser une scène hexagonale qu'on a banni de nos habitudes d'écoute. Bref, merci pour tout l'ami.

Le goût des autres :